
Nous publions ci-dessous des extraits d’un article publié le 16 juillet 2025 dans l’édition quotidienne de «L’Osservatore Romano» en italien.
Sergio Favretto
L’émergence de nouveaux documents, de messages radiophoniques et la mise en contexte correcte d’années d’activité injustement oubliées nous offrent une vision plus complète: la période de guerre 1940-1945, les violences nazies et fascistes et la Shoah ont vu la résistance et la capacité critique de Radio Vatican, de «L’Osservatore Romano» et de «L’Osservatore della Domenica», aux côtés du réseau du bureau d’informations. L’Eglise catholique et le Saint-Siège ont su alimenter, au cours des années sombres du conflit, un panel d’information à la pen-sée autonome.
De même que la reconstruction historiographique d’un Vatican et d’un Pape hésitants, voire coupables d’omission d’intervention n’est absolument pas correcte, il est tout aussi erroné de présenter Radio Vatican et l’information du Saint-Siège comme des sujets résignés et cen-surés, principe de la neutralité à tout prix.
Pie XII fut le protagoniste et le témoin, involontaire, d’une dialectique féroce entre les Etats et les peuples. Il en fut de même pour les différents nonces et délégués apostoliques présents en Europe et dans le monde, pour le Saint-Siège avec les hommes de la Curie romaine, pour «L’Osservatore Romano», pour Radio Vatican, pour les évêques et les cardinaux dans leurs territoires respectifs. Pie XII fut également témoin et adversaire direct des événements dramatiques des persécutions raciales et de la Shoah.
L’activité de Radio Vatican au cours de la période 1940-1945 peut être correctement interprétée si elle est replacée, de manière appropriée, dans le contexte plus large des différentes activités et rôles accomplis, animés et inspirés par toute l’Eglise catholique.
La résistance active, bien que prudente, que Pie XII a animée et créée contre le nazisme et le fascisme fut un choix courageux, le seul possible dans un contexte de guerre et de violence du pouvoir. De même, le soutien de l’Eglise aux juifs persécutés fut une grande et vaste opération humanitaire visant à sauver des vies humaines et à éviter des représailles encore plus meurtrières.
De 1938 à 1945, Radio Vatican fut un instrument d’information, de connaissance et de formation. Elle fut considérée par certains comme l’interprète faisant autorité de la diplomatie du Saint-Siège; par d’autres plutôt comme un vecteur de distinction et de choix, en ces années de conflit et de polémique entre les Etats et les peuples.
Radio Vatican eut le mérite d’unir, de relier, d’exprimer la pensée et les valeurs chrétiennes, mais aussi des choix civils et la tolérance, l’espoir d’un avenir différent, en rupture profonde avec la période sombre de la guerre, du communisme bolchévique, du nazisme-fascisme et du paganisme. Elle transmettait en italien, en anglais, en français, en espagnol, en allemand, en polonais, en néerlandais et en russe et dans d’autres langues encore. Ce fut une radio très polyglotte. Peu de gens savent cependant qu’elle était surveillée en permanence par les services secrets européens et américains. Les transmissions étaient écoutées, retranscrites et annotées, par exemple, par le service Monitoring Service de la BBC avec un Daily Digest of Fo-reign Broadcast quotidien. Il existait une interaction étroite entre l’Overseas Intelligence de la BBC, le Foreign Office et également le Religious Relations Department du ministère de l’Information en Grande-Bretagne pour rédiger des rapports d’observation quotidiens. En Allemagne, le service Sonderdienst Seehaus était actif et aux Etats-Unis, le service Foreign Broadcast Intelligence Service.
Radio Vatican était suivie, écoutée et surveillée également en Italie par le régime, puis par la RSI, qui collectait les différentes éditions en langue étrangère. Les transcriptions et les notes étaient ensuite détruites pour des raisons de sécurité.
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Expressions plurielles
de la part
des différentes rédactions
En France, plusieurs documents et textes révélant le contenu des messages et émissions de Radio Vatican ont été retrouvés aujourd’hui. La genèse du journal clandestin «La Voix du Vatican» — qui contenait des transcriptions d’émissions de Radio Vatican et des commentaires du père jésuite belge Emmanuel Mistiaen — ainsi que son rôle moteur dans la Résistance chrétienne française sont tout à fait significatifs. L’initiative fut lancée au collège jésuite d’Avignon par le chanoine -Louis Ruy, le père Jean Roche, l’ancien élève Henri Barral et d’autres laïcs. En plus de deux ans, trente dossiers de plusieurs pages contenant des extraits et des comptes-rendus des messages de Radio Vatican ont été rassemblés. Ces revues furent l’objet d’une diffusion prudente et courageuse en France libre. On peut en outre identifier un lien de succession entre La Voix du Vatican et Les Cahiers du Témoignage chrétien, avec une reprise aussi bien du contenu éditorial que du réseau de diffusion. Il existe également une source bien organisée de transcriptions d’émissions de Radio Vatican en français: il s’agit de l’essai Radio Vatican. Années 1940-1941-1942-1943. Emissions prises en sténo à Toulon, con-servé à l’Institut catholique de Paris.
Les transcriptions ou les notes ne sont pas de banales versions des messages diffusés. Elles sont aussi le fruit de la personnalité de ceux qui prenaient des notes, les collectaient et les reproduisaient par écrit. Dans certains cas, les évêques ont demandé aux responsables de Radio Vatican de mettre en avant et de développer non seulement des thèmes religieux, mais aussi des questions liées à l’actualité sociale de l’époque; de diffuser non seulement des documents ou des Encycliques, mais aussi des lettres pastorales ancrées dans les réalités locales, ne concernant pas seulement la théologie mais aussi la doctrine sociale de l’Eglise.
Les nazis s’inquiétaient, par exemple, de la diffusion d’un catholicisme politique latent à travers la radio. Dans certains messages de 1937, Radio Vatican aborda et s’opposa aux choix antireligieux des régimes nazi et hitlérien ainsi qu’aux théories néopaïennes, évoquant des violations des droits, des arrestations de prêtres, allant même jusqu’à se joindre aux revendications des protestants. La radio parla de néopaganisme nazi, appelant à un front uni entre catholiques et protestants contre le Reich.
Dans les pays hispanophones, notamment en Amérique centrale et du Sud ainsi qu’en Extrême-Orient, on souhaitait porter particulièrement l’attention sur la précarité sociale et économique des populations locales. Au début du pontificat de Pie XII, les émissions de Radio Vatican étaient bien reçues en Irlande, en Angleterre, aux Philippines et, de façon sporadique, aux Etats-Unis, de même qu’en France et en Espagne. -Elles étaient brouillées en Russie. En Allemagne, en revanche, l’écoute était interdite et risquée, avec des amendes et des arrestations pour quiconque écoutait Radio Vatican. Le régime nazi avait également interdit la possession de radios. Il en allait de même en Pologne, après l’occupation. Malgré ces mesures répressives, il existait en Allemagne et en Pologne un réseau secret parmi les catholiques pour écouter les émissions de Radio Vatican chez des particuliers, en toute sécurité.
Malgré les difficultés que connaissait la scène politique allemande, Pie XII maintint une position de fermeté et continuité. Il fit mettre en place une rédaction de journalistes et de lecteurs, dirigée par des jésuites d’origines linguistiques et géographiques diverses. L’internationalisation de la radio s’inten-sifia.
Les relations entre Radio Vatican et la Secrétairerie d’Etat furent caractérisées par une attention réciproque, mais presque toujours dans le respect d’une autonomie intelligente. Il existait une censure préventive modérée pratiquée par les différents responsables des versions linguistiques. Ce n’est que face à l’occupation allemande de la Pologne que Pie XII et Radio Vatican décidèrent, pendant quelques mois, de ne pas intervenir officiellement afin d’éviter d’inévitables rétorsions et représailles contre les 40 millions de catholiques allemands. De nombreux journaux allemands confirmèrent le jugement sévère porté sur Pie XII en tant que Pape hostile au national-socialisme.
La radio a largement traité et commenté l’Encyclique Summi pontificatus de Pie XII (octobre 1939), avec toutes ses interprétations, en faveur de la paix entre les nations et du respect des droits individuels. Elle y exprimait des positions fermes contre le concept d’Etat moderne fondé sur l’unité nationaliste, l’unité raciale et l’union du prolétariat, tandis que la liberté de pensée permettrait au contraire la création d’un Etat facteur d’harmonie pour le bien commun.
Entre mars et mai 1940, des messages en anglais et en espagnol faisaient référence à des trains remplis de personnes déportées entre différentes régions de Pologne. Il était aussi question des violences dont étaient victimes les auditeurs de Radio Vatican qui écoutaient des émissions en allemand et en polonais condamnant les persécutions envers l’Eglise catholique en Allemagne.
Pie XII approuva que Radio Vatican, dans ses différentes éditions étrangères, fût l’expression d’une forme d’autonomie entre les diverses réalités ecclésiales et nationales.
«L’Osservatore Romano», considéré en Italie presque comme l’organe d’information du Saint-Siège, faisait écho en 1939 et 1940 de séparations, déplacements et transferts de juifs entre une région et l’autre, évitant de parler de déportations. Les messages de Radio Vatican étaient plus explicites. Pour Pie XII, la gravité de la situation en Allemagne vis-à-vis de l’Eglise ne pouvait être passée sous silence.
Durant l’occupation allemande en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, alors que Pie XII comptait encore avec confiance sur la paix, la diplomatie et la médiation, Radio Vatican s’éleva contre la politique agressive de l’Allemagne et prit la défense de ces nations «qui ne défendent qu’elles-mêmes et leurs droits contre un pays pour qui la guerre est un principe politique fondamental. Leur guerre est menée contre un pays qui a fait du culte de l’Etat un fétichisme. Aucune nation luttant pour ses droits fondamentaux ne devrait être condamnée».
Pas seulement. Lors d’une émission diffusée en Amérique du Nord en juin 1940, Radio Vatican affirmait que le pacifisme n’était plus possible dans un contexte de guerre et que la non-intervention américaine était également insensée.
Dans les divers messages de Radio Vatican, les intervenants et les speakers n’hésitaient pas à revendiquer le lien entre les concepts et les actions de justice et de charité: pas seulement la paix, mais la paix avec la justice, pas seulement la paix comme absence de guerre, mais la paix avec la justice qui la concrétise. L’idée encore floue d’une guerre juste, avec une tonalité anti-allemande, prenait forme, du moins dans les messages adressés à l’Amérique.
Dès lors que Pie XII décida d’atténuer ou de réduire au silence les prises de position polémiques de Radio Vatican contre les décisions du Reich en Allemagne, uniquement par crainte de représailles supplémentaires plus graves, le représentant diplomatique britannique auprès du Saint-Siège, d’Arcy Osborne, émit immédiatement des objections. Les messages et les retransmissions de Radio Vatican étaient constamment surveillés par le gouvernement et les services de renseignement britanniques, de même que par ceux d’autres pays d’Europe. La BBC relayait et retransmettait les messages de Radio Vatican. Ce silence soudain fit sensation et suscita l’étonnement. Du côté du Saint-Siège, le cardinal Maglione et la Secrétairerie d’Etat intervinrent à plusieurs reprises pour nier toute soumission à l’Axe ou aux menaces allemandes. Le gouvernement allemand et les techniciens allemands continuaient à perturber Radio Vatican, en superposant des signaux sur la même longueur d’onde, c’est-à-dire par des surmodulations relayées. C’est le cas, par exemple, de l’émission du 4 avril 1941, retranscrite et publiée par «La Voix du Vatican» n° 13. Celle-ci donnait des informations précises et alarmantes au sujet des violences allemandes commises en Alsace: fermeture d’églises, de couvents et d’institutions catholiques; isolement de l’évêque de Strasbourg, forte réduction de la presse catholique, limitation et contrôle des offrandes des fidèles, interdiction de l’enseignement catholique. Les faits, en revanche, étaient circonstanciés. En Alsace et en Lorraine, les violences allemandes ont bien eu lieu. L’évêque de Metz a dû quitter son siège épiscopal et la cathédrale en quelques heures.
Lorsque, en mai 1941, Radio Vatican se fit plus discrète sur la situation en Allemagne, par crainte de représailles sévères, le Pape lui-même invita Radio Vatican à diffuser des informations même sévères, mais en se référant, parfois de manière fictive, à des journaux, des notes et des récits déjà publiés par d’autres sources.
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Radio Vatican, dans ses émissions en français, alternait des passages de texte lus avec des morceaux de musique, presque tous tirés des œuvres de Beethoven. Certains mouvements des Symphonies n° 5 et n° 3 furent diffusés, sans annonce ni commentaire particulier. Radio Londres utilisait également des morceaux de Beethoven, comme un souhait de liberté.