· Cité du Vatican ·

Entretien avec le père Charles Bonin

La littérature apocalyptique nous révèle le sens de notre vie

 La littérature apocalyptique  nous révèle le sens de notre vie  FRA-010
02 septembre 2025

Zoé Caillard

Vivre dans l’Espérance du Royaume de Dieu permet à l’Homme de supporter le mal et la guerre: c’est ce qu’explique le père Charles Bonin, auteur du livre Faut-il se préparer à la fin des temps ? Espérer à la lumière de l’Evangile. Il dévoile dans cette interview le fruit de ses recherches sur la littérature apocalyptique. Le curé de plusieurs paroisses dans le diocèse de Grenoble-Vienne et ancien commissaire de la marine explique ce à quoi s’attendre à la fin des temps, selon les Ecritures, et quel y sera le rôle des croyants.

Ce livre découle d’un travail académique que vous avez ensuite approfondi, pourquoi avoir choisi de parler de la fin des temps?

Premièrement, parce que je trouve que la foi catholique ne se penche pas assez sur cette question, par peur de tomber dans le mystique, dans la séduction du fantastique. Et aussi parce que le Livre de l’Apocalypse est très symbolique, donc plutôt que de faire des erreurs, on préfère ne rien dire. Le problème c’est que cela conduit les gens à faire des erreurs dans leur propre interprétation comme dans certains milieux complotistes.

Mais c’est surtout parce qu’il s’agit de questions existentielles fondamentales: pourquoi sommes-nous sur Terre, quel est le sens de notre vie, où est-ce que l’on va, pourquoi la mort, pourquoi le mal? Dieu répond à ces questions, notamment dans les révélations apocalyptiques, qui nous font comprendre le sens de ce que l’on vit aujourd’hui. L’humanité est confrontée au mal et c’est la Parole de Dieu qui donne un sens à ce mal et au «pourquoi» de notre existence. Comme l’a dit Sénèque, «il n’est pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va», comment peut-on diriger sa vie si l’on ne sait pas dans quelle direction nous allons? Le mal vient dans le monde parce que l’Homme se détourne de sa finalité, et c’est la littérature apocalyptique qui nous parle de cette finalité, du sens de notre vie. Si on sait pourquoi on a été créé, pour le bien, pour le bonheur, pour partager la vie de Dieu dans l’éternité bienheureuse, on comprend que chaque fois qu’on va se détourner de cet objectif, on va rencontrer le contraire, le mal.

Le mal qui touche l’humanité entière, c’est notre responsabilité collective?

Oui, comme dit Dostoïevski dans les Frères Karamasov, «nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres». Il y a une respon-sabilité collective, tout est lié. Il y a des innocents qui souffrent du mal qui trouve son origine, parfois lointaine, chaque fois que l’Homme se détourne de Dieu. C’est l’exemple de l’écologie, quand le Livre de l’Apocalypse parle des désordres cosmiques qui adviendront à la fin des temps, c’est lié à l’activité des hommes. La chute de Babylone est mentionnée comme la rançon de l’exploitation déraisonnée des biens de ce Monde par l’humanité.

Existe-t-il des signes de la fin des temps observables à notre époque?

Il existe six signes de la fin des temps décrits dans les Ecritures. Premièrement, l’effondrement religieux, c’est-à-dire un contexte général de perte de la foi. Dans ce contexte, on constate la prétention à un bonheur humain. C’est ce qu’on observe aujourd’hui avec des thérapies à prétention religieuses, des gourous, ou simplement la promesse capitaliste d’un faux bonheur matériel. D’autres signes sont les troubles politiques et économiques, les «guerres et les menaces de guerre». Puis le désordre moral, la perte de repères, que l’on constate très clairement actuellement dans notre société ultralibérale. Ensuite, la persécution des croyants, qui n’a jamais été aussi élevée. Ces conditions réunies conduiront au dernier signe, l’avènement du Christ dans la gloire.

Saint Augustin au quatrième siècle observait déjà des signes de la fin des temps. Sont-ils réellement plus nombreux à notre époque où sommes-nous juste mieux informés de ce qui se passe dans le monde?

Ces signes ont toujours existé c’est vrai, il y en avait déjà au temps de Saint Augustin et il y en aura toujours car la Parole de Dieu est intemporelle et parle à toutes les époques. Cependant, aujourd’hui, cette réalité qu’est la présence du mal s’intensifie, se généralise, et surtout se coordonne. Il y a dans tous ces signes une articulation logique qui n’existait pas autrefois. Par exemple, le mal moral qu’est la surexploitation des ressources naturelles va avoir des répercussions sur la vie biologique, comme c’est le cas lorsqu’on coupe des millions d’arbres en Amazonie, créant des tsunamis en Asie.

Dans votre livre, vous parlez de la figure de l’Antichrist, quels sont les signes qui permettront de le reconnaître? Est-il à rechercher dans notre monde actuel, par exemple politique, ou est-il de nature symbolique?

Les deux. L’Antichrist, selon saint Jean qui en parle dans sa première Lettre, est une figure récapitulative de plusieurs antichrists qui auront vécu à travers l’histoire et qui concentrera en elle toutes ces figures du mal. L’Antichrist est reconnaissable car il sera hostile à Dieu tout en se faisant passer pour lui, il se déguisera sous l’apparence du bien pour faire le mal. Aujourd’hui, on fait souvent passer le mal pour le bien. Ça a toujours existé mais jamais selon moi de manière si claire et ostensible qu’à notre époque. Par exemple, l’usage de voitures électriques, que l’on considère en accord avec la défense de l’environnement, nécessite de recourir à des batteries produites en exploitant les terres rares, comme au Kivu, théâtre d’une guerre sans fin.

L’Antichrist pourrait aussi être une personne. Je crois qu’à la fin des temps, quelqu’un incarnera cette figure. D’après ma lecture des Ecritures, un leader mondial séduisant va apporter la prospérité au monde entier et sera adulé car il fera apparemment le bien. Mais sous l’apparence de ce bien, il détournera les gens de Dieu pour les conduire à lui, il va détourner le monde de sa vraie finalité. A l’inverse, le bien que nous propose le Christ n’est pas facile, il passe par ce qu’il a vécu: le don de soi, la Passion, et la Résurrection.

Peut-on espérer une paix qui ne passerait pas par cette période de chaos décrite dans les Ecritures?

C’est le cœur de ce qu’enseigne la foi chrétienne, nous devons vivre exactement le même chemin que le Christ a parcouru. Il n’a pas supprimé le mal mais l’a supporté et en est sorti victorieux, grâce à l’amour qu’il nous a montré sur la croix. Tous les -croyants sont appelés à traverser le mal avec humilité, dans la foi, l’espérance, et la charité, avec le Christ. A être eux aussi victorieux du mal. La raison pour laquelle Dieu ne supprime pas le mal, c’est parce qu’Il nous a créé libres et qu’Il nous propose ce chemin de rédemption pour à notre tour vaincre le mal.

Quand on regarde les guerres et les désordres sociaux-économiques actuels, ce n’est pas facile de trouver l’espérance. Comment faire?

Comme le Christ nous offre le Royaume, nous savons vers quoi nous allons. Et ce Royaume ne s’accomplira pas par l’avènement simple et progressif de l’Eglise, mais par le triomphe final de Dieu sur le mal. La souffrance a un sens, si elle est vécue dans la pers-pective du Royaume. Cela ne veut pas dire qu’on va moins souffrir, mais cela rend la souffrance plus acceptable. Ma vie a un sens, si je me bats pour dénoncer le mal qu’il y a dans le monde et si j’œuvre pour le bien. Je donne un sens à ma vie par le don de celle-ci. C’est en se projetant dans cette perspective que je comprends que ma vie n’est pas absurde, que je ne suis pas là par hasard.

Est-ce possible d’annoncer le Royaume dans notre société individualiste actuelle?

Non seulement c’est possible, mais aussi nécessaire. L’humanité est en perte de repères. Les gens les cherchent, parfois de manière désordonnée, en se livrant à toutes formes de dépendances. Le monde a besoin de connaître la vérité sur le Royaume de Dieu. Bien sûr, on peut vivre sans se préoccuper du sens de sa vie et de sa finalité, mais quel intérêt cela aurait-il? Sans se poser de questions, on finit par être confronté à l’absurde de notre existence. Même s’il semblerait que le monde ne soit pas prêt à recevoir cette parole, il a besoin d’entendre ça. Chercher des plaisirs, profiter de la vie, c’est une forme de déni mais lorsque l’on en sort, on se trouve face à un vide abyssal dont seule la Parole de Dieu peut nous faire sortir. D’autant plus que Sa parole ne nous empêche pas de profiter de la vie; au contraire, elle est porteuse d’une espérance qui va au-delà du profit superficiel.

Alors mille fois oui, le monde a besoin d’entendre que Dieu veut sauver l’humanité de cette désespérance, et les croyants ont le devoir de l’annoncer de manière décomplexée car c’est un trésor pour l’humanité. Et l’espérance du -Royaume qui vient rend heureux, car Dieu nous propose l’infini.

Faut-il se préparer à la fin des temps? Espérer à la lumière de l’Evangile, éditions Artege, 316 p., 19,90 euros