
Philippe Orengo
Ambassadeur de la Principauté de Monaco près le Saint-Siège
et près l’Ordre Souverain Militaire de Malte
Extrait d’une allocution prononcée lors de la Messe célébrée à Saint-Louis-des-Français, à Rome, à l’occasion de la Fête du Prince, le 28 juin 2025
Devant les perspectives terrifiantes qu’ouvre à l’humanité, trop souvent oublieuse des drames du passé, la rage de destruction dont nous sommes chaque jour les témoins dans tant d’endroits du monde et face à la nécessité qu’avait soulignée Albert Camus voici déjà 80 ans de choisir entre l’enfer et la raison, il faut de toute évidence choisir cette dernière tant la paix accompagnée de justice est le seul combat qui vaille la peine d’être mené.
Alors que notre siècle s’inscrit dangereusement dans le sillage du précédent qui a été de tous, au plus haut point celui des idéologies haineuses et celui où l’humanité aura été le témoin de la plus grande somme de désolations dévastatrices et d’horreurs de son histoire, nous avons l’obligation morale de faire le procès de la guerre et de son cortège de malheurs, d’assumer ensemble notre impérieux devoir de relever sans atermoiements l’immense défi de la Paix en montrant que l’homme, qui a été capable de rendre possible la totale destruction de l’humanité, est aussi capable de se -frayer une voie sûre vers la Paix et la Justice.
Alors que le feu continue de couver sous la cendre et que les -foyers de discorde sont autant de foyers d’embrasement, la circons-tance que nous venons d’échapper à une conflagration généralisée ne peut que nous conforter à redécouvrir des sources d’inspiration pour nous engager dans cette voie.
Voici un peu plus de trois ans, par Lettre apostolique du 21 janvier 2022, le Pape François proclamait saint Irénée de Lyon, Docteur de l’Eglise avec le titre de «Doctor Unitatis».
A elle seule, la circonstance que son nom porte l’empreinte du mot Paix, aurait justifié que la Principauté choisisse le 28 juin, date de sa célébration liturgique, pour tenir au Saint-Siège la Fête du Prince d’un Etat profondément épris de Paix et dans lequel fut créé le 20 février 1903 par S.A.S. le Prince Albert Ier, l’Institut international de la Paix en particulier dédié à l’arbitrage permanent, au désarmement général et à la prééminence du droit.
Mais à cette première raison s’ajoute l’harmonique de la théologie de saint Irénée dans laquelle sa vision de la véritable tradition chrétienne s’articule autour de trois grands axes: l’unité, la vérité et la continuité, garanties par l’Esprit Saint. Enracinée dans le passé apostolique, cette tradition n’est pas figée: elle est un dialogue vivant avec l’histoire et les défis de chaque époque. Précisément parce qu’elle met l’accent sur la réconciliation et l’unité, elle offre une vision dynamique pouvant éclairer les débats actuels sur la fidélité au dépôt de la foi face aux évolutions sociales et culturelles et à la dialectique de la paix. Elle revêt ainsi pour Monaco, fière de sa religion d’Etat qui est l’un des éléments fondamentaux de son identité nationale, une première source d’inspiration permanente en faveur de la Paix dans le monde.
Voici 730 ans, par sa Bulle Gloriosus Deus, le Pape Boniface VIII proclamait le premier Docteur de l’Eglise catholique: saint Augustin d’Hippone, accompagné de saint Ambroise, de saint Jérôme et de saint Grégoire le Grand.
Dans l’immense richesse de l’enseignement de celui qui fut consi-déré comme le Docteur de la Grâce avant même que le titre ne lui en soit attribué, ses réflexions sur la paix, qui est pour lui avec la concorde, une forme de tranquillité de l’ordre allant de pair avec la justice, occupent une place particulière. L’influence de sa pensée qui a tant inspiré l’Eglise catholique comme le montre encore la partie du catéchisme consacré à la sauvegarde de la paix mais aussi tant nourri l’ensemble de la pensée occidentale sur la paix et sur la guerre demeure elle aussi une source inépuisable d’inspiration et de méditation surtout en ce moment où notre monde désorganisé, déstructuré, déstabilisé, frôle en permanence un insondable précipice.
Saint Irénée, saint Augustin: ce n’est donc pas par hasard mais bien par conviction profonde que sur notre livret de la Messe d’aujourd’hui, deux messages de paix s’articulent autour de l’image d’un olivier: l’un du Pape François qui fait écho à son affirmation selon laquelle la Paix d’Irénée est «celle qui vient du Seigneur, qui réconcilie et qui réintègre dans l’unité», l’autre du Pape Léon XIV qui se rattache à la pensée de saint Augustin, affirmant dans La Cité de Dieu que: «la paix est un si grand bien que même dans les choses de la terre et du temps, il n’est rien de plus doux à apprendre, rien de plus désirable à convoiter, rien de meilleur à trouver».
A ces deux sources majeures d’inspiration qui nous ont chacune à leur manière appris que la racine de toutes les guerres est dans le cœur de l’homme, s’agrège celle de la 30e Année Sainte qui nous invite à un cheminement de foi dans nos propres cœurs.
En cette Année jubilaire dominée par la vertu de l’espérance dont saint Augustin disait qu’elle nous rend chrétiens, nous ne pouvons oublier ni l’exhortation du Pape François à ce que «le premier signe d’espérance» puisse se «traduire par la paix pour le monde plongé, une fois encore, dans la tragédie de la guerre» ni la formule saisissante du Pape Léon XIV qui dans sa récente catéchèse sur l’Espérance avec saint Irénée, disait «espérer, c’est relier». De fait, ce n’est qu’en mettant en relation les différents dons de l’Esprit, que nous pouvons être porteurs du rêve christique de former une famille unie dans l’amour de Dieu et étroitement assemblée par le lien de la charité, du partage et de la fraternité. En ce sens, être Pèlerins de l’Espérance, c’est mettre à profit l’Année Sainte pour faire individuellement et collectivement un retour sur nous-même, nous remettre en question, repartir sur de nouvelles bases.
Cette Année nous a déjà fait vivre d’intenses moments d’émotion accompagnés de prières ferventes: à l’affliction de la mort du Pape François a succédé l’allégresse de l’élection du Pape Léon XIV. Elle est aussi pour nous tous une consolation parce que si les morts sont invisibles, ils ne sont pas absents, et un encouragement parce qu’elle est le signe d’une formidable continuité entre ce jour du 22 février 1300, fête de la chaire de saint Pierre, où le Pape Boniface VIII promulgua la Bulle d’indiction Antiquorum habet fida relatio, et le jour du 9 mai 2024, date de la Solennité de l’Ascension, où le Pape François promulgua la Bulle d’indiction Spes non confundit.
Temps de pardon, de réconciliation, de conversion, de solidarité et de charité qui traverse les âges, l’Année Sainte est assurément tout cela à la fois et même bien plus encore. Elle devrait en tout cas être pour tous non pas seulement le temps du franchissement d’une Porte Sainte mais aussi celui où, pour reprendre une formule du Pape François «l’Esprit amène les responsables des nations et nous tous à ouvrir les portes de la paix» afin d’éviter, comme l’a si bien dit le Pape Léon XIV, que la guerre qui «ne résout pas les problèmes», ne les «amplifie» et ne «laisse des blessures profondes dans l’histoire des peuples qui mettent des générations à gérir».
N’est-ce pas Léon XIII qui disait avec justesse: «Seul celui qui aime peut fonder l’avenir»? En ce moment où plus que jamais, «l’humanité crie et invoque la paix», puisse cette vérité première nous servir de repère. Tel est en tout cas le vœu de la Principauté que j’ai l’honneur de représenter.