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L’Eglise, «artiste de paix» en Corée

 L’Eglise, «artiste de paix» en Corée  FRA-010 L’Eglise, «artiste de paix» en Corée  FRA-010
02 septembre 2025

Zoé Caillard

En cette année jubilaire placée sous le signe de l’Espérance, l’Eglise de Corée célèbre le 80e anniversaire de la libération du pays, mais déplore 80 années de division entre Nord et Sud. Sans relâche, elle œuvre chaque jour pour la paix au pays du Matin calme.

Une lutte fratricide qui ne connut
aucun accord de paix

Nation divisée par le 38e parallèle depuis 1945, la Corée est le théâtre de la plus grande guerre locale depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour Félix Lee, chercheur catholique spécialisé sur la paix dans la péninsule coréenne, interrogé par notre journal, «la paix sur la péninsule peut servir de catalyseur pour l’avènement de la paix mondiale». Oui, la guerre en Ukraine ou le conflit en Terre Sainte font de nombreuses victimes, mais la péninsule coréenne, avec ses armes de destruction massive, est un lieu de tensions croissantes, une menace majeure qu’il ne faut pas négliger. A peine libérée de la domination coloniale japonaise le 15 août 1945, la Corée est divisée en deux. Le peuple, qui espérait ensemble une nation unie contre l’envahisseur, est divisé. La joie de la libération est de courte durée, les familles séparées et plongées dans la guerre. Après trois ans de combats et des millions de morts, le conflit se termine en 1953 par une trêve. Aucun accord de paix ne sera jamais conclu.

Depuis ce jour, pour Félix Lee, «la Corée du Nord et la Corée du Sud sont engluées dans la méfiance, la haine et la tension». A la différence de certains acteurs géopolitiques ayant intérêt à diviser la péninsule, les Eglises locales réaffirment aujourd’hui que la solution au conflit passera par la réconciliation et l’unification. Cela, malgré les récents événements, tant à Séoul qui a vu son ancien président annoncer la loi martiale, puis être arrêté à deux reprises pour abus de pouvoir, insurrection et haute trahison, qu’à Pyongyang, isolée dans la haine anti-occidentale et désormais alliée avec la Russie.

Journée de prière pour la paix
et la réunification de la péninsule coréenne

Chaque année, le dimanche précédant l’anniversaire de la libération du pays, a lieu la prière pour la réunification pacifique de la péninsule coréenne. A l’occasion de cette journée, les évêques de la péninsule ont invité à se libérer d’une séparation qui «continue de causer de la souffrance» afin de vivre ensemble dans la «maison commune». Pour eux, l’unification n’est «pas une option, mais un objectif». L’Eglise est appelée à œuvrer pour «transmettre un royaume de paix aux générations futures», une paix qui ne naît pas «de la soumission de l’autre par les armes et la force».

Le Pape Léon XIV, dans son premier discours, a rappelé que l’Eglise «construit des ponts par le dialogue». Son prédécesseur, le Pape François, avait également exprimé lors de sa visite apostolique en Corée en 2014 vouloir «de nouvelles opportunités pour le dialogue, la rencontre, et la résolution des différences». Alors que les relations Nord-Sud sont actuellement tendues et menacent la sécurité et la stabilité de l’Asie du Nord-Est, pour Félix Lee, l’Eglise doit être une place publique ouverte à tous. Plutôt qu’un phare immobile en un seul endroit, Elle est une lumière de bougie qui accompagne les gens et éclaire leur chemin. C’est à l’Eglise catholique de Corée de créer un environnement où la réconciliation et la paix peuvent se réaliser. En 1995, le cardinal Stephen Kim Sou-hwan accomplit un grand pas en créant le Comité pour la réconciliation de Corée de l’archidiocèse de Séoul. L’ancien archevêque reconnaissait que «l’Eglise a la responsabilité de contribuer à la réconciliation et à l’unité de la communauté nationale», encourageant à «transformer la haine en amour, la discorde en réconciliation, et la division en unité».

Le pèlerinage «Vent de paix»:
de la haine à la réconciliation

«Il ne peut y avoir de paix dans le monde sans paix dans la péninsule coréenne», tel est l’appel lancé par les jeunes membres du pèlerinage «Vent de paix». Le Comité pour la réconciliation de Corée de l’archidiocèse de Séoul a créé il y a dix ans ce pèlerinage à pied dans la zone démilitarisée. L’objectif est d’inspirer ses participants à devenir «messagers de paix», à trouver des idées concrètes pour mener à la réunification. Cette année, il s’est déroulé du 10 au 13 juillet et a réuni 40 jeunes, dont deux transfuges nord-coréens.

«De nombreux Sud-Coréens ressentent une ambivalence lors-qu’ils pensent à la Corée du Nord», témoigne Félix Lee, «faut-il la considérer comme un frère perdu de longue date ou comme un ennemi juré qui menace notre sécurité?». Le doctorant déplore que les jeunes générations soient de plus en plus indifférentes à la question nord-coréenne, notamment les jeunes catholiques: «un climat d’apathie se répand concernant la réalisation d’une paix réelle».

Agatha, jeune sud-coréenne, témoigne avoir eu conscience de l’importance de l’unification de la Corée étant enfant, parfois jusqu’à en pleurer, puis, par lassitude, avoir perdu cet intérêt en grandissant. C’est le pèlerinage pour la paix, qui l’a aidée à se réinvestir dans cette question. Elle raconte prier désormais chaque semaine à la cathédrale de Myeongdong à Séoul pour la paix en Corée et dans le monde. Simon, transfuge nord-coréen, participait au pèlerinage cette année pour la deuxième fois. Alors que les préjugés des Coréens du Sud avaient rendu son intégration difficile lors de sa première participation, il a décidé cette année de remplir ce qu’il appelle sa mission chrétienne, d’œuvrer à son échelle pour la paix et la réconciliation. Pour lui, la paix commence par de petits pas, et non par de grands gestes. Son histoire montre que les Coréens du Nord comme du Sud peuvent travailler ensemble vers un même objectif: la paix. Pour Félix Lee, ce pèlerinage a pour objectif de «se pardonner mutuellement, surmonter la haine et emprunter le chemin de la réconciliation comme frères et sœurs». Répétant les paroles du Pape Jean-Paul II, les jeunes des deux côtés du 38e parallèle affirment ensemble que la mission des catholiques «a toujours été un travail de paix et d’unité». Jae-ho Choi, protestant ayant participé au pèlerinage, a partagé ses réflexions lors de la Messe de clôture: «Nous sommes des chrétiens qui transcendent les dénominations, et la prière m’a aidé à comprendre que la réconciliation et la paix ne sont pas quelque chose d’un futur lointain, mais quelque chose que nous pouvons réaliser dès maintenant». Il rappelle les paroles du Pape Paul VI: «La paix est une construction de chaque jour, dans la poursuite d’un ordre voulu par Dieu, qui suppose une justice plus parfaite entre les hommes».

Aucun effort pour la paix n’est de trop

En Corée, mais aussi en contribuant à l’établissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba, à la signature d’un accord de paix au Mozambique ou médiateur entre l’Argentine et le Chili, l’Eglise œuvre dans le monde entier pour la cons-truction de la paix. A petite ou à grande échelle, pour Félix Lee, l’Eglise nous enseigne qu’aucun effort pour la paix n’est de trop. Comme l’affirmait le Pape François lors de la rencontre internationale pour la paix organisée par Sant’Egidio le 30 septembre 2013, «chacun de nous est appelé à être un artisan de paix, qui unit au lieu de diviser, qui étouffe la haine au lieu de l’entretenir, qui ouvre des chemins de dialogue au lieu d’élever de nouveaux murs».