
Marine Gauchard
La Corse, ses sentiers escarpés, ses forêts denses, son maquis parfumé, ses plages aux eaux turquoise et ses rivières limpides. Chaque recoin de l’île offre un spectacle naturel saisissant invitant à l’évasion, à l’aventure mais, surtout, à la contemplation. Le surnom d’Île de Beauté prend alors tout son sens…
La côte est
En ce début du mois de juillet ensoleillé, à Macinaggio, au Cap Corse, les locaux musardent sur le port tandis que des touristes suivent le panneau où il est écrit «chjassu di i duganeri», chemin des douaniers. Ils traversent la plage recouverte d’un tapis de posidonies blanchies et séchées par le temps puis empruntent un petit chemin de terre qui monte et s’enfonce dans le maquis. Un parfum sucré flotte dans l’air. Des dizaines de mètres plus loin, au sortir des fourrés, un splendide panorama s’ouvre. Le soleil darde ses rayons sur la mer de Ligurie, et les reflets argentés font plisser les yeux. Mais la vue est si belle qu’il est impossible de détourner le regard: l’étendue bleue, et au loin, l’île d’Elbe et de Capraia s’imposent sur l’horizon. Un vent frais rend la chaleur plus supportable et fait virevolter les embruns au-dessus de l’eau.
Jadis, ce sentier était arpenté par des douaniers pour traquer les contrebandiers; aujourd’hui, on y entend parler l’anglais, l’allemand, l’italien et le français. Plusieurs plages et criques, aux eaux turquoise et au sable blanc, se succèdent le long du parcours. Le sentier, bien balisé mais rocailleux et pentu, nécessite d’être bien chaussé; il n’est pourtant pas rare de voir certains aventureux avec des nu-pieds… Après 1h30 de marche, on pénètre dans la Réserve naturelle des îles du Cap Corse. Ici, de nombreuses espèces d’oiseaux et de reptiles protégées ont trouvé leur havre de paix. Notamment dans l’archipel des îles Finocchiarola, qui aujourd’hui sert d’habitat au goéland d’Audouin, espèce endémique de la Mer Méditerranée. Des tours génoises, qui ont défié le temps et les éléments, constellent la côte. Construites au XVIe lorsque la République de Gênes dominait la Corse, elles servaient à surveiller le littoral des attaques barbaresques. Aujourd’hui, elles surveillent le va-et-vient des ferrys affluant au port de Bastia. La tour génoise de Santa Maria peut d’ailleurs être un point d’arrivée de la randonnée. Il est possible de rebrousser chemin et de retourner à Macinaggio en passant par l’arrière-pays, à l’ombre des figuiers.
Comment parler de la côte est sans évoquer Bastia? Le Vieux-Port, situé à quelques minutes du port industriel d’où affluent les ferrys, bat au rythme des Bastiais et des touristes. La journée, l’église Saint-Jean-Baptiste, la plus grande église de Corse, veille sur les eaux et les embarcations, tandis qu’en fin d’après-midi, au coucher du soleil, la lumière chaude des restaurants et le brouhaha de la foule procurent un sentiment agréable. Sur le quai sud du Vieux-Port, une inscription rappelle que le Cristu negru (le Christ noir), trouvé en mer en 1428 et aujourd’hui exposé dans l’oratoire de la Sainte-Croix, fut abrité dans une grotte du port. A quelques pas de là, un escalier mène au jardin Romieu, planté d’arbres, dont les noms sont indiqués en français et en corse, qui permet de flâner au calme, loin de l’agitation du centre-ville. Au bout du jardin, dans la Ville Haute, la citadelle génoise, perchée sur son promontoire, offre une vue imprenable sur la mer. Elle y abrite le Palais des Gouverneurs, rare exemple de forteresse palatine génoise, achevé en 1530. Dans les églises, des bougies électriques fabriquées à l’occasion de la venue de «Papa Francescu», en décembre 2024, sont encore exposées.
La côte ouest
Pour rejoindre la Balagne depuis le Cap Corse, il est possible d’emprunter les départementales 80 puis 81, qui longent la côte ouest. Les paysages qui se succèdent sont à couper le souffle, littéralement. En effet, la route est en hauteur, sinueuse et à flanc de montagne abrupt, les virages sont très serrés et les garde-fous sont bas. Les non-aguerris ralentissent la cadence, n’hésitant pas à faire des pauses afin d’admirer le paysage, tandis que les locaux épousent les courbes des virages à toute allure. L’eau à perte de vue et les im-menses rochers donnent la sensation d’être minuscule face à la nature. Sur le trajet, une usine d’amiante désaffectée, qui doit encore être démantelée, donne un air désolé et fascinant au paysage. En contrebas, les galets des plages d’Albo et de Nonza possèdent une couleur gris lune issue des poussières rejetées par l’usine au fils des années. C’est pour cette raison que Nonza est surnomée «la perle noire de la Balagne».
Arrivé à Saint-Florent, ancienne cité génoise située au creux d’un golfe, le route s’éloigne franchement du littoral pour s’enfoncer dans le Désert des Agriates. C’est la seule et unique route qui le traverse. A première vue, ce territoire semble aride et hostile. En arrière-plan, le Monte Ghjenuva, relief isolé et entouré de maquis, domine la plaine. Ce territoire est en réalité très fertile, la nature y a seulement repris ses droits.
La première grande ville après le désert des Agriates est l’Île-Rousse. Cette cité portuaire a été fondée en 1765 par Pasquale Paoli, surnommé U Babbu di a Patria (Le Père de la Patrie), principal opposant à la domination génoise et à la conquête française de l’île. Le parking gratuit près de la gare est un bon point de départ pour visiter la ville. L’Île de la Pietra, îlot rocheux de porphyre rouge situé non loin, vaut le détour. Le bleu profond de la mer et la couleur rosée de la roche s’associent parfaitement. Il faut traverser la digue et longer le port puis emprunter le chemin qui passe devant la tour génoise de la Pietra, qui veille sur les visiteurs. Le chemin, qui se trouve en bord de mer, défiera les personnes souffrant de vertige. Mais l’effort en vaut la peine. Le bruit de ressac berce la montée jusqu’au phare blanc à lanterne verte, qui culmine à 64 mètres. Une maisonnette de gardiennage, qui semble non habitée, y est accolée. La vue sur la ville, le littoral et l’arrière-pays est magnifique, bien que les monts du désert des Agriates, au loin, forment des masses foncées presque menaçantes.
Le Centre
Dans le Centre, le paysage change radicalement. Le maquis disparaît au profit du pin de Corse, le pin laricio. Dans la Castagniccia, région naturelle un peu plus à l’est, ce sont des châtaigniers multicentenaires qui recouvrent le territoire. Dans le ciel, de nombreux milans royaux, reconnaissables à leur queue échancrée et leurs taches claires sous les ailes, planent à la recherche d’un repas. Sur la route, un panneau revient régulièrement: «Attention, animaux en divagation». La divagation, c’est la présence d’animaux, ici de bétail, en liberté sur la voie publique, qui constitue un véritable problème. En effet, il n’est pas rare de croiser une vache qui paît au tournant d’un virage ou un cochon qui se repose à l’ombre d’un châtaignier. Sympathique au premier abord mais en réalité dangereux aussi bien pour les personnes que les animaux.
La visite de Corte, chef-lieu de la microrégion du Cortenais, est un incontournable. L’avenue et la place principales concentrent l’activité et les commerces. Jour comme nuit, les terrasses fourmillent de monde. Dans la ville haute, de nombreuses maisons en toit de lauze ont conservé un fort accent du passé.
Au sud de la ville se trouve un trésor qu’il ne faut surtout pas rater: les gorges de la Restonica. Tout au long de la route étroite qui relie Corte aux gorges, un paysage rocailleux se dévoile. Un petit parking gratuit, au niveau de la passerelle de Chjarasgiolu permet de s’arrêter et de s’immerger dans ce paysage montagneux. Un sentier botanique longe la rivière et permet de découvrir les différentes espèces d’arbres peuplant la zone. Le bruit continu de la course mouvementée de la rivière est ponctué d’éclats de rire d’enfants qui nagent et jouent dans l’eau limpide et fraîche, à l’ombre des pins. Les rochers sont assez grands pour y étendre une serviette et lézarder, bercé au rythme de l’eau.
Terre de contraste et d’émotions, la Corse offre à ses visiteurs une immersion totale dans un environnement sauvage et préservé. Jean-Jacques Rousseau, dans son Contrat social, avait raison quand il écrivit: «J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe».