· Cité du Vatican ·

Une semaine sous le signe de l’espérance et de l’attente

 Une semaine sous le signe  de l’espérance et de l’attente  FRA-009
07 août 2025

Zoé Caillard

Lundi 28 juillet

Le Jubilé des jeunes commence dans un violent orage alors que j’attends le bus à la gare de Termini, à Rome. Je me suis inscrite il y a plusieurs mois pour prendre une pause dans mon quotidien et réfléchir au sens que je veux donner à ma vie. Issue d’une famille majoritairement non croyante, la foi a toujours été synonyme pour moi de débat et de réflexion, mais je sais parfois y trouver certaines réponses à mes interrogations de jeune femme de 23 ans. Ainsi, c’est la tête remplie de questions et d’espoirs que je commence cette aventure.

Mardi 29 juillet

J’arrive à 8h30 à la Trinité des Monts où sont réunis les 2.000 français et quelques 500 jeunes du reste du monde avec qui j’allais passer ce jubilé. On nous annonce le thème de cette semaine, choisi par le Pape François: l’espérance.

Sophia Kuby, convertie au catholicisme à 18 ans, auteure et maître de conférences, nous parlera de ce thème tous les matins. Qu’est-ce que l’espérance? Si on espère et que l’on obtient ce que l’on veut, il est normal de croire en Dieu, affirme-t-elle. Nous avons la preuve qu’il ne nous a pas oubliés. Là où cela devient intéressant, c’est lors-qu’on espère sans obtenir. Si l’on est habité par l’espérance uniquement lorsqu’on obtient ce que l’on veut, alors nos certitudes sont sujettes aux aléas de la vie, et bien fragiles. Or, le futur est rempli de risques existentiels, surtout pour les jeunes. Comme moi, beaucoup se demandent s’ils seront toujours essentiels face à la modernisation de la société, notamment avec l’avènement de l’intelligence artificielle. Il est particulièrement -anxiogène de vivre dans un monde où l’on est en permanence au courant de tout ce qui ne va pas. Selon une étude portant sur 23.000 jeunes de la génération Z (nés entre 1997 et 2012) dans 45 pays, 46% des jeunes seraient victimes d’anxiété et de stress. Face à ce phénomène, Sophia Kuby prétend que la solution est l’espérance, espérer comme des enfants de Dieu quelles que soient les épreuves, car une relation personnelle avec Lui nous est offerte. Suite à cela, je choisis de me rendre à une conférence sur la science et l’espérance, pour autant, cela ne répond pas à mes questions. Si la science répond à la question du «comment», Dieu nous apprend «pourquoi» affirme l’intervenante, qui ajoute: «Vous êtes les gardiens de la dignité humaine à l’âge de l’innovation». Cela ne m’aide pas beaucoup à y voir plus clair et le poids qui pesait sur mes épaules me semble désormais peser également sur toute ma génération.

Si le lecteur se souvient de mes interrogations initiales quant à mon futur, il comprendra que ces deux conférences, en plus de ne pas m’avoir rassurée, m’ont également inquiétée. Le bon côté des choses, c’est que 46% des jeunes sont dans la même situation, et que nous sommes un million à pouvoir y réfléchir ensemble cette semaine. C’est sur ces réflexions que je pars pour Saint-Pierre afin d’assister à la Messe d’ouverture du Jubilé.

Trois heures trente de queue, sept nouveaux chants appris, et un nombre incalculable de drapeaux non identifiés plus tard, je pénètre enfin sur la place Saint-Pierre. Cette place si bien connue des Romains, je la vois comme jamais auparavant, parée des couleurs des drapeaux et illuminée par les flashs des téléphones portables. La Messe se déroule dans toutes les langues, et bien que la plupart des gens n’aient pas installé l’application de traduction disponible, tous sont attentifs et le silence qui règne témoigne du recueillement de ces jeunes qui ont chanté toute la journée. L’homélie porte sur Marthe et Marie et Mon-seigneur Fisichella affirme: Jésus appelle comme il le veut et quand il le veut, et il souhaite trouver des personnes prêtes à accourir et à le suivre où il désire nous conduire, vers le vrai bonheur et la liberté. Une phrase m’a particulièrement marquée: puisque l’on veut que Dieu respecte notre liberté, nous devons également respecter la sienne. Combien de fois ai-je demandé un signe sans en obtenir? Je tenais peut-être ici une réponse à l’une de mes questions. L’archevêque conclut en donnant cette mission à la foule de jeunes assemblés sur la place: construire ensemble la paix chaque jour, pour que le monde la reçoive.

Alors que je me dirigeais vers la sortie, pensant m’esquiver avant la foule, une annonce provoque l’hystérie sur la place: le Pape a décidé de nous faire une surprise, il arrive! Alors qu’il fend la foule à bord de sa papamobile, tous se précipitent pour tenter de l’apercevoir et je monte sur les épaules d’un compagnon bien aimable pour prendre un cliché du Saint-Père.

Mercredi 30 juillet

J’arrive à la Trinité-des-Monts, le thème de la deuxième journée est: miséricorde, qu’est-ce qui m’empêche d’espérer?

Sophia Kuby est de retour pour un deuxième épisode et nous livre les trois raisons qui selon elle, nous empêchent de devenir des messagers de l’espérance. Premièrement, espérer en suppliant et non comme un enfant de Dieu. Ce n’est qu’en laissant Jésus entrer dans notre cœur qu’Il pourra donner du sens à notre vie, dans les bons comme dans les mauvais moments. Deuxièmement, laisser nos sentiments prendre le contrôle. Dieu nous a créé avec des émotions pour que nous les analysions, car derrière ces sentiments fluctuants se cachent nos désirs profonds et c’est précisément là que Dieu veut nous rencontrer. Enfin, le troisième obstacle entre nous et l’espoir, c’est laisser nos ambitions déterminer qui nous sommes. Ce que nous voulons, une carrière par exemple, ne fait pas notre identité. L’intervenante nous met en garde contre la course à la performance qui domine notre époque et rappelle que nous sommes créés à l’image de Dieu et que nous n’avons besoin de rien pour Lui ressembler. Voilà qui est déjà plus rassurant pour la jeune femme que je suis, qui enchaîne les masters et emménage chaque année dans un nouveau pays, pour trouver sa voie dans la vie mais aussi pour avoir le sentiment d’être quelqu’un.

Plus tard dans la soirée, j’assiste à une veillée de miséricorde. Ignorant presque les paroles de l’archevêque la veille nous exhortant à respecter la liberté de Dieu et à garder l’espérance même quand nos prières ne sont pas exaucées, je demande une répon-se à Dieu quant à ma question initiale: que faire de ma vie? Il semble néanmoins que Dieu réponde à mes caprices, car je m’approche de l’autel et pioche cette parole de Jérémie dans un petit panier: «Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Eternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance». Il ne pouvait pas être plus clair. Alors que les jeunes autour de moi vivent le sacrement de réconciliation et prient devant le Saint-Sacrement, je rencontre Angelo, italien. Il est venu pour le Jubilé après des années de questionnements. Ce soir, il s’est confessé, cela faisait 20 ans qu’il n’avait pas reçu ce sacrement. «Une nouvelle étape de ma vie commence», affirme-t-il, «voilà la preuve que Dieu est toujours prêt à t’accueillir dans ses bras». Pour lui, cette semaine est le terme d’un parcours intérieur où il s’est rapproché de la foi, «c’est grâce aux personnes rencontrées que j’ai pu trouver les réponses à mes questions, tout seul, je n’aurais pas pu», témoigne-t-il.

Jeudi 31 juillet

A la Trinité des Monts, le thème de la journée est: devenir des témoins d’espérance.

Sophia Kuby nous apprend aujourd’hui que devenir des pèlerins d’espérance passe par cultiver l’impatience dans nos cœurs. La vie chrétienne, selon elle, est un voyage de transformation dont la clé est de renouveler nos esprits pour passer d’une perspective humaine à une perspective divine. Ne plus être submergé par les problèmes, mais placer son espérance dans les solutions que Dieu nous apportera. Elle affirme que le -Royaume de Dieu n’est pas qu’un paradis abstrait mais commence sur terre, et que c’est à nous de le rendre concret, que nous pouvons tous accomplir des miracles avec la foi.

Plus tard, je rencontre le groupe de jeunes qui m’est assigné, une fraternité, ou frat, comme on les nomme dans le jargon. Ils ont tous plus ou moins mon âge et viennent de France, mais aussi des Pays-Bas ou de République tchèque. Ils sont bénévoles, musiciens, ou ont été attirés à Rome par leur désir de rencontrer Dieu. Comme moi, certains se posent des questions. Willem notamment, qui se demande comment accueillir les épreuves de sa vie avec espérance. Ou Jean, qui voudrait apprendre à être moins dans l’action et plus dans la prière. Nous prions ensemble, mangeons ensemble, puis partons évangéliser ensemble dans la rue. Cet exercice n’ayant rien d’instinctif pour moi, je suis les plus expérimentés d’entre nous et me contente de distribuer les paroles de Dieu et les médailles miraculeuses. J’es-saye de ne pas attacher trop d’importance à la femme qui s’enfuit en courant après avoir vu notre Bible ou au touriste qui nous repousse, pensant que les médailles étaient à vendre. Je retrouve le sourire en rencontrant une Mexicaine, puis un Croate, qui, bien que déjà croyants, acceptent de prier avec ceux qui m’accompagnent.

Vendredi 1er août

C’est à Saint-Jean-de-Latran que je décide de passer la Porte Sainte. Alors que nous sommes dans la queue au milieu du quart de million de pèlerins ayant eu précisément la même idée, je fais la connaissance d’Emmeran, jeune français venant de passer la porte. «J’ai ressenti un sentiment de communion» , décrit-il, «simplement la joie d’être là au milieu de tous ces jeunes du monde entier ». Il m’apprend ensuite que la démarche jubilaire est en réalité ancienne de plusieurs milliers d’années, et constituait déjà un temps de remise des dettes au temps des Juifs. Alors qu’il sait déjà qu’il sera à Rome dans 25 ans, il me dit, en attendant, vouloir espérer tous les jours, pas simplement attendre la vie éternelle, mais espérer chaque jour que le Seigneur va nous donner une belle journée et notre pain quotidien. Alors que je passe à mon tour la Porte Sainte, je ressens moi aussi cette joie de vivre une expérience unique.

Samedi 2 août

Voilà que commence le grand jour à Tor Vergata. Après avoir pris le métro et marché jusqu’au site, bien équipée pour passer les deux prochains jours accompagnée de mes 900.000 colocataires, arrive le moment crucial de choisir un emplacement. Pour une fois, je suis en avance et me positionne donc en zone 1 tour G. Commencent alors les longues heures sous le soleil, on chante, on joue aux cartes, on mange en quelques heures les rations de nourriture cen-sées être pour le lendemain, on écoute des témoignages, parfois un groupe de jeune s’enflamme et le campement établi se trouve piétiné mais rien de tout cela n’a d’importance car aux alentours de 18h, nous sommes sortis de notre attente par le « papacoptère »: le premier Pape américain survole la foule qui l’attend, nous surprenant tous dans son hélicoptère blanc, avant de remonter le parterre de fidèles dans sa traditionnelle papamobile. Du haut de ma petite colline, je vois le mouvement de la foule courir pour voir le Pape, d’une barrière à l’autre, puis c’est à moi de courir au son des «esta es la juventud del -Papa». Le Pape Léon XIV porte ensuite la croix jusque sur la scène, évoquant pour moi tant la simplicité que la force et la puissance de la foi catholique. Plus tard dans la soirée, il m’impressionnera, à genoux devant la croix et nous nous dirons avec mes compagnons d’aventure: «tant qu’il reste à genoux, nous aussi». C’était sans compter sur le fait que cet homme de 69 ans semble avoir des genoux bien plus puissants que les nôtres. Le Pape a également répondu à quelques questions, et une particulièrement m’a marquée. Une Italienne lui a demandé comment avoir le courage de choisir ce que l’on voudrait être. L’idée n’est pas de choisir quelque chose a répondu le Pape, mais quelqu’un. Quelle femme devenir. Choisir, c’est choisir l’amour, choisir de façon radicale, libre, choisir ce qui rend heureux. Pour le Pape, c’est donner sa vie pour les autres qui lui donnera son sens. Des paroles qui m’ont réconfortée et qui m’ont donné des pistes de réflexion pour ma propre vie.

Après le départ du Saint-Père et de la presse, donc de l’attention du monde, la nuit fut mouvementée. En première partie, par des Mexicains en masques traditionnels jouant du tambour, rejoints par plusieurs centaines de pèlerins ayant pensé qu’il s’agissait là d’une berceuse adéquate pour le reste d’entre nous. Cette foule en liesse ne fut calmée que par la pluie qui nous frappa tous sans distinction, nous poussant à nous réfugier dans nos sacs de couchage, attendant que l’averse passe.

Dimanche 3 août

A 6h30, mouillée et fatiguée mais néanmoins joyeuse, la foule se réveille et se prépare à accueillir le Pape. En faisant 1h30 de queue pour aller aux toilettes, je reçus un beau témoignage d’espérance. Alors que, dépitée, je vois le Pape remonter les allées dans sa voiture, imaginant manquer ma chance de l’apercevoir, j’eus la merveilleuse surprise de voir la papamobile passer juste à côté de nous pour saluer les pèlerins dans la file d’attente. Qui a dit que Dieu ne nous retrouvait pas dans le concret des nos vies humaines?

Plus tard se tient la Messe finale. Grandis de tout ce que nous avions vécu dans la semaine, nous avons tous prié ensemble, pour l’avenir du monde, pour cette grande responsabilité qui pèse sur notre génération, pour la paix, pour Gaza, pour l’Ukraine. Et après tout, si le monde entier a pu se réunir ainsi, choisir pour cette semaine le thème de l’espérance était, sans aucun doute, approprié.

Durant les six heures qu’il m’a fallu pour rentrer à Rome, évacuer un million de personnes n’étant pas aisé, je réfléchis à ce que j’ai appris cette semaine. Finalement, j’ai compris qu’il n’y avait pas de bonne manière de croire ou d’espérer. L’objectif n’est pas d’avoir tout compris. Je réalise que le point commun qu’avaient tous ces jeunes qui m’ont marquée, ce n’est pas de suivre aveuglément des principes, c’est d’avoir une foi vivante, de se poser des questions et de chercher ensemble les réponses qui donneront du sens à nos vies. Il n’y a pas de guide pour être catholique comme il n’y a pas de guide pour bien réussir sa vie, l’important, c’est de ne pas se reposer sur ce que l’on a, ou sur ce que l’on sait, c’est de toujours chercher Dieu.