
Comment le monde numérique peut-il communiquer la foi? Tel est le fil d’ariane qui a sous-tendu le Jubilé des missionnaires numériques et des influenceurs catholiques, qui a eu lieu les 28 et 29 juillet à Rome et qui a rassemblé 1.100 participants provenant de 146 pays. Lundi 28 juillet, ces derniers se sont réunis à l’Auditorium via della Conciliazione, près du Vatican, pour une conférence où sont intervenus le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat; Mgr Rino Fisichella, pro-préfet du Dicastère pour l’évangélisation et responsable de l’organisation de l’Année Sainte, ainsi que Paolo Ruffini et Mgr Lucio Ruiz, respectivement préfet et secrétaire du Dicastère pour la communication. Deux réflexions ont été proposées par les jésuites David McCallum, directeur exécutif du Discerning Leadership Program, et le père Antonio Spadaro, sous-secrétaire du Dicastère pour la culture et l’éducation, sur les Ecritures comme expérience unificatrice authentique, et sur la relation entre théologie et mission «à l’ère des réseaux et des algorithmes».
Cardinal Pietro Parolin:
«Renouveler l’environnement numérique»
Le secrétaire d’Etat a évoqué les objectifs des réseaux sociaux, dont le premier est de fournir des informations. Mais, a-t-il précisé, «ce qui fait de nous des personnes, c’est notre capacité à nous poser des questions». Et la question qui interpelle tout le monde aujourd’hui est celle de savoir: «Comment le monde numérique, qui transforme rapidement les dynamiques sociales, peut-il devenir un communicateur de foi?». Car «les voies déjà empruntées par l’Eglise, a rappelé le cardinal, consistent à «être dans le monde, mais pas du monde», «d’habiter le temps sans y appartenir». C’est pourquoi la communauté ecclésiale ne peut rester passive face à ces changements historiques, mais elle est appelée à adopter une attitude de dialogue et de mission. La technologie, a observé le cardinal Parolin, «n’est plus seulement un outil parmi d’autres: elle est devenue un langage, une façon d’habiter le monde. L’Eglise ne doit donc pas appliquer des «schémas préétablis», mais «cultiver la créativité». L’évangélisation ne peut se réduire à une question technique ou éducative, car le numérique «représente aujourd’hui une véritable dimension de la pensée et de la communication». Il ne s’agit pas d’élaborer «des stratégies», mais de «garantir une présence imprégnée d’humanité». «Faire de la mission numérique signifie assumer le rythme, les blessures, les questions et les recherches de ceux qui habitent cet espace, sans céder à l’anonymat, à la superficialité ou aux tentations du protagonisme». La mission, a observé le cardinal, exige toujours «un style chrétien, qui privilégie les rencontres authentiques plutôt que les simples discours, et la vérité plutôt que ce qui plaît». Evangéliser n’est pas «un privilège réservé à ceux qui maîtrisent les outils numériques, mais une responsabilité qui incombe à tous».
Mgr Rino Fisichella:
«Redécouvrir la valeur
du silence»
«Lorsque nous parlons d’évangélisation, nous avons tendance à nous concentrer sur le contenu, et nous oublions souvent qui évangélise et qui est évangélisé». Le pro-préfet du Dicastère pour l’évangélisation a attiré l’attention sur la dimension relationnelle et personnelle de l’annonce chrétienne. Face à la mission d’évangélisation, «le désir de découvrir quelque chose d’authentiquement vrai reste fort». La première étape à franchir, a-t-il poursuivi, est de reconnaître que «nous sommes des instruments, et non la fin de la grâce». Saint Paul VI, dans -l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, écrivait que le monde écoute plus volontiers les témoins que les maîtres. Aujourd’hui, «le monde n’écoute pas les influenceurs en tant que tels, mais les écoute lorsqu’ils sont témoins». Une autre tâche essentielle consiste «à aider à redécouvrir la valeur du silence — aussi paradoxal que cela puisse paraître — comme condition préalable à une écoute authentique». Ce n’est qu’ainsi «que l’on apprend vraiment à ressentir les émotions de son prochain». «Nous avons souvent l’habitude de juger, de dire que c’était mieux quand nous étions jeunes. C’est une erreur», a-t-il fait remarquer. D’où l’invitation à «écouter attentivement ce qui est communiqué aujourd’hui, sans préjugés et avec un cœur ouvert».
Paolo Ruffini:
«Ne jamais transformer
la communauté en public»
«Nous sommes des pèlerins d’une espérance qui transcende», a déclaré le préfet du Dicastère pour la communication. Rappelant la vocation profonde de l’Eglise, Paolo Ruffini a affirmé que «nous vivons une époque difficile, mais l’Eglise était un “réseau” bien avant que celui-ci ne devienne le web». Ce qui unit aujourd’hui, «même à une époque marquée par le numérique, riche en promesses mais aussi en risques, c’est une vision de l’Eglise comme communauté faite non pas d’algorithmes ou de chatbots, mais de personnes réelles. Un réseau imparfait, qui devient une seule chose dans le baptême, où personne n’est au centre, mais où chacun cultive le désir de se faire petit pour que Jésus soit glorifié». Il a ensuite esquissé certains défis les plus urgents: la désinformation, la désagrégation, l’isolement. «Nous vivons dans une tension permanente entre le non-sens et la recherche de sens, entre la peur de passer à côté de quelque chose et le désir de trouver quelque chose, entre le défilement infini et la rencontre authentique», mais «nous ne pouvons pas rester immobiles, ni nous réfugier avec nostalgie dans une autre époque… Nous avons le devoir de faire notre part, ici et maintenant. Sans vanité, avec simplicité, sans nous soustraire à nos responsabilités». L’«Eglise, a-t-il souligné, a besoin d’une culture médiatique, d’une formation pour habiter ces nouveaux environnements avec conscience et responsabilité. Un chemin qui n’est jamais solitaire», car «la mission est commune». Contre la logique consumériste qui menace de réduire la culture à un produit, il a indiqué la voie d’une culture communautaire, capable de résister à l’individualisme. «Personne ne se sauve seul, a-t-il rappelé, et nous ne serons pas non plus ceux qui sauveront les autres. Mais nous pouvons offrir une alternative: la vérité d’une rencontre». Et donc un changement dans la relation entre influenceurs et abonnés selon le modèle chrétien: «Viens et suis-moi». Une invitation à redonner de la profondeur au mot «amitié», en distinguant «la performance du partage sincère, celui qui crée des liens réels, égaux, humains».
Au cours de la journée, deux tables-rondes ont permis un échange d’expériences sur la mission numérique, avec des représentants internationaux, et sur les saints influenceurs de Dieu. A 21h30, le cardinal José Cobo Cano, archevêque métropolitain de Madrid, a présidé l’adoration eucharistique et la liturgie pénitentielle en la basilique Saint-Pierre.
La Messe présidée
par le cardinal Tagle
Mardi 29 juillet, la journée a débuté à 8h00 avec un rassemblement sur la Piazza Pia, d’où est parti le pèlerinage jusqu’à la basilique Saint-Pierre dans laquelle, à 10h00, a eu lieu une célébration eucharistique présidée par le cardinal Luis Antonio Tagle, pro-préfet du Dicastère pour l’évangélisation à l’autel de la Chaire. «Que signifie l’influence?» s’est demandé le cardinal dans son homélie. Influencer, c’est avoir «la capacité ou le pouvoir de conditionner ou changer quelqu’un ou quelque chose». Un mot d’origine latine: «Influere signifiait courir à l’intérieur». L’influence se référait à «un fluide qui, croyait-on, partait des étoiles pour induire les personnes à se comporter de telle ou telle manière». Mais, de quelles étoiles s’agit-il, s’est interrogé le cardinal philippin, qui a souligné combien aujourd’hui encore, notre vie quotidienne est un réseau d’influences, provenant de notre famille, de notre travail, de notre culture, des politiques, et combien nous influençons autant que nous sommes influencés. «La terre et l’environnement nous conditionnent, comme notre activité conditionne la planète». Le cardinal a ainsi mis en garde contre les influences vénéneuses qui existent aujourd’hui — la corruption, la coercition, la soumission et la famine en leur demandant d’y opposer l’amour de Dieu, en se montrant à l’écoute comme Marie ou zélés comme Marthe. Deux personnages bibliques, avec Lazare, qui «peuvent être pour nous des modèles de missionnaires numériques».
Le salut du Pape Léon XIV
«Renouveler votre engagement à nourrir d’espérance chrétienne les réseaux sociaux et les milieux numériques» parce que «la paix doit être recherchée, annoncée, partagée partout, tant dans les lieux dramatiques de la guerre que dans le cœur vide de ceux qui ont perdu le sens de l’existence». Telle est la consigne confiée par le Pape Léon XIV qui a rencontré les participants au Jubilé des missionnaires numériques et influenceurs catholiques, au terme de la Messe célébrée par le cardinal Tagle. Dans son salut en italien, anglais et espagnol, le Pape a identifié deux autres défis: chercher toujours dans les espaces numériques «la “chair souffrante du Christ” dans chaque frère et sœur. Nous vivons aujourd’hui dans une culture nouvelle, profondément marquée et construite avec et par la technologie. C’est à nous — c’est à vous — de faire en sorte que cette culture reste humaine» a-t-il dit. Le -deuxième défi est celui de construire «des réseaux de relations, des réseaux d’amour, de partage gratuit… où l’on peut recoudre ce qui est déchiré, où l’on peut guérir de la solitude, sans compter le nombre d’abonnés», mais en donnant «plus de place à l’autre», où «aucune “bulle” ne peut couvrir la voix des plus faibles». D’où son exhortation finale à laisser tomber les masques et à être des «agents de communion, capables de briser les logiques de division et de polarisation, d’individualisme et d’égocentrisme» pour «vaincre les logiques du monde, des fausses nouvelles, de la frivolité, avec la beauté et la lumière de la Vérité».