· Cité du Vatican ·

Internet et les jeunes catholiques

Une nouvelle terre d’évangélisation

 Une nouvelle terre d’évangélisation  FRA-008
01 juillet 2025

Zoé Caillard

Il y a 2000 ans, en Terre Sainte, les disciples de Jésus évangélisaient sur les places publiques. Aujourd’hui, dans le monde entier, ils ont investi la nouvelle agora: internet et les réseaux sociaux en particulier.

Un bond spectaculaire des baptêmes
chez les jeunes en 2025

Si les méthodes semblent différer, les résultats de cette nouvelle évangélisation numérique n’en sont pas moins impressionnants, l’enquête annuelle de la Conférence des évêques de France (CEF) faisant état d’une augmentation de 45% de baptisés à Pâques en 2025, dont 42% de 18-25 ans. Ils étaient nombreux à Pâques et nous avons également vu les églises pleines le soir du Mercredi des Cendres, alors que les jeunes se filmaient avec une croix sur le front ou donnaient leurs conseils sur les réseaux sociaux pour vivre le Carême. Quelles sont les raisons de ce nouvel élan des jeunes vers l’Eglise et quelle place joue internet, et plus spécifiquement les réseaux sociaux, dans cette vague de conversions? Qui sont ceux qui ont répondu à l’appel du Pape François à «évangéliser le continent numérique» et quelles sont les limites de cette pratique?

Une génération en quête de repères et de spiritualité

L’augmentation du nombre de catéchumènes et baptisés a été un mouvement progressif qui peut s’expliquer par plusieurs raisons, analyse le père Julien Dupont, délégué national à la Pastorale des jeunes et des jeunes pros à la CEF. On peut premièrement interpréter ces chiffres à la lumière de la diminution du nombre de baptêmes d’enfants: n’étant pas baptisés petits, c’est une démarche que ces jeunes effectueront plus tard de façon autonome. Mais ce n’est pas la seule explication. Beaucoup de jeunes expérimentent également une quête spirituelle et cherchent des réponses que «la société actuelle, assez con-sumériste et individualiste, n’apporte pas». Ces questionnements sont également souvent accompagnés d’un élément déclencheur, affirme le curé de la paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Niort, qu’il s’agisse de la rudesse de la vie ou de problèmes personnels et familiaux, qui pousse les jeunes à «regarder autrement le temps qui est le leur». Le père Benoît Pouzin, prêtre dans le diocèse de Valence, «missionnaire numérique» auteur de trois livres dont deux sont consacrés aux jeunes, a pris conscience de l’omniprésence des jeunes sur internet. Il a voulu aller les chercher et répondre aux questions qu’ils se posent avec une plus large portée. Le prêtre confirme que cet engouement pour la foi catholique vient d’abord d’une quête de sens. Il s’agit de «toute une génération où la foi n’a pas été transmise: certains ont été baptisés bébés puis, les rencontres ou les réseaux les secouent et leur donnent envie de raviver cette petite flamme». Pour le père Pouzin, c’est «une vraie soif de sens, dans un monde qui ne tourne pas très rond et qui a passé l’étape de la liberté et du bien-être absolu dans la consommation. Beaucoup de jeunes se posent des questions écologiques ou éthiques». La foi apporte, selon le prêtre, des ré-ponses aux grandes questions existentielles, mais également des moments de communion et de joie que le monde individualiste actuel ne permettrait plus.

Quand le numérique ouvre la porte de l’Eglise

Pour le père Pouzin, beaucoup de gens vivent dans l’indifférence, ils disent avoir la foi mais ne l’approfondissent pas, n’entrent pas en contact avec l’Eglise, et ont besoin par conséquent d’être «secoués». Celui-ci se sert donc des réseaux sociaux comme d’un outil qui doit être une porte d’entrée dans l’Eglise. Si les nouveaux moyens de communication sont parfois accusés d’être «une plaie sans nom», pour lui, les gens passant en moyenne sept ou huit heures par jour devant leur écran, ces moyens représentent plutôt «un outil pour faire passer la Bonne Nouvelle» et l’Eglise encourage à vivre cette mission. C’est ainsi que Sabrina — 18 ans et ayant reçu la communion pour la première fois en ce mois de juin — a redécouvert sa foi. Baptisée enfant mais ayant grandi dans une famille non pratiquante, elle révèle que les réseaux sociaux ont eu une grande place dans sa vie de foi, principalement au début de son parcours lorsqu’elle a commencé à se poser des questions sur la religion et a voulu approfondir ses connaissances. La jeune fille a d’abord été exposée à un contenu catholique par hasard puis de plus en plus souvent, et a fini par s’abonner à des comp-tes parlant de la foi chrétienne qui lui ont permis de renforcer sa foi. Pour la jeune catholique, l’évangélisation numérique est une bonne chose, c’est «un -moyen d’évangélisation simple et rapide qui touche tout le monde». Pour elle, cela rend la foi accessible, moins intimidante pour les jeunes car ils peuvent se référer à des influenceurs qui leur parlent. C’est ce que le père Pouzin a ressenti durant sa mission d’évangélisation: pour lui, sans les réseaux sociaux, beaucoup de jeunes n’oseraient peut-être jamais entrer en contact et se rapprocher de l’Eglise. «Les téléphones portables sont ce qui les relient aux autres et au monde, c’est notre chance de dire aux jeunes de venir vers nous».

Entre soif de vérité et limites
du numérique

Les réseaux sociaux apportent certaines réponses à des questions existentielles ou personnelles comme le sens de la vie ou l’éthique, mais aussi sur la liturgie, la prière, les sacrements. Pour Sabrina, on n’y trouve bien sûr pas toutes les réponses, mais elle y fait souvent des recherches, estimant qu’il s’agit d’un outil rapide et pratique. Si le père Dupont admet que les jeunes sont en quête de vérité, il rappelle que la vérité est une personne: Jésus-Christ. L’enjeu n’est donc pas de leur apporter une «bonne» réponse, mais plutôt de «leur montrer des options pour suivre le Christ», de les encourager dans leur quête de la vérité, comme l’encourage le Concile Vatican II. Ce qu’il admire dans la démarche de vérité que suivent ces jeunes, ce n’est pas lorsqu’ils cherchent à confirmer les propos entendus en ligne, mais quand ils «s’ouvrent à quelque chose qui les dépasse bien au-delà de ce qu’ils imaginaient». Le curé de paroisse affirme que les jeunes cherchent des réponses de différentes manières, par les réseaux sociaux, mais également par de simples recherches en ligne ou encore avec l’intelligence artificielle. Si cela paraît simple, il affirme que l’enjeu de l’IA consiste à savoir s’il s’agit de «la bonne information pour la bonne personne au bon moment». C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’éduquer aux enjeux numériques et surtout de toujours privilégier la rencontre et le dialogue en personne. C’est également l’avis du père Benoît Pouzin qui explique toujours renvoyer vers un prêtre lors-qu’on lui pose des questions en ligne.

Evangéliser en ligne, mais avec éthique et cohérence

Si l’évangélisation numérique peut sembler une forme de communication plus directe, partant d’une initiative spontanée, il existe en réalité des règles de conduite à suivre pour toucher véritablement son audience. Le délégué national à la pastorale des jeunes s’en réfère aux 10 commandements du chrétien sur les réseaux sociaux, imaginés par le Mouvement eucharistique des jeunes. Plus qu’une «manière de faire», il explique qu’il s’agit d’une «manière d’être en relation»: «tu tisseras des liens dans le monde virtuel mais tu tâcheras de les vivre dans le monde réel». Selon le prêtre, trouver du savoir en ligne est une bonne chose, à la condition que cela s’accompagne de relations concrètes avec les autres car «tout l’enjeu de la vie chrétienne est de favoriser ces rapports qui permettent de grandir et d’espérer». Le Vatican lui-même, à travers un texte publié en 2023 par le Dicastère pour la communication, invite les croyants à une «présence totale» sur Internet, ce qui nécessite d’être «authentique». Le 7 septembre sera canonisé Carlo Acutis, surnommé le «geek de Dieu», ou encore «cyber-apôtre». A la manière dont il a fait connaître ses Miracles eucharistiques dans le monde entier, de façon crédible et avec simplicité, les missionnaires numériques sont invités à «témoigner en ligne pour donner le goût de rencontrer le Christ lui-même», rappelle le père Dupont. Sabrina confirme en effet que ce qui l’a touchée sur les réseaux sociaux, c’est «surtout l’authenticité des personnes qui partageaient leur foi». Elle s’est reconnue dans leurs doutes et leurs parcours, ce qui lui a donné envie d’en savoir plus. «Certains influenceurs ou prêtres m’ont touchée par leur simplicité et leur manière de parler de Dieu avec amour, c’est ce qui m’a donné envie de continuer mon chemin de foi», confie la jeune catholique.

Missionnaire, pas influenceur:
évangéliser sans se mettre en scène

Pour le père Pouzin, suivre une charte de conduite quant à sa présence en ligne est primordiale. Il explique: «le but est d’amener au Christ, le risque c’est de se prendre au jeu des réseaux, de la surenchère d’abonnés, mon seul souci est d’abord et avant tout de conduire vers le Christ et donc de ramener à l’Eglise». A tous les jeunes qui lui posent des questions, il répond d’abord, puis renvoie systématiquement vers un prêtre de leur paroisse. Il rappelle constamment dans ses vidéos que l’on ne peut pas vivre sa vie de chrétien tout seul, qu’il faut aller à la Messe, vivre le lien avec l’Eglise. Le missionnaire cite le Pape François pour qui il fallait troquer le canapé pour une paire de chaussures, c’est-à-dire aller voir les autres, les servir, prier, aller à la Messe et par-dessous tout, s’engager. Le père Pouzin veille à ne jamais attirer à lui, mais à renvoyer vers le Christ. C’est pourquoi il dit ne pas aimer le terme «influenceur», auquel il préfère le terme «missionnaire numérique», car «le seul qui nous influence dans le bon sens, c’est le Christ». Il s’est également donné comme règle de ne parler que du Christ et de l’Evangile et ne répond qu’aux questions sur la foi et la prière sans jamais entrer dans les sujets polémiques. Il met ain-si tous les jours la parole de Dieu en ligne et se présente en chasuble, comme s’il répondait aux questions à la sortie de la Messe sur le parvis de l’église.

Des écrans à la communauté,
comment encourager la foi au-delà du virtuel

L’évangélisation numérique est simplement un «moyen simple pour refaire un peu de catéchisme, pour redire des petites choses de la foi» explique le père Pouzin. C’est la raison pour laquelle «il faut que l’Eglise continue d’encourager ce phénomène» affirme-t-il: «de plus en plus de jeunes chrétiens osent créer leur chaîne et n’ont pas peur, avec leur talent, avec ce qu’ils sont, de dire leur foi. Il faut les encourager à poursuivre cette mission parce qu’on a besoin de jeunes qui se lancent aussi dans ce domaine-là». Si les réseaux sociaux permettent de toucher un public plus large, rien ne remplace les relations humaines. L’enjeu est maintenant pour l’Eglise de permettre à ces jeunes de passer du virtuel au réel. Oui, le nombre de catéchumènes a considérablement augmenté, mais il faut aussi les accueillir et les intégrer. Le père Pouzin organise donc toutes les rencontres de préparation aux sacrements avant la Messe, et demande aux fidèles de prier pour les nouveaux arrivants. Il souligne comment l’Eglise a évolué depuis 20 ans et salue les efforts colossaux des consacrés comme des laïcs pour créer une véritable communauté chrétienne. De son côté, le père Dupont constate en effet que la plupart des jeunes fidèles sont «très bien accueillis dans la communauté chrétienne qui fait des efforts pour chercher à être à leurs côtés». Pour lui, c’est la communauté qui permet de faire durer cet élan. «Ils sont venus chercher des réponses à leurs questions et ils ont trouvé des frères et des sœurs», se réjouit le curé. Sabrina fait partie des jeunes qui ont eu cette chance d’être accueillis avec bienveillance, «que ce soit par les adultes comme par les jeunes de l’aumônerie», et d’être bien encadrée tout au long de son parcours.

L’audace missionnaire: quand les cœurs
se convertissent et se rassemblent à Rome

Aujourd’hui, Sabrina se réjouit de l’amour que Dieu lui a apporté: «Il est toujours avec moi où que je sois, dans chacun de mes projets, Il est un soutien qui m’apporte l’amour inconditionnel, une paix intérieure profonde et une nouvelle façon de voir le monde, les autres, et moi-même», raconte-t-elle. Si elle a pu se rapprocher de l’Eglise, c’est notamment grâce à sa communauté, et avant cela, grâce aux missionnaires numériques et à ce «raz-de-marée lié entre autres aux réseaux sociaux» que décrit le père Pouzin. Ce dernier parle de cette «audace missionnaire» grâce à laquelle les gens n’ont pas peur de dire «viens et prie» et par laquelle les jeunes se convertissent, ont cette soif et n’ont plus peur de dire qu’ils veulent vivre leur foi.

Le Pape François invitait à «samaritaniser» les périphéries et le continent numérique, «pour que la culture contemporaine connaisse Dieu en le sentant en vous». De cet appel sont nés les missionnaires numériques, ou influenceurs catholiques, par qui, avec l’aide de toute l’Eglise, le cœur de Sabrina et celui de tant d’autres ont été touchés. Ces missionnaires du monde entier, prêtres, sœurs et jeunes, se rencontreront à Rome les 28 et 29 juillet afin d’échanger entre eux et avec le Pape Léon XIV pour continuer de développer leur mission et de porter le message du Christ à travers les frontières numériques.