
Timothée Croux
Né le 6 avril 1901 à Turin et mort le 4 juillet 1925, à seulement vingt-quatre ans, Pier Giorgio Frassati continue, un siècle plus tard, d’inspirer la vie de milliers de jeunes à travers le monde. Sportif accompli, joyeux et engagé, il grandit dans une famille bourgeoise, dont le père est sénateur, ambassadeur et directeur du journal La Stampa. Le jour de ses funérailles, des milliers de personnes accompagnent son cercueil jusqu’à l’église. Sa famille bouleversée découvre alors une autre facette de leur fils, celle d’un apôtre discret du Christ. Que s’est-il donc passé durant ces -vingt-quatre années? Et pourquoi, en 2025, Pier Giorgio Frassati s’apprête-t-il à être canonisé par le Pape Léon XIV, devenant ainsi un modèle officiel de sainteté pour la jeunesse du XXIe siècle?
L’homme des huit Béatitudes
En 1977, le cardinal Karol Woj-tyła — futur Jean-Paul II — présente Pier Giorgio à des étudiants comme «l’homme des huit Béatitudes»: «Il porte avec lui la grâce de l’Evangile, de la Bonne Nouvelle, de la joie du salut offert par le Christ. C’est un véritable étudiant, un garçon, un jeune homme, votre contemporain, même s’il est d’une autre génération. Allez et regardez comment était l’homme des huit Béatitudes! En vérité, nous désirons tous devenir des hommes des huit Béatitudes. Là est la vraie richesse»1. Pier Giorgio n’a fondé aucun ordre, n’a été ni religieux, ni martyr, mais il était étudiant en ingénierie, passionné d’alpinisme. Et pourtant, il a vécu une sainteté complète en incarnant dans sa vie ordinaire ces huit Béatitudes. C’est justement cette normalité, transfigurée par une foi et une charité radicales, qui fait de lui une figure de sainteté particulièrement actuelle.
Une vie ordinaire habitée
par la grandeur de la sainteté
Suivre le Christ, c’est vivre les Béatitudes, non en théorie, mais dans le concret du quotidien. C’est là que Pier Giorgio excelle. Sa vie est une réponse limpide à l’appel de Jésus: «Viens, suis-moi». Jean-Paul II disait de lui: «Il fut un jeune “moderne”, ouvert aux problèmes de la culture, des sports (un alpiniste de valeur!), aux questions sociales, aux véritables valeurs de la vie, et en même temps un homme profondément croyant, nourri du message évangélique, au caractère ferme et cohérent, se passionnant au service des frères et brûlant d’une ardente charité qui le menait selon un ordre de priorité absolue, aux côtés des pauvres et des malades. [...] Le christianisme est joie, Pier Giorgio était d’une joie fascinante»2.
La foi et la charité de Pier Giorgio, son travail pour la paix et ses amitiés cimentées dans la prière peuvent inspirer un jeune qui désire la sainteté aujourd’hui.
L’Eucharistie, source
de toute charité
Pour Pier Giorgio, la source de tout apostolat, c’est l’Eucharistie: «Jésus me rend visite chaque jour par la communion, et moi, je la lui rends bien modestement en visitant les pauvres». Sa charité est incarnée et constante. A un ami, il explique cette rencontre avec le Christ: «N’oublie jamais que même dans un taudis sordide, c’est le Christ que tu viens trouver. Rappelle-toi ce qu’a dit le Seigneur: le bien que vous faites au pauvre, c’est à moi-même que vous le faites. L’infirme, le déshérité, le malheureux, rayonne d'une lumière que nous n'avons pas»3.
La charité de Pier Giorgio n’était donc pas une suite d’actions héroïques, mais une disposition permanente du cœur, nourrie par une vie de prière profonde et régulière et par l’Eucharistie quotidienne. Depuis son adolescence, l’amour de l’Eucharistie n’a jamais quitté Pier Giorgio et représente le moteur de sa vie et de son apostolat. Jean-Paul II le présente alors comme un maître à suivre: «La prière et la contemplation, le silence et la pratique des sacrements donnent substance et force aux multiples formes d’apostolat, et toute l’existence, vivifiée par l’Esprit Saint, se transforme en une merveilleuse aventure»4.
La paix comme horizon politique et spirituel
Frassati fut aussi un homme de convictions politiques, profondément opposé au fascisme. Pour lui, ce système n’était que men-songe et corruption, guidé par le matérialisme. Il milite activement pour une Europe unie par la foi chrétienne et la paix. Lors de l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges, il n’hésite pas à prendre sa plume pour soutenir les étudiants allemands dans un message intitulé «La conscience du monde qui s’éveille»5: «En ces moments tragiques et douloureux où un pied étranger foule le sol de votre patrie, où votre adversaire occupe en ennemi de votre patrie vos foyers, nous vous en-voyons, nous étudiants catholiques, l’expression de notre amour fraternel. Nous ne pouvons rien changer à cette triste situation, mais nous sentons en nous toute la force d’un amour chrétien qui fait de nous vos frères, par-delà les frontières séparant les nations».
Ce n’est pas simplement de belles paroles, mais un désir de paix incarné en gestes et actions. Alors que le Pape Léon XIV a débuté son pontificat sous le sceau de la paix, le rêve de Pier Giorgio d’une Pax Romana est plus que jamais actuel dans un monde blessé par la guerre.
L’amitié, école de sainteté
Pier Giorgio accorde une importance immense à l’amitié. Avec ses compagnons, il fonde la joyeuse et spirituelle «Société des types louches». Derrière ce nom humoristique se cache une véritable fraternité chrétienne dont les règles sont simples: improvisation, rire, excursions, entraide mutuelle par la prière, amitié vraie entre eux, garçons et filles. Chez lui, l’amitié est une école de sainteté, un lieu de conversion, un chemin vers Dieu.
Une aventure sainte
dans une vie simple
Pier Giorgio Frassati est un aventurier du ciel, un alpiniste de l’âme. Il n’a pas fui le monde, il l’a transfiguré de l’intérieur. Il nous montre que l’on peut vivre une vie pleinement chrétienne sans fuir la jeunesse, le sport, l’engagement ou la joie.
Et nous? Comme lui, sommes-nous prêts à faire de notre vie une aventure de foi? A gravir, pas à pas, les sommets de la sainteté dans la banalité apparente de nos journées? A répondre, avec joie, à l’appel du Christ aujourd’hui? Pier Giorgio Frassati, par sa vie brève mais lumineuse, nous dit que c’est non seulement possible, mais profondément désirable. Verso l’alto!
1 Cardinal Karol Wojtyla aux universitaires de Cracovie, le 27 mars 1977.
2 Jean-Paul II aux jeunes de Turin, le 13 avril 1980.
3 Luciana Frassati, Pier Giorgio Frassati, Les jours de sa vie, op. cit., p. 187.
4 Jean-Paul II, Rencontre avec les pèlerins venus pour la béatification de Pier Giorgio Frassati, 20 mai 1990.
5 Luciana Frassati, Pier Giorgio Frassati, Les jours de sa vie, op. cit., p. 134.