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Vie missionnaire

La multiplication de la foi

 La multiplication de  la foi  FRA-008
01 juillet 2025

Cristina Uguccioni

Génération est un mot clé qui ouvre l’intimité de Dieu: la génération est donc également le mot clé de l’Eglise; elle est générée et à son tour, génératrice, et elle le fait partout, dans le monde entier, dans toutes les nations. C’est sur cette dimension constitutive qui ne connaît pas de frontière que réfléchit le cardinal Giorgio Marengo, 51 ans, missionnaire de la Consolata; turinois, il vit depuis 2002 en Mongolie, où il a été pendant 14 ans curé du village d’Arvaiheer. Il réside aujourd’hui dans la capitale Ulaanbaatar. La Mongolie est habitée par trois millions de personnes, en grande majorité de religion bouddhiste; les catholiques forment un petit troupeau: un peu plus de 1500. L’Eglise est arrivée dans ce pays en 1992 quand — à la demande du gouvernement qui venait d’établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège — arrivèrent les premiers missionnaires.

Vous avez affirmé à plusieurs reprises qu’en accompagnant et en guidant des hommes, des femmes et des enfants qui se tournent vers le Seigneur en provenant d’expériences éloignées du christianisme, on a la grande grâce de voir l’Esprit Saint à l’œuvre dans l’existence des personnes. Qu’est-ce qui vous frappe le plus de l’action génératrice de l’Esprit? Et quel style, quelle disposition l’œuvre de génération exige-t-elle d’un missionnaire?

Accomplir le ministère sur une terre où le Christ n’est pas connu est l’une des grandes grâces que j’ai reçues. En Mongolie, nous missionnaires faisons presque quotidiennement l’expérience de l’action génératrice de l’Esprit Saint: cela m’émeut toujours beaucoup de voir comment elle touche le cœur des personnes, pas toujours dans la mesure de ce que nous faisons; cela m’émeut d’assister à la naissance de la foi chez les personnes, chacune selon son propre vécu, son propre parcours: toutes heureuses de se sentir guéries et libérées de nombreuses peurs. Sur une terre de première annonce telle que la Mongolie, la disposition première exigée de nous missionnaires est celle d’être en syntonie avec l’Esprit Saint: il existe une dimension contemplative de la mission qui est incontournable. Il faut être en syntonie avec l’Esprit pour réussir à percevoir ses mouvements dans le cœur des personnes et être donc en mesure, à notre tour, d’être génératifs, de moduler nos actions, nos paroles, nos gestes sur la base de ces mouvements.

En suivant la puissance génératrice de l’Esprit Saint, quels gestes sont-ils incontournables pour un missionnaire?

Le premier est la prière: il est indispensable de vivre la dimen-sion de prière. Il faut se placer avec humilité devant le mystère de Dieu présent dans l’Eucharistie, se placer à l’écoute de Sa Parole et de la voix de l’Esprit avec un cœur disposé également à l’ascèse afin que l’écoute soit efficace. L’expérience montre que, en dépit de tous nos défauts et erreurs, s’il existe cette disposition réelle et limpide à l’écoute, il existe également une intuition plus claire et précise de ce qu’il est bon de faire dans chaque situation spécifique. C’est cette attitude d’écoute et d’adoration qu’il faut cultiver. Celle-ci comporte, sur le plan intellectuel, l’effort d’étudier de façon approfondie le pays dans lequel on vit: il faut s’efforcer de bien connaître la langue et le contexte historique, philosophique, religieux, culturel des personnes qui nous sont confiées. Le mot-clé est «approfondissement»: celui-ci implique également d’avoir à cœur la part la plus profonde des personnes et la capacité de s’adresser à -elles au moyen des initiatives les plus adaptées, en distinguant les divers besoins et vécus des personnes. Il me vient à l’esprit la dernière personne que j’ai eu la grâce de baptiser, à Pâques: peu à peu, à l’occasion de nombreux entretiens, elle a découvert le message que nous portons et il y a deux ans, elle a exprimé le désir de mieux connaître Jésus et d’être baptisée. Nous avons accompagné et guidé son chemin à travers des actions et des paroles que nous avons essayé de moduler sur la base de son âge et de son expérience.

Accompagner un peuple à la rencontre avec Jésus, soutenir ceux qui commencent à le suivre impose — comme vous l’avez déclaré — «d’aller à l’essentiel de la foi». Qu’est-ce qu’implique, concrètement, ce chemin vers l’essentiel?

Nous ne finirons jamais d’approfondir notre foi avec toutes ses implications: toutefois, lors-que nous nous adressons à des personnes qui n’ont jamais entendu parler de Jésus, il est nécessaire d’aller à l’essentiel, de proposer le noyau central de la foi, de se concentrer sur le kérygme, sur le Christ qui est né, a vécu en accomplissant des gestes déterminés et en prononçant certains discours, est mort pour nous, a ressuscité, a été élevé au ciel, a fait descendre son Esprit, et nous prépare une place dans l’intimité de Dieu. Les personnes auront ensuite toute la vie pour approfondir les nombreux aspects de la foi, notamment selon les diverses situations dans lesquelles elles devront vivre. Outre ce caractère essentiel, il en existe aussi un autre: c’est celui exigé de nous missionnaires. Nous sommes différents de par notre âge, origine, culture, formation, et donc les élans centrifuges peuvent être nombreux, mais si nous savons tous aller à l’essentiel de la foi et à une vie de prière, de paternité/maternité, de simplicité, de sobriété, alors nous serons plus transparents et notre témoignage apparaîtra limpide, plus persuasif. Surtout dans les pays dans lesquels le christianisme est presque méconnu, il est bon que les missionnaires soient des personnes profondes, sobres, concentrées sur l’essentiel.

Le monde occidental (mais pas seulement) apparaît largement dominé par les lois du marché, qui poussent à optimiser les énergies et les ressources et récompensent l’efficacité et les résultats. En tenant compte de ce climat culturel, existe-t-il la tentation pour les missionnaires de se laisser emporter par le souci de récolter qui fait perdre la joie de semer?

Bien sûr, il peut y avoir la tentation de concevoir l’évangélisation en termes d’efficacité et d’optimisation. La meilleure façon d’éviter cela est de revenir aux paroles de Jésus: par exemple, à la parabole du semeur, qui avant de jeter la semence, ne sélectionne pas les terrains sur la base du rendement, et aux images utilisées pour décrire le -Royaume de Dieu: le grain de sénevé, le levain, le sel. Aujourd’hui toutefois, on semble presque constater une baisse de la préoccupation pour la récolte: il semble que le zèle missionnaire baisse, de même que le désir (en soi bon, s’il est vécu sans en faire une obsession et dans le respect constant des choix d’autrui) que toujours plus de personnes connaissent le Christ et nouent un véritable lien avec Lui. Un plus grand zèle engendrerait chez les missionnaires une plus grande créativité, une plus grande imagination: il semble en revanche qu’il y ait parfois la tendance à se limiter à accomplir son propre «travail», sa propre part, sans se pousser à aller au-delà, avec élan. Je ne sais pas pourquoi cela arrive, sans doute pour des raisons qui relèvent du domaine personnel, sans doute pour d’autres raisons qui ont à voir avec la façon de concevoir la mission aujourd’hui. Certes, les ordres missionnaires enregistrent moins de candidats qu’autrefois et cela est un fait sur lequel il serait nécessaire de réfléchir.

Quelles caractéristiques doit posséder une Eglise qui s’abandonne à la logique de la génération du Fils? Quelles caractéristiques ne devrait-elle en revanche pas avoir?

Une Eglise génératrice est avant tout une Eglise capable d’être réellement accueillante. Malheureusement, toutes les paroisses et les communautés religieuses ne semblent pas posséder ces caractéristiques et cela est regrettable. Il faut éviter que prévalent l’apathie, la mentalité de fonctionnaires qui conduit à suivre ses horaires, son emploi du temps et ses méthodes standard, sans chaleur, sans flexibilité, sans (précisément) un sens authentique de l’accueil. Je rêve de paroisses et de communautés religieuses qui soient des lieux simples dans lesquels tous se sentent bienvenus, écoutés, regardés avec bienveillance, à toute heure du jour. Les personnes aujourd’hui ont un immense besoin d’être écoutées, de trouver quelqu’un qui ne les traite pas comme un numéro, qui les fasse sentir véritablement comprises. Ce serait vraiment beau de réussir à convertir toutes nos présences en lieux chaleureux, de véritable accueil, avant tout humain. Pour cela, il faut adopter un style fondé sur la simplicité, la sobriété.