
Zoé Caillard
Dans cette interview, Eliah Cinotti, 27 ans et caporal de la Garde suisse, parle de son engagement auprès du Saint-Siège et de l’impact de sa mission sur sa vie personnelle et sur sa foi. Pour le jeune soldat, «sans la foi, tu ne peux pas faire ce travail». Le militaire exprime sa vision de la papauté, et parle de sa relation «toujours professionnelle» avec le Pape François, qui néanmoins avait «toujours une petite parole qui allait droit au cœur», ainsi qu’avec le Pape Léon XIV, une personne «humaine d’une profondeur assez impressionnante».
Pouvez-vous tout d’abord nous parler de votre parcours de foi?
J’ai grandi avec une mère protestante et un père catholique, dans un univers chrétien où il n’y avait pas de distinction entre les Eglises. On allait soit au culte, soit à la Messe, il n’y avait pas de règle définie. En revanche, nous récitions toujours le Notre-Père le soir et nous lisions la Bible le dimanche et pour les grandes fêtes. Je suis baptisé catholique, mais mes parents avaient décidé de me laisser choisir à 18 ans si je voulais confirmer cette foi ou aller chez les protestants. Moi, à 18 ans, je voulais déjà être garde suisse donc j’ai fait tout mon catéchisme en même temps que l’armée suisse, c’était original. Je me rappelle que pour la première communion, j’étais entouré de gamins, moi, grand barbu que j’étais à l’époque. Pour la confirmation c’était pareil, les gens me demandaient ce que je faisais là en uniforme: je leur répondais que je faisais mon catéchisme. J’ai beaucoup appris. Ma foi s’est con-solidée grâce à ma grand-mère aussi, qui est protestante et qui avait toujours ce désir de lire la Bible. Disons que la place de Dieu a toujours été importante dans la famille.
Pourquoi avez-vous voulu intégrer la Garde suisse?
C’était un rêve d’enfant. En 2008, nous sommes venus à Rome pour Noël, c’était encore sous le pontificat de Benoît XVI. On était sur la place Saint-Pierre et voir les gardes suisses arriver en cuirasse et en uniforme a été une émotion assez unique. J’aimais beaucoup les uniformes et l’histoire, et ce fut une révélation dès le premier regard, j’ai dit que je voulais absolument faire ça. Je l’avais même dessiné dans mon carnet de voyage. Mes parents me l’ont montré récemment, je ne me souvenais pas que je dessinais aussi mal!
Qu’est-ce qu’être garde suisse vous a apporté dans votre foi?
Je pense que sans la foi, tu ne peux pas faire ce travail. Déjà parce que tu ne crois pas en ce que tu fais, mais aussi parce que ça te permet de faire redescendre la pression dans les situations les plus stressantes. Le jour de l’élection de Léon XIV, on est arrivé en formation sur la place Saint-Pierre, le stress m’a pris: le monde entier nous regardait, pas le droit de tomber ou de se sentir mal. En récitant le Notre-Père dans ma tête, la pression est redescendue miraculeusement.
Est-ce que travailler au Vatican a changé votre vision de l’Eglise et de la Papauté?
Oui. Déjà, j’ai pu observer ce qu’était le métier de Pape. C’est une fonction très exigeante… Et je suis devenu quelqu’un de plus impliqué dans la foi: j’ai beaucoup appris parce qu’on est au centre de la chrétienté. Ça ne veut pas dire que dans ma paroisse je n’ai rien appris, loin de là, mais ici, j’ai appris la réalité de la chrétienté, de l’Eglise catholique. Les continents du monde entier se retrouvent au Vatican pour visiter la tombe de saint Pierre, pour voir le Pape. C’est complexe car on a affaire à plusieurs cultures, mais une fois qu’on est sur la place Saint-Pierre, il y a une certaine unité. On est tous liés par la même foi et ça, je l’ai expérimenté plus d’une fois mais en particulier récemment pendant les funérailles du Pape François.
En quoi être garde suisse influence votre vie personnelle en tant que jeune?
On se sent plus responsable, plus mature. C’est une combinaison unique: militaire dans une armée catholique. On prône un message de paix et en même temps, on doit assurer la sécurité d’une personne qui a une importance capitale dans le monde. On est le visage de la jeunesse catholique suisse, on a ce poids sur les épaules et cette responsabilité.
La Garde suisse est une armée jeune. Qu’est-ce que ça change?
Sans la jeunesse, il n’y a pas d’Eglise jeune. La jeunesse nous permet d’avoir cette modernité qui continue, qui apporte automatiquement des innovations, par exemple les outils de communication. Je pense que la communication aujourd’hui est une arme beaucoup plus efficace qu’un fusil d’assaut.
Pouvez-vous décrire une journée typique d’un garde suisse?
Ce qui est bien, c’est que la journée type n’existe pas. Ce qui est incontournable, c’est le rasage obligatoire chaque jour! On travaille entre six et seize heures par jour. Il y a aussi la routine sportive, les cours d’italien obligatoires, le maniement des armes, et des formations avec des psychologues. Sans parler du nettoyage des chambres obligatoire, avec une inspection régulière très poussée.
Pouvez-vous partager une anecdote sur votre service au Vatican?
En Suisse, on me dit souvent: «tu es garde depuis six ans, tu as gâché ta jeunesse». Je pense au contraire qu’ici j’ai passé les meilleures années de ma vie parce que j’ai plein d’anecdotes, c’est ça la beauté de la Garde. A commencer par le premier voyage apostolique auquel j’ai participé, les JMJ à Lisbonne. Découvrir cet univers était assez unique et le Pape François a tout fait pour y aller et le voir était émotionnellement fort. Un jour, une famille l’attendait au soleil avec un enfant malade, probablement en phase terminale, et les forces de l’ordre locales estimaient qu’il valait mieux qu’elle parte. Mais j’ai dit aux parents de rester là, au cas où le Pape s’arrêterait. Et la voiture s’est évidemment arrêtée, parce que François, pour ce genre de choses, il avait le regard. Les parents sont venus avec l’enfant, le Saint-Père les a bénis, il a passé plus de trois minutes avec eux. François est parti et là, j’ai fait le dur comme j’ai pu mais quand les parents ont commencé à pleurer, j’ai pleuré avec eux à n’en plus finir. Dans le regard de François, on trouvait de la douceur et de l’humanité, on pensait deviner le regard de Dieu.
Racontez-nous votre première rencontre avec le Pape François?
C’était amusant. J’étais en service depuis un mois, c’était en décembre 2019. Selon le protocole, quand le Pape prend l’ascenseur il faut toujours un garde suisse qui le salue. Lui, ça le faisait toujours rire, parce que ce n’était pas quelqu’un de très attaché au protocole. Ce jour-là, en sortant de l’ascenseur, il m’a vu, m’a donné la main et m’a souhaité bon appétit. Je l’ai remercié, il a ri et est parti. Ma montre indiquait midi, et comme je devais aller faire le guet, il savait qu’en réalité, je n’allais manger que dans deux heures. Une façon pour lui de faire une petite blague, me dire: bon appétit mais d’abord, au travail!
Est-ce que la Garde était proche de lui?
Oui, certains d’entre nous étaient vraiment proches de lui. Notre relation était toujours professionnelle, mais il avait toujours un bon mot ou une petite parole qui allait droit au cœur. Le Saint-Père était proche de tous ceux qui tournaient autour de lui: que ce soit le garde suisse, le jardinier, le personnel d’entretien, les sœurs, il nous connaissait tous. Quand un chef d’Etat connaît même le cuisinier, ça prouve la grandeur de l’homme. Je suis conscient que parfois, les gens ne pouvaient pas comprendre cela parce qu’ils ne le voyaient pas, mais quand il te disait bonjour, ce n’était pas anodin.
Avez-vous rencontré Léon XIV?
Oui, c’est quelqu’un de très aimable. Il aime aussi beaucoup les jeunes. D’ailleurs, il se prépare activement pour le Jubilé qui leur sera consacré. Il a une profondeur assez impressionnante, je l’ai vu quand il bénit les enfants. Place Saint-Pierre, il a même pris un cookie qu’un enfant lui avait donné. Là où François et Léon XIV se ressemblent, c’est que ce sont des personnes humaines, qui aiment bien rire. Je pen-se que de façon générale, les Papes ont un sens de l’humour très développé. Dieu a de l’humour et ils essaient de le transmettre, la vie est assez difficile alors si on peut rire de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal. Nous, les gardes suisses aussi on aime rire quand on peut.
Quel conseil avez-vous pour les jeunes d’aujourd’hui?
Je dirais, pour les jeunes qui liront l’article — je sais que cela semble être une phrase sortie tout droit de Netflix — qu’il ne faut jamais abandonner ses rêves de jeunesse. La jeunesse doit continuer à rêver parce que sans cela on ne va nulle part. Le rêve est une bénédiction que Dieu nous a donnée et sans certains rêves, aujourd’hui, on ne serait pas là.