
Denis Dupont-Fauville
Chanoine de la basilique Saint-Pierre du Vatican
Robert Guédiguian est indissociable de Marseille. De film en film, entouré de ses amis techniciens et comédiens, il nous livre comme une chronique du quartier de l’Estaque, où la lumière et l’accent font entrer le spectateur dans le monde merveilleux de ce petit théâtre, non exempt de critique sociale et de bons sentiments.
Sa dernière réalisation, La pie voleuse, porte un titre d’opérette. Est-ce à dire qu’elle soit destinée à distraire et faire sourire, sans porter à conséquence? Au contraire: cette œuvre, très maîtrisée dans la forme, construite telle une sonate où les motifs sont repris et développés sans cesse, est sans doute l’une de ses plus sérieuses.
Marie, auxiliaire de vie de condition modeste et proche de la retraite, fait vivre son ménage en s’occupant de personnes âgées de son quartier. Attentionnée, précise et sincèrement dévouée, elle a pourtant une faiblesse cachée: projetant sur son petit-fils le désir d’une condition qu’elle n’a pas connue, elle le rêve grand concertiste. Comment faire, alors que son mari perd de l’argent au jeu et que la dette contractée depuis long-temps pour acheter une demeure trop vaste peine à être remboursée? Sans faire de bruit, elle prélève des euros de-ci de-là, d’un employeur à l’autre, et va jus-qu’à subtiliser des chèques pour louer piano et répétiteur. Le jour où le pot-aux-roses est découvert, beaucoup d’existences vont être remises en question.
D’emblée, le cadre familier prend un aspect inédit, celui d’un pays qui s’appauvrit au point de faire de la survie un art incertain, où l’amour du Beau devient un luxe impossible. Monde devenu «système», dans lequel l’égoïsme constitue pour beau-coup le seul moteur assez puissant pour surmonter les difficultés. Monde pourtant d’où l’émerveillement n’est pas exclu.
Outre les lieux et les lumières, en effet, il y a les visages, que Guédiguian filme tous avec tendresse, et surtout les couples. Mis à mal, menacés, vulnérables, ils constituent pourtant l’antidote qui permettra à chacun de se dépasser. L’amour est peut-être confiné, mais il est puissant, jusque dans sa capacité d’abnégation.
Sans dévoiler les multiples péripéties, relevons quelques thématiques très présentes. D’abord, loin de la dénonciation des rapports de classe où d’une opposition sim-pliste entre bons et mé-chants, le réalisateur contemple ici la réalité qui fait que le mal traverse chacun d’entre nous et aussi que notre désir nous porte parfois vers l’autre sans nous préoccuper de son bien: ce qu’un chrétien nomme le péché originel. Pour manifester ensuite la richesse de notre pauvre humanité, capable de donner et de se redonner quand tout semble perdu. Le fait, si politiquement incorrect, que la situation soit sauvée par le renoncement de deux hommes, marginaux, fait ici doublement sens.
L’histoire se conclut par une révérence théâtrale de l’héroïne à son bienfaiteur, face caméra. Fin de la pièce, sur une note un brin trop idéale pour être vraie? Pourtant, alors même que l’interprète dévisage son réalisateur de mari et derrière lui les spectateurs, l’espoir revient: ni les contraintes du système ni nos propres limites ne peuvent encore nous empêcher de sourire.