
Charles de Pechpeyrou
«Baisser les bras dans une compétition sous prétexte qu’on ne peut terminer premier est incompatible avec l’esprit du sport», écrivait le navigateur et écrivain français Eric Tabarly, disparu en mer d’Irlande en 1998. Alors que le Jubilé du sport s’ouvrira le 14 juin, l’occasion nous est donnée de nous pencher sur cette expression parfois galvaudée d’«esprit du sport» ou «esprit sportif». A y regarder de plus près, il semble qu’il soit fait de paradoxes édifiants — ce qui lui fait un point commun avec le christianisme. Par exemple: pour être un bon gagnant, il faut savoir ne pas être un mauvais perdant et composer avec d’autres; pour bien jouer, il faut connaître les règles et les respecter; pour apprendre à se dépasser, il faut être conscient de ses propres limites. Osera-t-on affirmer que dans le sport les derniers aussi sont les premiers? Pas vraiment, et comparaison n’étant jamais raison, l’athlète qui échoue au pied du podium fait l’expérience amère de la différence entre succès et défaite.
Ne péchons pas non plus par ingénuité. Comme dans le reste de la société, le sport peut être corrompu et défiguré quand l’esprit sportif se voit sacrifié aux idoles de la compétition à outrance et de l’argent. Quand la jalousie, l’envie et l’orgueil y font leur nid, alimentées par la course au profit. «Lorsque le sport devient une activité commerciale, il risque de perdre les valeurs qui le rendent éducatif et il peut même devenir contre-éducatif», rappelait récemment Léon XIV lors de l’audience de l’équipe de football de Naples qui a remporté cette année le championnat d’Italie. «Il est important d’être vigilant à cet égard, en particulier lors-qu’il s’agit d’adolescents», a poursuivi le Pape, invitant les parents et les responsables sportifs «à être attentifs à la qualité morale de l’expérience sportive dans les compétitions, car il en va de la croissance humaine des jeunes». Se référant au championnat, le Pape a également souligné l’importance de l’esprit d’équipe: «Nous savons à quel point le football est populaire en Italie et pratiquement dans le monde entier. A cet égard également, il me semble que la valeur sociale d’un événement comme celui-ci, qui dépasse le simple aspect technique et sportif, réside dans l’exemple d’une équipe — au sens large — qui travaille ensemble, où les talents individuels sont mis au service de l’ensemble».
Pour des millions d’en-fants (et de plus grands), le sport est synonyme d’apprentissage de la discipline, de dépassement de soi et de joie. Comme le déclarait Pie XII aux sportifs italiens en 1945: «Le “sport” est une école de loyauté, de courage, de patience, de résolution, de fraternité universelle, toutes des vertus naturelles, mais qui fournissent aux vertus surnaturelles un fondement solide». A l’heure où les prou-esses techniques laissent entrevoir d’infinies possibilités d’augmentation de l’être humain, le sport devient enfin une école d’incarnation, par la vertu des «saines» courbatures et le rappel salutaire de nos limites, que nous pouvons repousser par l’effort, mais jamais abolir. Sans doute est-ce cela aussi «l’esprit du sport», plus que les médailles: la joie de l’effort accompli malgré et grâce à nos limites. Salutaires limites.