
Francesco Citterich
La situation humanitaire en Haïti est catastrophique et s’aggrave de jour en jour. Des années de troubles politiques et institutionnels et de conditions économiques dévastatrices — associées à des catastrophes naturelles destructrices — ont conduit à la prolifération de groupes armés visant à renverser le gouvernement par la force et à établir un système dominé par le crime organisé. Les données fournies par les organisations humanitaires des Nations unies laissent peu de place au doute sur la gravité de la crise qui secoue le pays des Caraïbes: on estime en effet que 2,7 millions de personnes, dont 1,6 million de femmes et d'enfants, vivent dans des zones sous le joug de bandes criminelles, où la violence et la peur déchirent quotidiennement le tissu même qui unit les familles et les communautés. En outre, au cours des trois premiers mois de 2025 seulement, plus de 1.600 victimes ont déjà été recensées, des dizaines d’exécutions sommaires étant également attribuées aux forces de l’ordre.
Récemment, les Etats-Unis ont placé deux des gangs criminels les plus dangereux d’Haïti — Viv Ansanm et Gran Grif, dirigés respectivement par Jimmy «Barbecue» Cherizier et d’autres chefs locaux — sur la liste des organisations terroristes pour leur rôle dans l’escalade des horreurs et des atrocités.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, Haïti est plongé dans un vide politico-institutionnel, humanitaire et sécuritaire, que les nouveaux dirigeants — le Premier ministre par intérim, Alix Fils-Aimé, et le président du Conseil national de transition, Fritz Alphonse Jean, en remplacement de Leslie Voltaire — n’ont pas réussi à combler en raison de violences répétées et généralisées. Dans ce scénario de plus en plus chaotique, Cherizier s’est même autoproclamé président, résistant à de multiples opérations militaires contre lui.
Les groupes armés ont étendu leur contrôle sur des zones clés des départements de l’Ouest et de l’Artibonite, notamment Léogâne, Carrefour-Feuilles, Delmas, Kenscoff, Petite Rivière et Gros-Morne, forçant des milliers de personnes à fuir. La région de l’Artibonite, longtemps reconnue comme le «grenier à blé» d’Haïti parce qu’elle contient plus de 50% de la culture totale de riz du pays, a constamment contribué à fournir une grande partie des besoins alimentaires de base du pays, réduisant ainsi la dépendance aux importations. Mais aujourd’hui, la région est sous le contrôle de bandes armées, qui ont forcé les agriculteurs à abandonner leurs exploitations agricoles. La production étant au point mort, l’approvisionnement en riz et autres produits autrefois abondants de la région, a diminué, créant des pénuries alimentaires, faisant grimper les prix à la consommation dans tout Haïti et plongeant des familles entières dans la faim et la pauvreté.
Les criminels ont également bloqué les principales voies de communication entre la capitale, Port-au-Prince, et le reste du pays, détruisant les moyens de subsistance et limitant l’accès aux services. Alors que les groupes armés gagnent sans cesse du terrain, les habitants de nombreux quartiers ont élevé des barricades et organisé des groupes d’autodé-fense pour se défendre contre la violence. Il en résulte toutefois que des centaines de milliers d’enfants et leurs familles vivant dans des communautés en proie aux gangs sont largement coupés de l’aide humanitaire et des services essentiels. Dans de nombreuses régions, la population n’a plus accès à la nourriture et à l’eau potable. Cette combinaison de conditions potentiellement mortelles a provoqué une crise croissante de la sécurité alimentaire et de la nutrition, en particulier chez les enfants. Pour aggraver les choses, le choléra est réapparu, avec plus de 80.000 cas déjà enregistrés.
Afin de reprendre le contrôle de la situation, le gouvernement haïtien a annoncé la création de l’Agence nationale de sécurité, chargée de gérer les activités de renseignement et de contrer les menaces à la sécurité nationale. Toutefois, sans un soutien plus conséquent, le déploiement international, mené par le Kenya, s’est jusqu’à présent avéré insuffisant pour endiguer la violence, avec le risque que le pays s’enfonce davantage dans l’abîme.