· Cité du Vatican ·

Disparaître pour que le Christ demeure

 Disparaître  pour que le Christ demeure  FRA-006
14 mai 2025

Andrea Tornielli

Il y a des paroles qui sont destinées à marquer le cours des choses. Dans la première homélie du Pape Léon XIV, l’incipit frappe tout d’abord, avec la profession de foi répétée de Pierre, ce sont les mêmes paroles que Jean-Paul Ier a voulu répéter à la fin de l’homélie de la Messe d’inauguration de son pontificat: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant». Mais il y a aussi un regard sur l’Eglise, et sur la façon dont s’exerce tout service dans l’Eglise, qui transparaît dans les phrases de conclusion. Il s’agit d’une citation de saint Ignace d’Antioche, conduit au martyre: «Alors je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra plus mon corps». Ce grand Père de l’Eglise faisait référence au fait d’être dévoré par les bêtes, pourtant cette expression est révélatrice pour chaque moment et chaque circonstance de la vie chrétienne: «ses paroles — a déclaré le nouvel Evêque de Rome — renvoient de manière plus générale à un engagement inconditionnel pour quiconque exerce un ministère d’autorité dans l’Eglise: disparaître pour que le Christ demeure, se faire petit pour qu’Il soit connu et glorifié, se dépenser jusqu’au bout pour que personne ne manque l’occasion de Le connaître et de L’aimer». Disparaître, se faire petit, pour qu’Il puisse être connu. Abandonner tout égoïsme, toute confiance mondaine dans le pouvoir, les structures, l’argent, les projets de marketing religieux, pour s’abandonner à Celui qui conduit l’Eglise, sans lequel — comme Il l’a dit Lui-même — nous ne pouvons rien faire. Pour s’abandonner à l’action de sa grâce, qui nous précède toujours.

Il y a, également dans cette vision du nouveau Pape, une continuité importante avec son prédécesseur François, qui avait cité à plusieurs reprises le mysterium lunae, l’image de la lune utilisée par les Pères de l’Eglise pour décrire l’Eglise, qui se leurrerait si elle pensait pouvoir briller de sa propre lumière, puis-qu’elle ne peut que refléter la lumière d’un Autre.

Au début de son parcours, le nouveau Pape, missionnaire né aux Etats-Unis et ayant vécu dans les périphéries du monde comme un berger «avec l’odeur des brebis», semble faire écho aux paroles de Jean Baptiste à propos de Jésus: «Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse». Tout dans l’Eglise existe pour la mission, pour qu’Il grandisse. Tous dans l’Eglise — du Pape au dernier des baptisés — doivent se faire petits pour que Jésus soit connu, pour qu’il soit le protagoniste. Il y a en cela l’inquiétude augustinienne de la recherche de la vérité, de la recherche de Dieu, qui devient l’inquiétude de le connaître de plus en plus, et de sortir de soi-même pour le faire connaître aux autres, de sorte que le désir de Dieu soit ravivé en chacun.

Le choix du nom Léon XIV est frappant, le reliant directement à la grande tradition et à l’actualité de la Doctrine sociale de l’Eglise, à la défense des travailleurs, à l’appel pour un système économico-financier plus juste. La simplicité de sa première salutation est significative, l’invocation de la paix de Pâques, cette paix dont nous avons tant besoin, et l’ouverture à tous qui fait écho au «todos todos todos» de François. La volonté de poursuivre le chemin synodal frappe. Tout comme l’Ave Maria, récitée hier avec le Peuple de Dieu, le jour de la Supplique à Notre-Dame de Pompéi, et de l’invocation finale de sa première homélie, grâce demandée «avec l’aide de la tendre intercession de Marie, Mère de l’Eglise».

Jeudi 8 mai, une fois de plus, nous en avons eu la confirmation: au moment de l’«extra omnes», il s’est produit dans la chapelle Sixtine quelque chose qui ne peut être entièrement expliqué par la logique et les schémas humains. Le fait que 133 cardinaux provenant de tous les coins du monde, dont beaucoup ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, soient parvenus à élire en vingt-quatre heures l’Evêque de Rome et le Pasteur de l’Eglise universelle, est un beau signe d’unité. Le bâton du Successeur de Pierre, qui brillait il y a quelques jours dans la fragilité de François et dans sa dernière bénédiction de Pâques au peuple, est maintenant passé à un humble évêque missionnaire, fils de saint Augustin. L’Eglise est vivante parce que Jésus est vivant et présent, qui la guide en utilisant des disciples très fragiles prêts à dis-paraître pour que Lui, et Lui seul, puisse demeurer.