· Cité du Vatican ·

Notre frère artisan de paix

 Notre frère artisan de paix  FRA-005
29 avril 2025

Andrea Monda

Il s’est donné entièrement, sans réserve, jusqu’au dernier jour. Jusqu’à la fin. Allant à la rencontre des personnes, en les embrassant. Et si les conditions ne le permettaient pas, alors il téléphonait à ceux, nombreux, envers qui il ressentait l’urgence de faire entendre sa voix. Parmi eux, il y avait le père Gabriele Romanelli, le curé de Gaza, qu’il appelait l’après-midi, souvent par appel vidéo. Pour ne pas faire uniquement entendre sa voix, mais pouvoir se voir, les yeux dans les yeux. Le «face-à-face» pour Jorge Marie Bergoglio était fondamental, car se regarder dans les yeux rend le mensonge impossible et permet une véritable communication, qui est avant tout une relation, une communion. Le téléphone pour réduire la distance et se faire proche, selon le «style de Dieu» fait «de proximité, de compassion et de tendresse»; l’abolition des distances est l’une des caractéristiques de son pontificat, dans lequel les «rôles» demeurent sans étouffer la relation, car les personnes sont plus que leur statut ou leur performance, il est donc nécessaire de passer de la «culture de l’adjectif à la théologie du substantif».

Gaza, comme il l’avait écrit dans son message Urbi et Orbi du dimanche 20 avril, «où le terrible conflit continue de semer la mort et la destruction et de provoquer une situation humanitaire dramatique et ignoble». Gaza, donc, la Terre Sainte blessée, mais aussi l’Ukraine, l’«Ukraine martyrisée» pour laquelle il a prié tous les jours depuis ce 24 février d’il y a trois ans, et ce, jusqu’au dimanche 20 avril, lorsqu’il a écrit: «Que le Christ Ressuscité répande le don pascal de la paix sur l’Ukraine meurtrie et encourage tous les acteurs à poursuivre les efforts pour parvenir à une paix juste et durable».

Plus longue encore est la liste, dans le cœur et les mots du Pape, des pays déchirés par les conflits de cette «troisième guerre mondiale par morceaux» qu’il annonçait, incompris comme tous les prophètes, depuis le début de son pontificat. Parallèlement au travail de diplomatie du Saint-Siège, le Pape n’a jamais manqué de faire entendre sa voix prophétique, faite non seulement de paroles, mais aussi de gestes, de silences, de prières. Le lendemain de l’invasion de l’Ukraine, dans la matinée du 25 février 2022, il se rendit personnellement, en voiture, à la proche ambassade de la Fédération de Russie. La rapidité de ce geste frappa, peu d’heures avaient passé depuis l’invasion et ce fut sa façon de faire sentir sa présence, sa participation et sa préoccupation pour ce drame qui venait tout juste de commencer. Le 15 août de cette même année, le titre du Message pour la Journée mondiale de la jeunesse fut «Marie se leva et partit en hâte» (Lc 1, 39) dans lequel il soulignait comment, «en ces derniers temps difficiles, alors que l’humanité, déjà éprouvée par le traumatisme de la pandémie, est déchirée par le drame de la guerre, Marie rouvre pour tous et en particulier pour vous, jeunes comme elle, le chemin de la proximité et de la rencontre». Deux mots qui éclairent: proximité et rencontre. Le modèle est toujours celui du Bon Samaritain qui vainc la paresse, la torpeur, la paralysie que les peurs provoquent souvent en nous et qui passe à la compassion, se faisant le prochain du frère le plus fragile et le plus nécessiteux. Tout comme Marie qui vit le «tremblement de terre» de l’annonce reçue sans s’enfermer dans une autoréférentialité plaintive, mais qui sort d’elle-même, court vers les autres et «ne se laisse pas paralyser, car en elle se trouve Jésus, puissance de résurrection». La proximité et la rencontre sont les antidotes à la guerre et les conditions de départ pour une «paix préventive».

Artisan inlassable de paix qui est un bien fragile, ayant besoin d’une attention créative faite de tissage quotidien de relations et de réparation d’une fraternité blessée. La mort de Dieu a conduit dans le «siècle bref» à la mort de son prochain; en tuant le Père, l’homme est passé automatiquement au meurtre de son frère. En revenant de Malte, le 3 avril 2022, François admit avec amertume que «nous sommes têtus comme humanité. Nous aimons les guerres, l’esprit de Caïn», et concernant le «schéma de la guerre», «nous ne sommes pas capables de penser à un autre modèle, parce que nous ne sommes plus habitués à penser au schéma de la paix». Elargir le regard, aiguiser l’imagination, faire exploser la créativité pour vivre de nouveau la fraternité et éviter le fratricide, telle est l’exhortation du Pape toutes ces années, invitant, comme le dit Jésus dans l’Evangile, à se faire véritablement le prochain, le frère de quelqu’un, de tous. L’Encyclique Fratelli tutti du 4 octobre 2020 reste l’élément le plus éloquent avec les voyages apostoliques. Le Pape François, notre frère, a parcouru en long et en large le monde pour encourager les hommes à vivre et incarner le rêve de la paix. Les voyages indiquent le tissage de la paix le long des frontières les plus déchirées du monde. La Birmanie, l’Afrique, l’Irak, puis à Abou Dabi, la signature du Document sur la fraternité humaine avec le grand imam Al-Tayyib le 4 février 2019. Le lendemain, sur le vol de retour vers Rome, alors que le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège à l’époque, Alessandro Gisotti, qualifiait l’événement de «grand, historique», François a souligné qu’«aucune histoire n’est petite, aucune. Chaque histoire est importante et digne et même si elle est triste, la dignité est cachée et peut toujours ressortir». La dignité de l’homme n’est jamais rabaissée, parce qu’elle est fondée sur l’amour créateur de Dieu. C’est un thème qui a également trouvé un écho dans les méditations de la dernière Via Crucis, le Vendredi Saint 18 avril, lorsqu’il a écrit: «Inhumaine est l’économie où quatre-vingt-dix-neuf valent plus qu’un seul. Pourtant, nous avons construit un monde qui fonctionne ainsi: un monde de calculs et d’algorithmes, de logiques froides et d’intérêts implacables».

La voix de François s’est élevée pour nous rappeler tout cela, et il l’a fait jusqu’à la fin, «accourant» dans sa papamobile sur la place, parmi les fidèles dans la lumière d’un matin de Pâques, après les avoir salués depuis la Loggia des bénédictions, précisément là où tout avait commencé douze ans plus tôt, lorsqu’il avait demandé aux fidèles de prier pour lui et de marcher ensemble, en synodalité, le peuple avec son évêque. Son chemin, sa course terrestre s’est achevée le jour du Seigneur ressuscité, notre frère François désormais nous «primerea», nous précède et nous attend dès aujourd’hui pour une dernière étreinte définitive.