· Cité du Vatican ·

Le rêve d’un funambule de l’Esprit

 Le rêve d’un funambule  de l’Esprit  FRA-004
07 avril 2025

Jean-Paul Vesco

cardinal archevêque d’Alger

Khaled Boudaoui a participé au marathon de Rome et Athletica Vaticana lui a attribué la «Coppa degli ultimi» (Coupe des derniers). Pour ceux qui l’ont côtoyé et accompagné ces dernières années, cette participation relève tout simplement du miracle. Khaled était déjà atteint d’un cancer du pancréas mal détecté lorsqu’il s’est marié, il y a douze ans, avec Nesrine. Ensemble, ils ont eu deux merveilleux enfants, Sheïma et Khalifa. Le combat contre la maladie et pour sa famille a poussé Khaled à parfaire son français pour écrire deux romans (une autobiographie est en cours d’édition), à s’entraîner à la course à pieds pour courir des marathons au nom de tous les cancéreux alités chez eux et dans les hôpitaux du monde entier. Il ne reste plus guère de parties de son corps qui n’aient été attaquées par le cancer, et pourtant il est là, debout, souffrant et souriant, au détour d’un rictus douloureux ou d’une formule drôle d’autodérision. Il va toujours «mieux». Mieux qu’hier où c’était tout de même difficile. Mieux que demain où ce sera difficile… mais demain est un autre jour, un jour gagné pour sa famille.

Khaled est mon frère et mon ami. Il est aussi une figure de héros pour moi, comme il est le héros de sa fille Sheïma si fière d’avoir un père écrivain, si fière de ses médailles gagnées à la course, si fière du père et de l’homme qu’il est. Il est le héros de sa petite famille héroïque et de toute la communauté d’amis qui le soutiennent autant qu’ils le peuvent dans ce combat pour la vie.

Il y a plus que de l’héroïsme dans ce combat implacable, il y a de la sainteté. Lors du pic de l’épidémie de covid en Algérie, s’est engagée une course effrénée et désespérée à l’oxygène. Khaled a oublié sa maladie pour procurer de l’oxygène à sa mère et à l’une de ses sœurs. Ayant un jour réussi à se procurer un concentrateur d’oxygène, il en a fait don à un voisin qui en avait lui aussi un besoin vital. Lorsque je lui ai dit que son attitude m’avait bouleversé tant elle était risquée pour la vie de sa sœur et de sa mère, il m’a répondu en souriant: «Oui, mais aujourd’hui les trois sont en vie!».

Cette sainteté face à la maladie, je l’ai retrouvée dans son adresse au cancer qu’il a écrite au moment du premier anniversaire du décès de son autre sœur, emportée par le cancer: «Tu es un adversaire redoutable, insaisissable et implacable. Tu as laissé ta marque dans ma vie et celle de ma sœur, créant des douleurs indescriptibles et semant le doute sur notre existence. Tu es l’incarnation de la lutte entre la fragilité de la vie et la force de la volonté. Mais malgré ton pouvoir, tu ne pourras jamais effacer l’amour, le courage et la résilience qui demeurent en nous. Tu nous as confrontés à l’éphémère, à la fragilité de chaque instant, mais tu n’as pas réussi à briser notre détermination. Tu nous as appris que la vie est précieuse, que chaque instant compte, et que la valeur des relations humaines dépasse toute compréhension. Tu as mis en lumière la nécessité de se soutenir mutuellement, d’aimer intensément et de profiter de chaque instant avec ceux qui nous sont chers. Mais malgré ton influence, tu n’as pas le pouvoir de définir notre identité. Nous ne sommes pas simplement des combattants face à toi, mais des êtres humains remplis d’amour, de rêves et d’espoir. Et même lorsque tu as emporté ma sœur, tu n’as pas pu nous enlever les souvenirs précieux que nous partageons, ni la force de notre lien indestructible».

Nous avions rêvé de courir ce marathon épaule contre épaule. Cela n’a pas été possible cette année, mais que je suis heureux qu’il ait pu réaliser ce rêve de courir à Rome. Un rêve réalisé de plus dans cette vie de funambule de l’Esprit.