
Federico Piana
Croix-des-Bouquets, 10 km au nord-est de Port-au-Prince. Toute la zone de la commune est contrôlée par les bandes armées. Personne n’entre et ne sort, à part les paramilitaires, qui se déplacent pour aller combattre et qui reviennent, s’ils reviennent, blessés et mutilés. Même si peu de kilomètres séparent Croix-des-Bouquets des deux hôpitaux de Port-au-Prince qui n’ont pas été détruits, y transporter des personnes serait trop dangereux, voire impossible. C’est pourquoi les chefs des milices, qui sont en guerre entre eux et avec les forces au pouvoir et qui ensanglantent depuis des années ce pays des Caraïbes, ont décidé que tous les blessés doivent être transportés à l’Hôpital Foyer Saint Camille, construit par les camilliens en 1994. Les chefs des bandes armées l’auraient également détruit, mais ils ont compris qu’il valait mieux l’utiliser pour remettre sur pied leurs miliciens mais aussi pour soigner leurs familles. «Et puis — explique le père Erwan Jean-Marie François — ils ont aussi compris que nous sommes utiles à la population, pauvre et affamée, et que nous soignons chaque personne, sans ne rien vouloir savoir de leur appartenance. C’est pour cela que, jusqu’à présent, nous avons été épargnés, même si non loin d’ici, d’autres œuvres de l’Eglise ont été brûlées».
Le religieux camillien raconte à l’«Osservatore di strada» que les médecins et les infirmiers de l’établissement prennent soin d’au moins cent personnes, dont la plupart ont été blessées dans les affrontements quotidiens entre les rebelles et la police. «Parmi eux, il y a aussi des enfants, car la guerre n’épargne personne». Et les enfants sont précisément le cœur de la mission voulue et accomplie par les camilliens. A l’Hôpital Foyer Saint Camille, dès le début, les fondateurs ont voulu créer le Foyer Bethléem qui accueille de nombreux mineurs porteurs de handicaps mentaux et physiques. «Ils sont au moins une centaine, accueillis dans deux services. Et ce sont presque tous des enfants abandonnés par leurs familles, qui considèrent le handicap comme une honte, une malédiction divine, une stigmatisation à éliminer».
Le père Erwan Jean-Marie François parle avec douleur d’un père et d’une mère qui ont abandonné leur fils dans un coin de la cour et qui sont partis. «Ils l’ont fait car ils étaient certains que nous nous serions occupés de lui. Nous avons trouvé de nombreux enfants dont nous prenons soin abandonnés dans la rue. Et nous ne savons pas où sont leurs parents».
Aux côtés de ces jeunes handicapés, il y a les sœurs camilliennes, des professionnels de la santé et des bénévoles: environ quinze personnes. «Ils font presque tout. Ils leur donnent à manger, leur administrent leurs médicaments, leur tiennent compagnie». -Même les séminaristes qui fréquentent l’établissement leur rendent visite et leur donnent de l’amour et un soutien psychologique et spirituel.
Comment l’Hôpital Foyer Saint Camille a-t-il réussi à rester opérationnel? Le camillien n’a qu’une seule réponse: «Nous nous préoccupons de sauver les pauvres, l’argent n’est pas notre priorité. Ce qui nous intéresse, c’est la santé, la vie des gens. S’ils voient que tu fais le bien, ils ne te touchent pas».
D’autres enfants arrivent aux portes de l’hôpital poussés par la faim: «Ils sont mal nourris et nous leur donnons des aliments riches en protéines presque chaque jour, également à emporter à la maison, afin que ce régime alimentaire soit aussi continu que possible. Nous distribuons aussi de la nourriture à 500 familles». Financièrement, qui subventionne tout cela? «Ce sont nos confrères italiens de Turin, sans l’aide desquels nous ne pourrions rien faire. Malheureusement, notre Etat ne s’engage pas du tout en faveur de la santé».