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Le témoignage de Joy qui a survécu à l’horreur

 Le témoignage de Joy qui a survécu à l’horreur  FRA-003
04 mars 2025

Stefano Leszczynski

Joy Ezekiel souhaite que son nom et son prénom apparaissent car elle a été victime du trafic d’êtres humains en versant de vraies larmes et du vrai sang: «Aujourd’hui, c’est un jour où presque tout le monde se réunit pour prier en mémoire des nombreuses personnes qui sont encore prisonnières de la traite et pour celles qui ont trouvé le courage de s’échapper de cette forme d’exploitation», dit-elle en intervenant en ce 8 février, xie Journée mondiale de prière et de réflexion contre la traite des êtres humains.

Elle n’avait même pas 23 ans, raconte-elle aux médias du Vatican, lorsque sa famille au Nigeria l’a confiée à des trafiquants pour qu’elle puisse rejoindre l’Italie. Elle faisait confiance aux personnes qui lui avaient promis un avenir meilleur même si elle était loin de sa famille et était confortée par l’idée de pouvoir aider ses proches à sortir de la pauvreté dans laquelle ils vivaient. C’est pourquoi elle est partie en sachant qu’elle aurait à affronter un long voyage, à respirer le sable du désert, à défier la faim et la soif. Mais elle n’imaginait certainement pas l’enfer qu’elle allait devoir traverser. C’était un chemin marqué par la mort et le désespoir. «Dans le camp libyen où j’étais enfermée, rien ne nous était épargné: il y avait beaucoup de tortures, de violences, de viols collectifs. Il y avait avec nous une fille d’à peine 13 ans, elle s’appelait Grace. Elle est morte dans mes bras après avoir été violentée et alors qu’elle s’éteignait lentement, entre larmes et gémissements, elle m’a dit de prier pour elle».

Joy a beaucoup prié, même sur la petite embarcation qui l’a emmenée jusqu’en Italie. Elle a prié avec la mère d’une petite fille de quelques mois. Elle a aussi prié à Castel Volturno, au nord de Naples, où elle était contrainte de se prostituer dans les bois. Mais c’était inutile. «En Italie, les trafiquants ont réussi à me faire sortir du centre où nous étions enfermées. J’ai été jetée à la rue par la femme dont je pensais qu’elle m’aiderait à éviter de retourner en Libye». Le réseau des trafiquants est bien organisé et rien ne l’empêche de traquer ceux qui survivent à la traversée depuis la Libye. «Ils vous enchaînent par du chantage, menaçant de nuire à votre famille au Nigeria si vous ne faites pas ce qu’ils vous ordonnent. Ils m’ont fait croire que j’avais une dette de 35.000 euros que je devais rembourser en me prostituant, mais cela n’a jamais pris fin et la dette a continué d’augmenter».

Ceux qui tombent dans le piège de l’exploitation se retrouvent seuls et isolés, victimes de l’indifférence de ceux qui profitent de leurs conditions de faiblesse, incapables de communiquer parce qu’ils ne connaissent pas la langue et terrifiés à l’idée que la police les arrête et les expulse du pays. «Vous avez l’impression que votre vie est entre les mains de parfaits inconnus, que n’importe qui peut vous faire du mal. A tout moment, vous pouvez perdre la vie à cause de centaines d’hommes par jour qui piétinent votre corps et votre dignité».

Joy connaît bien le poids de la solitude et de l’abandon. Même sa mère, à qui elle parvient un jour à avouer secrètement sa situation par téléphone, lui dit de ne pas se rebeller et de veiller à envoyer de l’argent à la maison. «Malgré tout, j’avais le sentiment que la vie que je vivais ne m’appartenait plus. Ce sont les rêves que j’avais quand j’étais enfant qui m’ont donné de la force. J’aurais adoré chanter».

«J’ai essayé de m’échapper une fois, mais ils m’ont rattrapée et m’ont punie». C’est une autre femme qui a brisé le mur de l’indifférence qui étouffait Joy alors qu’elle essayait d’attirer de nouveaux «clients» sur le trottoir de la Via Domiziana. «Elle n’a pas eu peur de me regarder dans les yeux et de me donner un morceau de papier avec un numéro de téléphone à appeler pour obtenir de l’aide. Cette nuit-là, je me suis mise à genoux et j’ai dit à Dieu: “Regarde la dernière épreuve, maintenant il y a quelque chose”».

Il lui a fallu tout le courage du monde pour tenter de s’échapper à nouveau et trouver refuge à la Casa Rut, un centre fondé en 1995 par sœur Rita Giaretta à Caserte. «Elle m’a accueillie et m’a fait me sentir comme une nouvelle personne. Le lendemain matin, quand je me suis réveillée, j’ai senti que je devais m’excuser auprès de Dieu d’avoir pensé qu’il m’avait abandonné, parce que j’étais très en colère contre lui».

«J’essaie toujours de raconter mon histoire — explique Joy Ezekiel — comme une source d’espérance et pas seulement pour faire connaître la souffrance, la mienne et celle de nombreuses autres femmes. Je veux que les gens sachent qu’il y a toujours de l’espoir pour avancer. A tous ceux qui choisissent de détourner le regard, je dis “ne soyez pas complices”, car ces personnes pourraient être vos femmes, vos filles. Quelqu’un qui a besoin d’aide aujourd’hui, pas demain».