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Tribune

ia et droit d’auteur: Préserver la création humaine

Jean-Marc Nattier, Portrait de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1755)
04 mars 2025

Pascal Rogard

Directeur général de la Société des auteurs
et compositeurs dramatiques

Pas un secteur de nos vies, de nos activités ne sera pas révolutionné ou a minima bouleversé par le développement de l’intelligence artificielle (ia). La création artistique n’y échappera pas. Elle est déjà l’un des secteurs les plus fortement impactés. Avec la montée en puissance de l’ia générative qui peut créer des contenus, des images, des sons, certains craignent même un remplacement progressif de la création humaine.

Il faut savoir raison garder. L’ia ne doit être ni diabolisée, ni glorifiée. Si nous ne voulons pas être affaiblis dans notre capacité à envisager ses effets, il faut au contraire cultiver lucidité et vigilance. Et se fixer un objectif: l’ia est un outil et doit impérativement le rester, mise au service de la création humaine.

La reconnaissance du droit d’auteur, issue du combat de Beaumarchais à partir de 1777 et qui a donné naissance à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (Sacd), s’inscrit dans cette logique: une œuvre est le fruit de la création humaine et c’est sur la tête de son créateur que naît la propriété intellectuelle dont il doit pouvoir jou-ir paisiblement. Forgé il y a près de 250 ans, ce droit d’auteur n’a jamais été figé. Il a toujours su se transformer pour s’adapter aux évolutions tech-nologiques sans céder sur ses principes.

Aujourd’hui, encore, nous croyons résolument à sa modernité et à sa nécessité. Rien d’ailleurs ne devrait faire obstacle à son application dès maintenant… sinon la mauvaise volonté des propriétaires des ia qui préfèrent entraîner leurs modèles avec des millions d’œuvres culturelles et de dérivés de ces œuvres sans autorisation ni rémunération. Le moissonnage des données est finalement devenu le nom poli d’un pillage en règle de la création humaine.

L’heure ne doit en tout cas pas être au renoncement. Nous ne sommes pas démunis: nos règles juridiques ont été renforcées dans l’Union européenne récemment avec le règlement sur l’ia. Il a ainsi prévu la nécessité pour ces entreprises à la fois de respecter le droit d’auteur et de mettre en place une obligation de transparence des données utilisées pour entraîner leurs modèles.

C’est un premier pas sur lequel construire l’avenir et trouver la voie d’un futur en commun dans lequel le droit d’auteur n’est pas sacrifié et la création humaine pas mise en danger. Pour y parvenir, un mot doit présider à tout: la juste régulation qui n’est ni l’ennemie de l’innovation, ni un obstacle au déploiement des services d’ia. Elle est en fait la condition d’une ia éthique qui garantit aux créateurs la pérennité de leurs droits et le maintien des emplois artistiques et nous rappelle une réalité: les œuvres culturelles, parce qu’elles portent des valeurs et des identités, ne sont pas des biens comme les autres.

A l’heure de l’ia, une urgence s’impose désormais: les législateurs doivent se saisir de leur pouvoir de régulation et ne pas renoncer à l’ambition de préserver les droits des créateurs et la spécificité de la création humaine.