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FEMMES EGLISE MONDE

Dacia Maraini : si le bourreau des femmes est leur compagnon

Le pouvoir perdu et la violence

  Il potere perduto e la violenza   DCM-003
01 mars 2025

Huit histoires qui ont pour thème commun la violence, tant physique que psychologique, perpétrée sur les femmes et bien souvent par des maris, des compagnons, des amis à double personnalité : des hommes respectables en public, mais des bourreaux à la maison. L’amore rubato (Rizzoli) est le recueil de récits dans lequel Dacia Maraini affrontait déjà en 2012 le drame des relations toxiques, des abus non dénoncés, des féminicides.

Parmi les fondatrices du féminisme italien, depuis les années soixante en première ligne dans les luttes pour les droits des femmes, l’autrice présente un échantillonnage de victimes, comme la jeune femme qui arrive aux urgences avec le bras cassé par son mari, respecté par tous mais maniaque du contrôle, la lycéenne violée à plusieurs reprises par ses camarades d’école, l’adolescente abusée puis tuée par le pédophile qui est un voisin, la femme qui décide de ne pas mettre au monde son enfant issu d’un viol. Bien que transfigurées par le langage de la littérature, les différentes histoires semblent sorties de la chronique noire de notre époque à l’enseigne de l’urgence. Et en 2016 elles sont devenus un film, L’amore rubato, réalisé par Irish Braschi et interprété par Elena Sofia Ricci, Stefania Rocca, Gabriella Pession, Chiara Mastalli et d’autres actrices.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire le livre ?

Je voulais comprendre et approfondir la relation homme-femme difficile, profonde et mystérieuse dans la société d’aujourd’hui. C’est de cette préoccupation qu’est né ce livre qui est un recueil de récits inspirés par les faits divers.

Tant dans vos histoires que dans la réalité, on est frappé par une constante : les victimes continuent à « justifier » les hommes violents et évitent de les dénoncer. Pourquoi ont-elles cette attitude ?

Un peu parce qu’elles croient pouvoir racheter les hommes par l’amour. Un peu parce qu’une femme ne peut pas imaginer qu’après l’avoir aimée, un homme puisse vraiment la tuer. Malheureusement, même les forces de l’ordre ne croient pas cela possible lorsqu’elles reçoivent une plainte pour des gestes violents. Les bracelets électroniques et les recommandations ne servent évidemment pas. Il faut plus de décision aux premiers signes. On ne peut pas attendre qu’une femme meure pour essayer de faire justice.

Selon vous, internet a-t-il favorisé la progression de la misogynie ?

Je dirais vraiment que oui. Cet instrument pervers qu’est l’anonymat, typique des réseaux sociaux, a favorisé le cynisme et l’exhibitionnisme agressif destinés à déboucher sur un sentiment anti-féministe répandu.

La violence contre les femmes découle souvent de l’insécurité de l’homme qui, face à l’autonomie féminine, ou encore pire d’un refus, sent son pouvoir en crise. N’y a-t-il pas d’exception ?

Les hommes sages et avec les pieds par terre. Ce sont ceux qui acceptent les changements, qui comprennent le désir d’autonomie et de liberté des femmes, qui comprennent leur désir d’être reconnues comme des professionnelles et des créatrices. Et ils décident même de perdre  certains privilèges, parfois avec douleur.

Et ceux qui n’acceptent pas la confrontation avec la féminité émancipée ?

Ils sont plus fragiles et effrayés. Face aux nouvelles autonomies des femmes, ils se sentent offensés, trahis, frappés au plus profond et sont assaillis par le désir de tout détruire, leur compagne en premier lieu et peut-être également eux-mêmes.

La violence de l’homme sur la femme est-elle toujours le fruit de la culture patriarcale de la possession ?

Je suis moi aussi convaincue, comme l’affirme Simone De Beauvoir, qu’on devient femmes, on ne le naît pas. Et je pense qu’on peut dire la même chose de l’homme : ce qui apparaît aujourd’hui est le fruit de trois mille ans d’histoire, du conditionnement culturel et de la mémoire du passé.

Pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, beaucoup souhaitent l’introduction de l’éducation sentimentale dans les écoles : serait-ce utile, selon vous ?

Bien sûr, mais il faudrait le faire immédiatement, pas dans de nombreuses années, après en avoir discuté et rediscuté entre ceux qui sont pour ou contre, comme c’est toujours le cas chez nous. Dès l’enfance, tout le monde devrait apprendre qu’on ne peut posséder personne, pas même un enfant à naître qui doit être nourri et soigné, certes, mais qu’il ne faut pas le considérer comme une propriété. Le discours vaut encore davantage s’il concerne une femme qu’on a aimée.

Parmi les nombreux féminicides qui ont bouleversé l’opinion publique, y en a-t-il un qui vous a davantage frappé ?

Pas un seul, malheureusement, mais beaucoup. L’homme qui a tué sa fiancée enceinte en poignardant le fœtus, le mari qui a d’abord tué ses enfants et ensuite sa femme, et encore ceux qui, après avoir massacré leur compagne, font comme si de rien n’était et participent aux recherches sur sa disparition en affirmant qu’elle est partie volontairement... Tous ces cas montrent à quel point le patriarcat est en crise.

Cela veut-il dire qu’il y a une guerre des sexes aujourd’hui ?

J’espère bien que non. Il y a beaucoup d’hommes intelligents, généreux qui comprennent et prennent position en faveur des femmes. La guerre entre les sexes ne peut être qu’un affrontement entre deux genres considérés comme des races différentes et opposées. Je ne crois pas que les races existent, donc je rejette cette idée.

La violence ne naît-elle pas aussi de l’incapacité des mères à éduquer leurs fils à respecter les femmes et leurs filles à ne pas accepter les abus ?

On a toujours blâmé les mères. Mais ce n’est pas leur faute si elles ont été forcées à être les policières des lois des pères. Parfois consciemment, d’autres sans s’en rendre compte et donc avec plus de détermination, mais toujours dans une conception androcentrique de la société.

Avez-vous personnellement déjà été victime de violence ?

Plusieurs fois, surtout quand j’étais petite, mais je me suis enfuie comme un lièvre. Ce n’est qu’après que j’ai compris à quel point le monde des pères est fasciné et attiré par les corps sans défense et tendres des petites filles. Mais céder à cette attraction est un abus horrible qui va à l’encontre de toutes les règles de coexistence des personnes ayant des liens d’affection et des droits civils. Envahir ce merveilleux petit monde en évolution pour imposer son égoïsme est un acte vil, horrible.

Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, un intellectuel a-t-il des devoirs précis ?

Je ne donnerais pas de tâches ou de devoirs aux intellectuels. J’essaierais plutôt d’obtenir de leur part une participation émotionnelle et créative.

Gloria Satta


Des hommes qui n’aiment pas


Des hommes respectables aux yeux des gens, mais des bourreaux entre les murs de la maison.

Dans le livre L’amour volé, Dacia Maraini raconte un monde divisé entre ceux qui voient dans l’autre une personne à respecter et ceux qui considèrent l’autre comme un objet à posséder et à asservir.

Il y a l’histoire de Marina, 17 ans, qui s’obstine à tomber dans les escaliers (c’est ce qu’elle raconte au médecin pour justifier ses ecchymoses); et celle de Francesca, 13 ans, violée par quatre lycéens appartenant à des familles riches. Il y a le drame d’Ale qui choisit avec souffrance de ne pas faire naître le fruit d’une violence. Et le choix d’Angela qui s’accuse des fautes qu’une ancienne misogynie attribue à la première désobéissance féminine.


Une femme tuée toutes les 10 minutes


En 2023, 51.000 femmes ont été tuées dans le monde, soit une moyenne de 140 victimes chaque jour. Une femme tuée toutes les 10 minutes. Des chiffres alarmants, impressionnants. Dans 62,2% des cas, l’assassin est un membre de la famille ou un partenaire, fiancé, mari ou ex.

On entend par le terme « féminicide » les homicides de femmes motivés par des raisons de genre. Il ne s’agit pas simplement du meurtre d’une personne, mais d’un crime qui reflète des déséquilibres de pouvoir, des discriminations et des stéréotypes profondément enracinés.  Bien que la violence fondée sur le genre transcende les frontières, selon le rapport des Nations unies, en 2023, l’Afrique a enregistré le plus grand nombre de féminicides, avec 21.700 femmes et filles tuées par leur partenaire ou des membres de leur famille, suivie par les Amériques et l’Océanie. Mais il y a encore trop de données manquantes. En 2023, le nombre de pays ayant fourni des informations est tombé à moins de la moitié par rapport au pic atteint en 2020, où l’on en comptait 75.