· Cité du Vatican ·

L’Evangile du mois (Lc 6, 17.20-26)

Heureux es-tu!

 Heureux es-tu!  FRA-002
04 février 2025

Philippe Lefebvre

Faculté de théologie
de l’Université de Fribourg

«Heureux»! La première fois dans la Bible qu’une béatitude est proclamée, c’est par la bouche de Moïse juste avant sa mort. Après avoir dé-ployé un long cantique, après avoir ensuite béni chacune des tribus d’Israël, Moïse lance ces mots: «Heureux es-tu, Israël! Qui est comme toi, peuple sauvé par le Seigneur...?» (Dt 33, 29). Ce sont là ses dernières paroles; il mourra peu après, au mont Nébo, «selon l’ordre du Seigneur» (Dt 34, 5). Cette dernière formule est parfois, à juste titre, traduite littéralement de l’hébreu: il mourut «sur la bouche du Seigneur». C’est Dieu qui a donné la parole à Moïse, lequel s’exprimait difficilement (cf. Ex 4); c’est sur la bouche divine que meurt ce grand prophète, juste après avoir prononcé son ultime parole — une béatitude. Proclamer «heureux» des humains au nom de Dieu, c’est donc rejoindre, comme l’a vécu Moïse, le Verbe essentiel de Dieu.

Et l’on pourrait faire, à partir du dernier mot de Moïse qui est aussi la première béatitude, tout un parcours «béatifique» dans l’Ancien Testament. Un des passages importants serait alors le terme inaugural du premier psaume: «Heureux…». Les deux premiers psaumes constituent une ouverture pour l’ensemble du psautier: «heureux» est le premier mot du psaume 1; «heureux» est le dernier mot du psaume 2; ces psaumes inauguraux nous donnent donc une clé essentielle: il s’agit au fil des psaumes de s’installer dans l’alpha et l’oméga de Dieu: le bonheur de sa présence.

Il est bon aussi de rappeler que dans le livre des Proverbes, la Sagesse affirme heureux «ceux qui gardent ses voies», «celui qui l’écoute» avec assiduité (Pr 8, 32.34). Cette même Sagesse a proclamé auparavant, dans un passage magistral, qu’Elle est née de Dieu avant toute création et qu’Elle accompagnait le Créateur quand il faisait le monde (Pr 8, 22-31).

Dans l’évangile de Luc d’où notre texte est tiré, la première béatitude qui est prononcée vient d’Elisabeth. Accueillant Marie qui arrive en toute hâte après avoir reçu l’annonce de l’ange, Elisabeth la déclare «bénie entre les femmes» et elle ajoute bientôt: «Heureuse celle qui a cru qu’il y aura un accomplissement à ce qui lui a été dit de la part du Seigneur» (Lc 1, 45).

Quand Jésus proclame les béatitudes, il s’inscrit dans une antique tradition; il vaudrait mieux dire qu’il dévoile qui parlait quand le mot «heureux» était proclamé. Avec Moïse et en lui, c’est le Christ qui parlait en déclarant «heureux» le Peuple de Dieu. Dans la Sagesse née de Dieu avant tous les siècles, c’est le Christ qui se faisait entendre, appelant les humains au bonheur d’écouter un Enseignement venu de Dieu. Par la bouche d’Elisa-beth, cette Sagesse christique se fait à nouveau entendre au début de notre évangile.

Heureux ceux qui ne correspondent pas aux exigences de ce monde qui affame et qui exclut ceux qui ne se conforment pas à lui. Heureux sont-ils car ils vont entrer dans une plénitude de Verbe et de Vie.