
Nommer la « première femme » qui a eu une idée, découvert quelque chose ou innové est un sujet difficile. Le problème est particulièrement aigu lorsqu’il s’agit des femmes dans la Bible. Si dans la Bible, le livre des Juges (4-5) mentionne la première et unique femme juge, Déborah, il est possible qu’il y en ait eu d’autres. Et si ces chapitres nous présentent le premier cas d’une femme meurtrière, Jaël, il est possible qu’il y ait eu d’autres femmes meurtrières. Leurs histoires ont servi de modèle pour la collaboration et le leadership des femmes, démontré non pas par la force physique, mais par la sagesse, le courage et la discrétion.
Dans Juges 5, 7, Déborah se qualifie de « mère en Israël ». Cette définition est une métaphore de la protection qu’elle apporte à son peuple : elle n’a pas d’enfant biologique (pour autant que nous le sachions) et n’a peut-être même pas de mari. Elle établit le modèle pour les femmes qui servent de mères – qui donnent la vie, qui protègent, qui enseignent et qui guérissent – à toute personne dans le besoin. Bien que la plupart des traductions identifient Déborah comme l’« épouse de Lappidot », le mot hébreu pour « épouse » peut également signifier « femme », et Lappidot est le terme hébreu pour « flammes » ou « torches ». Par conséquent, Déborah pourrait être une « femme de flammes », une juge indépendante de son mari et de ses enfants, une juge qui apporte la lumière dans les affaires de justice, une juge qui brûle de rectitude.
Selon Juges 4, 7, Déborah avertit le général israélien Barak : « Yahvé, Dieu d'Israël, n’a-t-il pas ordonné : “Va, marche vers le mont Tabor et prends avec toi dix mille hommes des fils de Nephtali et des fils de Zabulon” ». Déborah n’est pas seulement juge, mais aussi commandant en chef militaire.
Déborah est la deuxième femme à être appelée « prophétesse ». Avant elle, il y a Miriam, la sœur de Moïse et d’Aaron ; après elle, il y a Culda, Noadia, la « prophétesse » sans nom qui était peut-être l’épouse d’Isaïe, Anne, d’autres femmes qui ont suivi Jésus, et « Jézabel », le nom donné par Jean à une femme dont il rejette les enseignements.
Déborah ne travaille pas seule. Alors que la Bible dépeint souvent les femmes comme des rivales [Sarah et Agar (Genèse 16), Rachel et Léa (Genèse 30), Anne et Peninna (1 Samuel 1), Marie et Marthe (Luc 10), Évodie et Synthyche (Philippiens 4)], Déborah chante les louanges de Jaël, la femme qui tue le général ennemi Sisera. Lorsque Barak, hésitant à partir au combat, dit à Déborah : « Si tu viens avec moi, j’irai, mais si tu ne viens pas avec moi, je n’irai pas » (Juges 4, 8), Déborah accepte de l’accompagner (créant ainsi un précédent pour le service militaire des femmes !), mais prophétise également : « Seulement, dans la voie où tu marches, l'honneur ne sera pas pour toi, car c’est entre les mains d’une femme que Yahvé livrera Sisera [le commandant des forces ennemies] entre les mains d’une femme » (Juges 4, 9).
Cette femme est Jaël, la « femme de Héber le Qénite » (Juges 4, 17). Mais Héber n’apparaît jamais et seules des spéculations continuent d’être faites sur son sort. Lorsque Sisera, en quête de protection, arrive à sa tente (notez bien : sa tente, pas celle de son mari), « Jaël, sortant au-devant de Sisera, lui dit : “Arrête-toi, Monseigneur, arrête-toi chez moi. Ne crains rien!” » (Juges 4, 18). Mais c’est lui qui devrait avoir peur. Jaël lui donne du lait chaud et le cache sous une couverture. Sisera lui dit : « Tiens-toi à l’entrée de la tente, et si quelqu’un vient, t’interroge et dit : “Y a-t-il un homme ici ?” tu répondras : “Non” » (Juges 4, 20). Au lieu de protéger son hôte, « Jaël, femme de Héber, prit un piquet de la tente, saisit un marteau dans sa main et, s’approchant de lui doucement, elle lui enfonça dans la tempe le piquet, qui se planta en terre. Il dormait profondément, épuisé de fatigue, c’est ainsi qu’il mourut » (Juges 4, 21). Le texte n’indique aucune motivation pour son acte. Dans la répétition de ce récit en prose dans Juges 5, c’est-à-dire dans le Cantique de Déborah, Jaël ne tue pas un homme endormi. Juges 5, 26-27 décrit l’homme alors qu’il tombe : «Elle a tendu la main pour saisir le piquet, la droite pour saisir le marteau des travailleurs. Elle a frappé Sisera, elle lui a brisé la tête, elle lui a percé et fracassé la tempe. Entre ses pieds il s’est écroulé, il est tombé, il s’est couché, à ses pieds il s’est écroulé, il est tombé. Où il s’est écroulé, là il est tombé, anéanti ».
Jaël sert de modèle à d’autres femmes dans la Bible. D’une part, il y a Dalila, dont la trahison de Samson dans Juges 16 peut avoir été une question d’autoprotection (les Philistins savent où elle vit) ou de cupidité (les Philistins lui offrent de l’argent). Dans son cas également, la motivation est omise. D’autre part, Jaël et Déborah constituent le modèle de Judith. Comme Déborah, Judith dirige et protège son peuple. Comme Jaël, Judith met à l’aise le général ennemi Holopherne, puis, une fois qu’il est endormi, elle le décapite.
Amy-Jill Levine