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Entretien dans l’avion

La gratitude envers les journalistes et les lettres des migrants

 La gratitude envers les journalistes et les lettres des migrants  FRA-040
03 octobre 2024

Le sourire est le même qu'il y a quinze jours, alors qu'il s'apprêtait à entamer son long voyage vers l'Indonésie. «Je vous remercie infiniment pour votre compagnie. Je vous remercie pour votre service et je suis à votre disposition. Merci beaucoup», a déclaré François à la soixantaine de journalistes présents sur le vol en direction du Luxembourg, la destination, avec la Belgique, de son 46e voyage apostolique.

Moins d'une demi-heure après le décollage, le Pape a souhaité saluer personnellement ceux qu'il a souvent appelés ses «compagnons de -voyage». Le court vol ne lui a pas permis de faire la traditionnelle tournée de saluts, celui où il se déplace lui-même entre les sièges des journalistes, cameramen et photographes. «Désolé, je ne me sens pas à la hauteur du “voyage”», a plaisanté François en faisant référence à la longue allée de l'avion. Les journalistes ne lui ont pas remis personnellement les cadeaux qu'ils avaient préparés, c'est le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, qui les a recueillis et qui les a remis au Souverain Pontife.

L'un d'entre eux se distingue par les histoires dramatiques sous-jacentes et qui sont liées à l'un des thèmes favoris du Saint-Père: les migrations. Il s'agit du cadeau de la journaliste espagnole Eva Fernández, correspondante de Radio Cope, qui lui a offert un sac en tissu sénégalais fabriqué par les enfants de la fondation Buen Samaritano, une initiative de la paroisse Santa María de Añaza aux îles Canaries, ces îles qui sont devenues une «nouvelle Lampedusa» en raison du flux continu de débarquements. Ces mêmes îles Canaries que François a déclaré plus d'une fois vouloir visiter tôt ou tard.

L'écho de ce souhait du Pape est parvenu jusqu'aux îles Canaries et les migrants eux-mêmes ont voulu envoyer des lettres au Souverain Pontife pour lui raconter le périple qu'ils ont vécu — ou plutôt subi — pour arriver aux portes de l'Europe. Les missives ont été rassemblées dans le sac sénégalais, qui contenait également une image du gouvernement de l'île réalisée par un artiste local, une lettre du président Fernando Clavijo et une misbaha, le chapelet islamique, cadeau d'un migrant au prêtre qui l'a aidé à débarquer. Les lettres sont signées par Michel, Ousseynou, Bright, Ousmane, Abibo. Autant d'histoires d'abandon — de la maison, de la famille, de sa propre terre — mais aussi, d'une manière ou d'une autre, d'un nouveau départ et de renaissance.

La lettre de Michel, mineur sénégalais, raconte l'histoire d'un garçon, cadet de trois frères, qui a voyagé pendant sept jours sans vêtements de rechange. Les trafiquants avaient laissé son sac sur la terre ferme. Il a voyagé avec un T-shirt et un pantalon mouillés et est arrivé sur l'île en étant à peine capable de marcher. Il a été recueilli par la fondation Buen Samaritaino et a commencé à travailler pour aider sa famille restée au Sénégal.

Ousseynou Fall arrive du même pays: il est plus âgé que Michel mais tout aussi traumatisé par le voyage. Il a vu des gens mourir de soif. Dans sa lettre, il assure le Pape que son éventuelle visite aux Canaries serait d'un grand réconfort pour tous ceux qui souffrent et rêvent sur l'île. Ousmane est également sénégalais: il est poète et reconstitue son voyage dans les barques avec des vers où l'horreur est adoucie par des métaphores et des comparaisons: «Le froid me tordait les doigts et la faim dans mon estomac me faisait l'effet d'un fil, tandis que l'humidité et le sel de la mer me perçaient la peau et que mes cils se transformaient en cristaux de sel».

Sur une feuille de papier froissée figure l'histoire de Bright Obanor, père de trois enfants, qui a fui les persécutions politiques au Nigeria en 2008 et qui, après deux mois, est arrivé en Libye. Il y a travaillé pendant des mois avant de rassembler une petite somme d'argent et partir pour la Sicile. Il y est resté sept mois, puis a déménagé à Padoue. Il a vécu dans la rue mais a réussi à retrouver sa femme. Ils ont décidé d'aller en France pour donner un avenir à leurs enfants. La fin heureuse a cependant été longue à venir. N'ayant pas de papiers, Bright s'en est remis à une connaissance qui lui promettait un voyage en Irlande pour se mettre en règle. Le tout pour 3.700 euros. Il s'agissait d'une escroquerie. Le jeune homme a été arrêté à Tenerife, lors de l'escale à Dublin. Grâce à l'aide de nombreuses personnes, ses papiers sont en cours de préparation. Entre-temps, il a repris ses études.

La dernière lettre est signée par Abibo Danfá, originaire de Guinée-Bissau, l'un des rares chrétiens arrivés aux Canaries. Dans son pays, il a travaillé pour payer ses études et celles de ses frères, mais le manque d'argent a interrompu son parcours. Il est arrivé par bateau jusqu'à El Hierro au terme d'un voyage tortueux. Il raconte au Pape François l'impossibilité de vivre en Afrique à cause de la faim et des conflits: c'est pourquoi, dit-il, beaucoup décident d'es-sayer de construire leur vie en Europe. (salvatore cernuzio)

de notre envoyé
Salvatore cernuzio