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Discours lors du x e anniversaire de la première rencontre des Mouvements populaires

Terre, logement et travail des droits sacrés

 Terre, logement et travail des droits sacrés  FRA-039
26 septembre 2024

En milieu de matinée, le vendredi 20 septembre, le Pape François s’est rendu au palais Saint-Calixte à Rome, siège du dicastère pour le service du développement humain intégral (dsdhi), où il est intervenu au symposium commémorant le dixième anniversaire de la première rencontre mondiale des Mouvements populaires (rmmp). Nous publions ci-dessous une synthèse de l’intervention du Saint-Père:

Il y a dix ans, «un drapeau» a été planté avec les «trois t»: «Tierra, Techo, Trabajo. Terre, logement, travail». Des «droits sacrés» que personne ne peut et ne doit voler, de même que personne n'a le droit de voler les rêves et les espoirs des pauvres dont nous dépendons tous: «Oui, nous dépendons tous des pauvres, nous tous, y compris les riches». Ces milliardaires qu’il faudrait «davantage taxer».

Utilisant des métaphores mais visant des objectifs concrets, le Pape François a prononcé un long discours, entièrement en espagnol, au palais Saint-Calixte, siège du dicastère pour le service du développement humain intégral, devant les représentants des mouvements populaires, revenus à Rome à l'occasion du dixième anniversaire de la première rencontre mondiale qui s'est tenue au Vatican en 2014. Une rencontre qui avait inauguré un itinéraire de dialogue et d'échange qui s'est poursuivi en Bolivie en 2015, puis au Vatican en 2016. Vendredi 20 septembre, a eu lieu un nouveau rendez-vous avec l'événement «Planter un drapeau face à la déshumanisation», qui s’est tenu dans le hall de ce bâtiment situé au cœur du quartier Trastevere de Rome, où François est arrivé discrètement, sans interrompre le jeune Argentin qui prononçait son intervention.

En prenant la parole, le Pape a encouragé les efforts de ceux qui luttent «contre les structures d'injustice sociale», contre les inégalités, l’accumulation d’argent parfois «taché de sang», les violences et le non-respect des droits; les exhortant à ne jamais tomber dans la «passivité» et le «pessimisme», ni à se laisser «abattre par la douleur».

C’est ce qu’ont fait les mouvements populaires au cours de ces années, en refusant d'être des «victimes dociles», et en se reconnaissant comme «protagonistes de l'histoire». «C’est sans doute votre contribution la plus belle: ne pas reculer, mais aller de l’avant», a observé François, en remerciant également pour les nombreuses œuvres accomplies.

Oui, les Mouvements populaires «protestent — “ce qui est très positif”, a observé le Pape —, mais ils réalisent d'innombrables œuvres, même avec les moyens les plus précaires, parfois sans aucune aide de l'Etat, d’autres fois persécutés». L'Evêque de Rome accompagne en revanche ce chemin, avec la certitude que, comme il l'a dit à Santa Cruz de La Sierra, en Bolivie, «de l'action communautaire des pauvres de la terre dépend non seulement leur avenir, mais peut-être aussi celui de l'humanité tout entière».

«Oui, nous dépendons tous des pauvres, tous, y compris les riches», a fait remarquer le Pape. «Certains frères m'ont dit: “Père, vous parlez beau-coup des pauvres et peu de la classe moyenne”», a-t-il ajouté, simulant l’un des dialogues caractéristiques de sa prédication. «C'est peut-être vrai, je m'en excuse», mais «quand le Pape parle, il parle pour tout le monde parce que l'Eglise est pour tout le monde». Un autre frère a suggéré: «Ne soyez pas si durs avec les riches». «Jésus était plus dur que moi!», a rétorqué François.

Il a reconnu que les entrepreneurs créent certes des emplois et contribuent au développement économique. C'est ce qu'il a dit lors de son récent voyage à Singapour. Mais il est évident que les fruits de ce développement «ne sont pas bien distribués». Et il convient également de noter, a souligné le Pape, que souvent, «ce sont précisément les plus riches qui s'opposent à la réalisation de la justice sociale ou de l'écologie intégrale par pure avidité». «Le diable entre par les poches, ne l'oubliez pas. Un pot-de-vin par-ci, un pot-de-vin par-là…», a souligné le Souverain Pontife en racontant l'histoire d'un entrepreneur international en Argentine à qui l'on avait demandé un pot-de-vin.

Pour François, le système qui a permis aux riches d'amasser des fortunes «parfois ridicules» est «immoral et doit être changé». «Les milliardaires devraient être davantage -taxés», a-t-il affirmé, assurant qu'il priait «pour que ceux qui sont économiquement puissants» soient ouverts au «partage des biens qui ont une destination universelle parce qu'ils dérivent tous de la Création».

Cela est difficile, «mais avec Dieu tout est possible», a-t-il expliqué. Et «si cet infime pourcentage de milliardaires qui monopolisent une grande partie des richesses de la planète était encouragé à les partager, non pas comme une aumône, mais fraternellement, comme cela serait bon pour eux et comme cela serait juste pour tous». Sa réflexion a débouché sur un appel: «Je demande sincèrement que les privilégiés de ce monde soient encouragés à faire ce pas. Ils seront beaucoup plus heureux».

Au contraire, la réalité presque perverse d'aujourd'hui exalte «l'accumulation de richesses comme s'il s'agissait d'une vertu». Alors qu'en réalité, c'est «un vice», a précisé le Pape: «Accumuler n'est pas vertueux, distribuer l'est». Son espoir est que le cri des exclus puisse réveiller «les -consciences endormies de nombreux responsables politiques». Ceux-là mêmes qui ont subi la «domestication» des médias et des réseaux sociaux ou qui ont adopté des «attitudes serviles» à l'égard des puissants économiques. «Renoncer à des idéaux nobles et généreux pour servir l'argent ou le pouvoir est une grande apostasie», a affirmé François. Cela «n'arrive pas seulement aux hommes politiques, mais aussi aux acteurs sociaux et syndicaux, aux artistes et aux intellectuels… et même à nous, les prêtres».

«Il faut aider les hommes politiques afin qu'ils ne se livrent pas aux crocodiles», a exhorté encore le Pape, reprenant la métaphore utilisée lors de la Messe au Timor oriental. Et comme dans le pays asiatique, le Pape a parlé de «compassion», l'un des trois attributs de Dieu avec la proximité» et la «miséricorde». Compassion qui signifie souffrir avec l'autre, ne pas faire l'aumône en regardant les nécessiteux «de haut en bas» mais en s'approchant de leurs souffrances.

Cette compassion est un antidote contre les «idéologies déshumanisées» qui promeuvent une «culture du vainqueur». Certains l'appellent la «méritocratie». Il y a donc «des gens qui, forts de leur succès mondains, se sentent autorisés à mépriser avec arrogance les “perdants”». Personne n'a le droit de mépriser les autres: c'est la racine de tant de haine, de mépris et de violence dans le monde d'aujourd'hui, a affirmé François: «Le silence de l'indifférence cède la place au rugissement de la haine». Et la haine se transforme en violence verbale, en violence physique, en guerre. «C’est la queue du diable!».

Toujours en improvisant, le Pape a raconté avoir vu récemment les images d'une répression utilisant également des gaz lacrymogènes contre des personnes manifestant dans les rues pour leurs droits: «Ils n'avaient pas le droit de revendiquer ce qui était à eux. Nous devons tous nous soutenir les uns les autres», a répété François. «Soulever ceux qui sont tombés est en effet le geste ultime de la compassion. Et quiconque abandonne ceux qui sont tombés ou se moque d'eux n'est pas chrétien: «Relevons ceux qui sont tombés, toujours, toujours!» Vraiment «tous… bons ou mauvais, avec ou sans mérite».

Mais pour cela, il faut de l'amour. Le Pape a évoqué un autre moment de son voyage au Timor oriental: la visite de la maison «Irmãs Alma» à Dili, parmi les enfants gravement malades assistés par les religieuses au milieu de mille difficultés. «Sans amour, tout cela ne peut être compris», disait-il à cette occasion. «Si l'on élimine l'amour en tant que catégorie théologique, éthique, économique et politique, on perd le chemin», a-t-il ajouté. Sans amour, en effet, la tendance est de se «débarrasser» des personnes fragiles. Dans la mathématique avide du confort et de l'individualisme, une certaine forme de «darwinisme social» prend le dessus, la «loi du plus fort» qui justifie d'abord l'indifférence, puis la cruauté, et enfin «l'extermination». Tout cela «vient du Malin».

Une fois de plus, le Pape a invité à ne pas se laisser voler la mémoire historique et a rappelé l'image qui lui est chère du «polyèdre», la famille humaine et la maison commune, rendue resplendissante par les valeurs universelles mûries à partir des racines de chaque peuple. «Rappelons-nous: global mais pas universel», a-t-il dit. Aujourd'hui, alors que nous essayons de «tout normaliser et de tout soumettre», il faut faire attention. Méfions-nous des «crocodiles» qui se camouflent, arrivent sur la rive «en sautant comme des kangourous» et mordent.

Enfin, le Pape Bergoglio s’est arrêté sur un thème qui le préoccupe -beaucoup: les nombreuses formes de criminalité organisée qui «poussent sur les terres labourées par la misère et l'exclusion: trafic de drogue, prostitution des mineurs, traite d’êtres humains, violence brutale dans les quartiers». Il faut affronter ce drame: «Je sais que vous n'êtes pas des policiers, je sais que vous ne pouvez pas vous attaquer directement aux bandes criminelles», a-t-il dit aux Mouvements populaires, mais «continuez à combattre l'économie criminelle par l'économie populaire. Tenez bon… Aucune personne, et surtout aucun enfant, ne peut être une marchandise entre les mains des trafiquants de mort, ceux-là mêmes qui blanchissent ensuite l'argent taché de sang et dînent comme des messieurs respectables dans les meilleurs restaurants».

Dans ce contexte tragique, le Pape n'a pas oublié le fléau des paris en ligne: «C'est une addiction… C'est mettre la main dans la poche des gens, surtout des travailleurs et des pauvres. Cela détruit des familles entières». Cela entraîne en effet des maladies mentales, du désespoir, des suicides causés par le fait d'avoir «un casino dans chaque maison à travers le téléphone portable». Le Souverain Pontife a lancé ensuite un appel aux entrepreneurs d'informatique et d'intelligence artificielle: «Arrêtez l'arrogance de vous croire au-dessus de la loi». Et, a-t-il ajouté, empêchez la propagation de la haine, de la violence, des «fake news», du racisme, et empêchez que les réseaux soient utilisés pour diffuser de la pornographie infantile ou d'autres crimes.

En conclusion de son long discours, le Pape a relancé la proposition d'un revenu universel de base pour que «personne ne soit exclu des biens de première nécessité pour vivre». Il a ensuite exprimé un vœu personnel: «Comme je voudrais que les nouvelles générations trouvent un monde bien meilleur que celui que nous avons reçu! Un monde qui ne soit pas ensanglanté par les guerres et les violences, blessé par les inégalités, dévasté par le pillage de la nature, par des modes de communication déshumanisés, avec peu d'utopies et d'énormes menaces. La réalité dit le contraire, mais il faut toujours espérer. «L'espérance — a assuré le Pape — est la vertu la plus faible, mais elle ne déçoit pas». Jamais.

Salvatore Cernuzio