Dans l'après-midi du jeudi 12 septembre, le Pape François a présidé la Messe au stade national de Singapour, en présence de quelque cinquante mille fidèles. Nous publions le texte de l'homélie prononcée par le Souverain Pontife lors de la célébration sur la mémoire du Très Saint Nom de Marie.
«La connaissance rend orgueilleux, tandis que l’amour fait œuvre constructive» (1 Co 8, 1). Saint Paul adresse ces paroles aux frères et sœurs de la communauté chrétienne de Corinthe, une communauté riche de nombreux charismes (cf. 1 Co 1, 4-5), à laquelle l’apôtre recommande souvent dans ses lettres de cultiver la communion dans la charité.
Nous les écoutons en remerciant ensemble le Seigneur pour l’Eglise à Singapour, qui est également riche en dons, vivante, en croissance et en dialogue constructif avec les diverses autres confessions et religions avec lesquelles elle partage cette merveilleuse terre.
C’est pour cette raison que je voudrais commenter les mêmes mots en prenant comme point de départ la beauté de cette ville, et les grandes et audacieuses architectures qui contribuent à la rendre si célèbre et fascinante, à commencer par l’impressionnant complexe du National Stadium, où nous sommes. Et je voudrais le faire en rappelant qu’en définitive, même à l’origine de ces imposantes constructions, comme de toute autre entreprise qui laisse une trace positive dans ce monde, il n’y a pas, comme beaucoup le pensent, avant tout de l’argent, ni de la technique, ni même de l’ingénierie — tous moyens utiles, très utiles — mais il y a l’amour: «l’amour qui construit», justement.
Certains pourraient penser qu’il s’agit d’une affirmation naïve, mais si nous y réfléchissons bien, ce n’est pas le cas. En effet, il n’y a pas d’œuvre bonne sans qu’il y ait des personnes peut-être brillantes, fortes, riches, créatives, mais aussi des femmes et des hommes fragiles, comme nous, pour qui sans l’amour il n’y a pas de vie, d’élan, de raison d’agir, ni de force pour construire.
Chers frères et sœurs, si quelque chose de bon existe et demeure en ce monde, c’est uniquement parce que, dans des circonstances infinies et variées, l’amour a prévalu sur la haine, la solidarité sur l’indifférence, la générosité sur l’égoïsme. Sans cela, même ici, personne n’aurait pu faire pousser une si grande métropole, les architectes n’auraient pas dessiné, les ouvriers n’auraient pas travaillé et rien n’aurait été réalisé.
Ce que nous voyons est donc un signe, et derrière chacune des œuvres qui se trouvent devant nous, il y a tant d’histoires d’amour à découvrir: d’hommes et de femmes unis les uns aux autres au sein d’une communauté, de citoyens dé-voués à leur pays, de mères et de pères soucieux de leur famille, de professionnels et de travailleurs de tout type et de tout grade, engagés avec honnêteté dans leurs différents rôles et tâches. Et ces histoires écrites sur les façades de nos maisons et sur les tracés de nos routes, il est bon que nous apprenions à les lire et à en transmettre la mémoire, pour nous rappeler que rien de durable ne naît ni ne grandit sans l’amour.
Parfois, il arrive que la grandeur et la majesté de nos projets puissent nous le faire oublier, en nous faisant croire que nous pouvons, tout seuls, être les auteurs de nous-mêmes, de notre richesse, de notre bien-être, de notre bonheur, mais à la fin la vie nous ramène toujours à une unique réalité: sans l’amour, nous ne sommes rien.
La foi nous confirme et nous éclaire encore davantage sur cette certitude, car elle nous dit qu’à la racine de notre capacité d’aimer et d’être aimés se trouve Dieu Lui-même, qui, avec un cœur de Père, nous a désirés et nous a fait naître de manière totalement gratuite (cf. 1 Co 8, 6) et qui, de manière tout aussi gratuite, nous a rachetés et libérés du péché et de la mort, par la mort et la résurrection de son Fils Unique. C’est en Lui, en Jésus, que tout ce que nous sommes, et pouvons devenir, trouve sa source et son accomplissement.
Ainsi, dans notre amour, nous -voyons un reflet de l’amour de Dieu, comme le disait saint Jean-Paul ii à l’occasion de sa visite sur cette terre (cf. Jean-Paul ii, Homélie de la Messe au Stade national de Singapour, 20 novembre 1986), ajoutant une phrase importante, «c’est pourquoi l’amour se caractérise par un profond respect pour tous les hommes, indépendamment de leur race, de leur croyance ou de tout ce qui les rend différents de nous» (ibid.).
Frères et sœurs, cette phrase est importante pour nous car, au-delà de l’émerveillement que nous ressentons devant les œuvres réalisées par l’homme, elle nous rappelle qu’il existe une merveille encore plus grande, à embrasser avec encore plus d’admiration et de respect: à savoir les frères et sœurs que nous rencontrons chaque jour sur notre chemin, sans préférence et sans différence, comme le témoignent si bien la société et l’Eglise singapouriennes, ethniquement si diverses et pourtant si unies et solidaires!
L’édifice le plus beau, le trésor le plus précieux, l’investissement le plus rentable aux yeux de Dieu, qu’est-ce que c’est? C’est nous, c’est nous tous: enfants aimés du même Père (cf. Lc 6, 36), appelés à notre tour à répandre l’amour. Les lectures de cette Messe nous en parlent de diverses manières qui, à différents points de vue, décrivent la même réalité: la charité, délicate dans le respect de la vulnérabilité de ceux qui sont faibles (cf. 1 Co 8, 13), prévoyante dans la connaissance et l’accompagnement de ceux qui sont incertains sur le chemin de la vie (cf. Ps 138), magnanime, bienveillante dans le pardon au-delà de tout calcul et de toute mesure (cf. Lc 6, 27-38).
L’amour que Dieu nous témoigne, et qu’il nous invite à pratiquer à notre tour, est ainsi: «Il répond généreusement aux besoins des pauvres, […] il est marqué par la pitié pour ceux qui souffrent […] prêt à offrir l’hospitalité […] fidèle dans les moments difficiles […] toujours prêt à pardonner, à espérer», pardonner et espérer, jusqu’à «rendre un blasphème par une bénédiction […] il est le cœur de l’Evangile» (Saint Jean-Paul ii, Homélie de la Messe au stade national de Singapour, 20 novembre 1986).
Nous pouvons le voir dans tant de figures de saints: des hommes et des femmes conquis par le Dieu de la miséricorde, au point d’en devenir le reflet, l’écho, l’image vivante. Et je voudrais, pour conclure, en mentionner deux.
La première est Marie, dont nous célébrons aujourd’hui le Très Saint Nom. A combien de personnes son soutien et sa présence ont donné et donnent de l’espoir, sur combien de lèvres son Nom est apparu et apparaît dans les moments de joie et aussi de douleur! Et cela parce qu’en Elle, en Marie, nous voyons l’amour du Père se manifester de l’une des manières les plus belles et les plus totales: celle de la tendresse — n’oublions pas la tendresse! — la tendresse d’une maman, qui comprend tout, qui pardonne tout et qui ne nous abandonne jamais. C’est pourquoi nous nous tournons vers Elle!
Le deuxième est un saint cher à cette terre, qui y a trouvé l’hospitalité si souvent au cours de ses voyages missionnaires. Je veux parler de saint François Xavier, reçu à Singapour à de nombreuses occasions, la dernière fut le 21 juillet 1552.
Il nous reste de lui une belle lettre, adressée à saint Ignace et aux premiers compagnons, dans laquelle il exprime son désir d’aller dans toutes les universités de son temps pour «crier ici et là comme un fou et se-couer ceux qui ont plus de doctrine que de charité», afin qu’ils se sentent poussés à devenir missionnaires par amour de leurs frères, «en disant du fond du cœur: “Seigneur, me voici; que veux-tu que je fasse”» (Lettre de Cochin, janvier 1544).
Nous aussi, nous pourrions faire nôtres ces paroles, en suivant son exemple et celui de Marie: «Seigneur, me voici; que veux-tu que je fasse?», afin qu’elles nous accompagnent non seulement ces jours-ci, mais toujours, comme un engagement constant à écouter et à répondre promptement aux invitations à l’amour et à la justice qui aujourd’hui encore continuent à nous parvenir de la part de l’infinie charité de Dieu.