«L’évangélisation se produit lorsque nous avons le courage de “briser” le vase qui contient le parfum» a dit le Pape dans le discours prononcé le 10 septembre lors de la rencontre avec les évêques, les prêtres, les consacrés, les séminaristes et les catéchistes dans la cathédrale de Dili.
Le texte de l’Evangile cité par le Pape est celui de Marie qui brise le vase pour oindre les pieds de Jésus, une scène de par sa «sensorialité» très chère au Pape Bergoglio qui a souvent utilisé cette dimen-sion «olfactive» du parfum, ou de l’odeur, dans son langage riche d’images.
Mais il y a une autre image qu’il a utilisée dans la même phrase qui frappe, celle de «briser la “carapace” qui souvent nous enferme sur nous-mêmes et de sortir d’une religiosité paresseuse, confortable, vécue uniquement pour un besoin personnel». A la tentation de la paresse confortable et centrée sur soi, le Pape répond par les paroles utilisées par sœur Rosa dans son témoignage, «une Eglise en mouvement, une Eglise qui ne s’arrête pas, ne tourne pas autour d’elle-même, mais qui est brûlée par la passion d’apporter la joie de l’Evangile». Les paroles de sœur Rosa soutiennent la vision du Pape d’une «Eglise en sortie» qui est une image que le Pape propose depuis plus de onze ans au peuple des fidèles. Il est donc nécessaire, voire urgent, d’avoir la force de briser la carapace. La carapace, comme le nid, la tanière, sont des images chaleureuses, accueillantes, vitales, mais qui peuvent se transformer dans leur contraire, qui peuvent devenir froides, repoussantes, mortelles.
Le geste de briser la carapace rappelle une autre image aussi exotique qu’efficace, celle de la langouste. Cet animal, que nous connaissons tous pour sa forme repoussante et que nous apprécions pour sa chair savoureuse, développe un processus vital très intéressant. En effet, la langouste naît nue, et cette «carapace» qui la recouvre se forme, progressivement, dans un second temps. La coque, ou carapace, un exosquelette, une superstructure qui défend le mollusque, mais qui, dans le même temps, l’emprisonne aussi et enfin le torture. A un certain moment, cette carapace devient trop étroite et suffocante et la langouste devra s’en débarrasser. Elle devra «briser la carapace» et redevenir un mollusque nu, vulnérable, jusqu’à ce qu’une nouvelle «structure» se forme. Ce n’est qu’ainsi, à travers ce passage-retour à la nudité originelle fragile que la langouste pourra continuer à vivre. Cela n’a pas lieu une fois seulement mais se répète plusieurs fois dans la vie de l’animal: la langouste «meurt et renaît» continuellement et devient ainsi l’un des êtres vivant ayant la plus grande longévité, allant parfois jusqu’à 130 ans. Il y a un essai intéressant, écrit par le professeur Stefano De Matteis qui affronte ce thème et qui s’intitule précisément Le dilemme de la langouste, avec un sous-titre sans doute encore plus intéressant: «La force de la vulnérabilité»: il y a un moment en effet où la langouste se retrouve nue, désarmée, sans défen-se, quand elle passe d’une vieille carapace, désormais brisée, à une nouvelle, mais c’est précisément ce moment qui marque sa vitalité tenace, sa force, parce que «lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort» (2 Co 12, 10).
Depuis le début de son histoire, depuis l’Evangile même, l’Eglise a élaboré de nombreuses images pour exprimer et rendre compréhensible son mystère à sa propre conscience d’elle-même. L’expression du Pape, «rompre la carapace», autorise aujourd’hui à ajouter une autre image, celle de la langouste. L’Eglise elle aussi a besoin, tout au long de sa traversée dans les mers agitées du monde, de se dépouiller, de revenir à sa nudité originelle, de se débarrasser de ses lourdes superstructures défensives et de se re-centrer sur l’essentiel, sachant que, comme le Pape l’a affirmé à plusieurs reprises: au centre de l’Eglise il n’y a pas l’Eglise. C’est ce qu’il a répété aussi mardi à Dili en parlant du Timor oriental situé «au bout du monde»; «Moi aussi, je viens du bout du monde, mais vous plus que moi! Et — j’aime à le dire — c’est justement parce que vous êtes aux confins du monde que vous êtes au centre de l’Evangile! C’est un paradoxe que nous devons apprendre: dans l’Evangile, les frontières sont le centre, et une Eglise qui n’est pas capable d’aller aux frontières et qui se cache au centre est une Eglise très malade. (…) lorsqu’une Eglise regarde vers l’extérieur, envoie des missionnaires, elle se place sur ces frontières qui sont le centre, le centre de l’Eglise. Merci de vous tenir sur les frontières. Parce que nous savons bien que dans le cœur du Christ, les périphéries de l’existence sont le centre: l’Evangile est rempli de personnes, de figures et d’histoires qui sont en marge, aux frontières, mais qui sont convoquées par Jésus et deviennent les protagonistes de l’espérance qu’il est venu nous apporter».
C’est ce qu’a dit mardi le Pape au peuple de Dili en fête, et c’est ce qu’a toujours fait l’Eglise au cours de ces deux mille ans, surtout dans les moments de crise, en courant le risque intrinsèque à ce processus de désarmement et de spoliation. Et c’est précisément pour cela qu’elle existe depuis si longtemps: en changeant constamment de forme extérieure et dans le même temps, en maintenant intact son cœur, cette chair tendre et parfumée qui est cachée et con-servée dans son intimité la plus profonde et qui est la chair du Christ et de son Evangile. Il y a dans cette image tout le défi que traverse en ces années l’Eglise guidée par le Pape François, tous deux brûlés par la passion «d’apporter la joie de l’Evangile à tous». (andrea monda)
Andrea Monda