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Le continent revêt un rôle fondamental dans le christianisme du troisième millénaire

Eglise africaine: la mission continue

 Eglise africaine:  la mission continue  FRA-034
22 août 2024

En vertu du chemin synodal, nous sommes tous appelés à faire mémoire de la mission pour redécouvrir la beauté de notre vocation, bien conscients de la singularité de notre époque. Une époque que saint Paul vi, du haut de son magistère éclairé, avait déjà préfiguré en 1971, dans le message traditionnel à l'occasion de la Journée mondiale des missions, en indiquant clairement la nature spécifique de la mission dans ce que l'on appelle la postmodernité: «Il nous incombe donc de proclamer l'Evangile en cette époque extraordinaire de l'histoire de l'humanité, une époque vraiment sans précédent, où les progrès sans précédent sont accompagnés par des profondeurs de perplexité et de désespoir sans précédent également. S'il y a jamais eu une époque où les chrétiens, plus que jamais, sont appelés à être la lumière du monde, la ville située sur une montagne, le sel qui donne de la saveur à la vie des hommes, c'est sans aucun doute notre époque. Nous possédons en effet l'antidote au pessimisme, aux sombres pressentiments, au découragement et à la peur dont souffre notre époque. Nous avons la Bonne Nouvelle!»

Cette dialectique entre les «progrès sans précédent» et les «profondeurs de perplexité et de désespoir» trouve son résumé dans l'inégalité. Un phénomène marqué par la division constante entre les extrêmes: progrès et régression, richesse et pauvreté, bien-être et mal-être. Et c'est précisément le long de la ligne de fracture entre les extrêmes que nous sommes appelés à vivre notre aventure de croyants pour la cause du -Royaume. Mais comment? En raccommodant les accrocs et en reconstruisant ainsi cette fraternité altérée par l'histoire contemporaine pour redécouvrir dans la foi que nous sommes tous frères.

D'où la question de savoir quelle pourrait être la position de l'Eglise catholique en Afrique par rapport à ce scénario de plus en plus mondial. D'une part, en effet, les jeunes communautés du continent, du point de vue vocationnel, sont en très bonne santé. Selon l'Annuarium Statisticum Ecclesiae 2022, publié en février 2024, sur les 108.481 séminaristes que -comptait le monde en 2022, l'Afrique en comptait 34.541, soit le plus grand nombre. Selon la même source, bien que le nombre de catholiques baptisés dans le monde soit passé de 1,376 milliard en 2021 à 1,390 milliard en 2022, soit une augmentation relative de 1,0 %, le taux d'évolution a varié d'un continent à l'autre. Par exemple, alors que les chiffres sont stables en Europe (en 2021 et 2022, le nombre de catholiques s'élevait à 286 millions), l'Afrique a enregistré une hausse de 3%, le nombre de catholiques passant de 265 millions à 273 millions sur la même période. L'Afrique est également le continent où le nombre de religieuses a le plus augmenté, passant de 81.832 en 2021 à 83.190 en 2022, soit une hausse de 1,7%.

Dans un message à l'occasion des Journées du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (sceam), les 28 et 29 juillet, célébrant le 55e anniversaire de la fondation de cette institution fortement souhaitée par saint
Paul vi, le président du sceam, le cardinal Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa en République démocratique du Congo, a souligné les différentes façons dont l'Eglise en Afrique s'est épanouie, de la croissance des vocations à la promotion du développement humain sur le continent. Le cardinal a également rappelé que la majeure partie de la hiérarchie en Afrique provient désormais du clergé autochtone, séculier et religieux, et qu'un nombre croissant d'Africains occupent des postes de direction dans les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.

D'autre part, le président du sceam a laissé entendre que la mission d'évangélisation sur le continent est néanmoins un défi, soulignant que, bien que l'Eglise en Afrique continue d'envoyer des missionnaires là où il y a une diminution des effectifs (comme dans le cas des Eglises en Europe et en Amérique du Nord), il faut également prêter attention aux régions africaines qui connaissent encore des pénuries qu'il ne faut en aucun cas sous-estimer. Selon le cardinal Ambongo Besungu, certaines régions d'Afrique, en particulier les régions septentrionales et méridionales du continent, ont désespérément besoin d'un plus grand nombre de prêtres.

Le cardinal n'a cependant pas hésité à exprimer sa gratitude envers les Eglises en Europe, qui ont évangélisé toute l'Afrique grâce à leurs missionnaires et qui «doivent aujourd'hui faire face à la diminution des effectifs due au sécularisme, qui éloigne de plus en plus de personnes de l'Eglise». En effet, malgré sa «croissance remarquable», l'Afrique continue «d'avoir faim et soif de Jésus et de l'Evangile». En effet, le cardinal a rappelé que «les chrétiens représentent 30% de la population africaine. Par conséquent, puisqu'il y a des millions d'Africains qui n'ont pas encore été évangélisés, il est absolument nécessaire et urgent que l'Eglise en Afrique s'engage dans la tâche de la première annonce».

Mais précisément parce que l'Eglise africaine fait partie intégrante de la société civile du continent, elle est continuellement soumise aux ten-sions et aux interférences produites par le macro-phénomène de la mondialisation. Il suffit de penser, par exemple, à la crise économique qui frappe certaines économies nationales, liée en partie à la question de la dette. Comme si cela ne suffisait pas, l'action prédatrice et très invasive de potentats étrangers plus ou moins dissimulés, dénoncée en lettres claires en février 2023 à Kinshasa par le Saint-Père, fait perdurer la souffrance des populations autochtones et donc des communautés chrétiennes elles-mêmes.

Le cas des provinces congolaises du Nord-Kivu et de l'Ituri, riches en matières premières, est emblématique: c'est la population civile épuisée qui pâtit le plus des atrocités perpétrées par les nombreux groupes armés. Si l'on ajoute à cela la crise de légitimité des pouvoirs étatiques, la frustration des promesses non tenues, l'enrichissement illicite des élites politiques et l'affaiblissement des institutions démocratiques, autant de facteurs que l'on retrouve dans de nombreux pays africains, il est évident que les Conférences épiscopales africaines ne peuvent faire autrement que de donner une voix à ceux qui n'en ont pas. A cet égard, l'engagement de l'Association des conférences épiscopales d'Afrique centrale (aceac), qui s'efforce de promouvoir l'Evangile de la paix, en particulier dans le secteur nord-est de l'ancien Zaïre, est très significatif.

Il ne faut pas non plus négliger l'aspect du soutien économique international de plus en plus difficile pour les jeunes Eglises africaines. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Tout d'abord, aujourd'hui en Europe, comme en Amérique du Nord et en Australie, il y a beaucoup d'ong et d'entreprises (petites et grandes) impliquées dans la collecte de fonds, et beaucoup d'entre elles financent des projets qui ne sont pas nécessairement liés aux communautés chrétiennes et à leur engagement dans l'évangélisation et la promotion humaine. Tout cela, d'ailleurs, au moins pour les entreprises plus grandes, avec un pourcentage de dépen-ses en autopromotion et en publicité de plus en plus élevé par rapport à ce qui est investi dans les projets eux-mêmes. Cette nouvelle orientation se fait au détriment des missionnaires qui avaient autrefois le quasi-monopole de la solidarité avec l'Afrique, une solidarité qui n'a jamais souffert de ces coûts supplémentaires.

En outre, la crise économique mondiale affecte également ce que l'on appelle le Nord global et a donc, dans certains cas, pénalisé les offres destinées aux jeunes Eglises africaines. Il y a aussi la situation politique internationale actuelle qui, après les crises russo-ukrainienne et israélo-palestinienne, a relégué l'Afrique dans l'oubli. Ce scénario pose à l'Eglise africaine dans son ensemble la vexata quaestio de sa propre autosuffisance.

Une chose est sûre: l'Afrique joue un rôle fondamental dans le christianisme du troisième millénaire, puisqu'elle est devenue le premier continent en termes de population absolue de chrétiens (comprenant également les orthodoxes, les protestants, les pentecôtistes et les Eglises indépendantes africaines), avec plus de 500 millions de croyants, et qu'elle accueille encore environ un quart de la population chrétienne mondiale. De nombreux défis sont à relever, notamment celui de l'inculturation, une question qui tient à cœur à la plupart des théologiens africains, catholiques et non catholiques. D'un autre côté, comme l'a dit le Pape François: «une foi qui n’est pas inculturée n’est pas authentique». Les enjeux sont importants pour le présent, mais surtout pour l'avenir.

Giulio Albanese