Les «enfants soldats» sont parmi les victimes principales des conflits armés qu’ils n’ont pas occasionné, et dans lesquels ils n’ont pas chercher à s’engager. Un phénomène qui semble passer sous silence. Les pays, la communauté internationale et les médias semblent avoir oublié un sujet aussi préoccupant que déterminant pour l’avenir. La République démocratique du Congo, qui connaît plus de trois décennies de guerre dans sa partie Est, est l’un des pays les plus touchés au monde par ce phénomène. Plusieurs centaines de milliers d’enfants ont été enregistrés dans le cadre du programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (ddr) mis en place pour permettre à ces anciens «enfants soldats», qui étaient âgés de 13 à 15 ans pour la plupart au moment de leur enrôlement, de se réorienter dans la vie. Mais les risques de reprendre les armes restent omniprésents. «Et donc, quand ce processus ne réussit pas, la conséquence, c'est que l'enfant récidive», a déclaré sœur Rhyta Kimani. C’est cette phase de la réinsertion, une phase très sensible qui est le fond du problème que la religieuse passioniste congo-brazzavilloise et docteure en droit civil cherche à résoudre dans son ouvrage Les enfants et les conflits armés: entre la réinsertion sociale et récidive.
La réinsertion et le risque de récidive
Dans le processus de ddr, la dernière phase est la réinsertion. Elle est à la fois sociale et financière et aussi économique. S'il est encore mineur, ce processus de réinsertion consiste à donner à l’enfant la possibilité de continuer ses études. Parce que l’enfant a été amené à briser une certaine évolution de sa vie. S’il est adulte, les structures l'aident à apprendre un métier. Cette phase est alors la plus délicate et la plus sen-sible «et c'est là même le fond du problème que je cherche à résoudre dans mon livre», a déclaré sœur Rhyta Kimani. «Parce que si la réinsertion, aussi bien sociale qu'économique, ne réussit pas, la tendance est que, une fois qu'il y a une petite guerre, un conflit armé, ce même enfant qui avait été réinséré, pourrait alors récidiver» a-t-elle expliqué. Dans ce travail de réinsertion, l'organisation et le suivi sont à prendre au sérieux. Il faut alors un accompagnement approprié et des structures adéquates pour mieux aider les enfants à sortir de leurs traumatismes tant psychologiques que physiques.
La participation des enfants dans les conflits armés est un crime de guerre
Conformément à l'article 2.a du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (cpi) du 17 juillet 1998, la participation des enfants dans les conflits armés est un crime de guerre. Tous les pays du monde doivent en prendre conscience pour mieux protéger les enfants. «Si nous voulons un avenir serein et meilleur, la première solution, c'est de mettre fin à la guerre», a déclaré la religieuse. La recherche de la paix devait être la mission de tous. «Si nous continuons avec autant de guerres, et enrôlons les enfants dans les armées, nous préparons un avenir difficile à assumer», a-t-elle averti. Parce que la guerre n’est pas seulement le fracas des armes, mais aussi les conséquences. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants participent à des actes de cruauté dans les villes. Ainsi, la guerre est pour les enfants, source de déviances, de délinquance, et revêt un caractère criminogène incontestable, a-t-elle fait remarquer.
Un sujet passé sous silence
Le silence de la communauté internationale sur ce phénomène est inquiétant, parce qu’il s’agit de l’avenir de l’humanité, a constaté la religieuse juriste. «Le leadership de demain, ce sont ces enfants», a-t-elle souligné. «La petite fille, le petit garçon qu'on exploite aujourd’hui peut être leader demain», a insisté la passioniste. Il faut donc agir, insiste-t-elle. Sœur Kimani propose notamment de réduire l'écart entre l'effectif des enfants enrôlés et les personnes ou les leaders traduits en justice. «Devant un effectif de plusieurs centaines de milliers d’enfants et cinq ou six leaders qui sont traduits en justice, l'écart est de taille. Parce que n'oubliez pas, derrière ces chiffres se cache la vie d'êtres humains. Derrière ces 300.000 enfants soldats actuellement dans le monde selon l’unicef, se dessine l'avenir de toute une société», a-t-elle déclaré. Il est donc important qu’il y ait ce qu'on appelle l'«action en réparation». Que ces personnes qui ont posé ces actes puissent être traduites en la justice. Ce n'est que de cette manière aussi qu'on peut faire face à ce phénomène, estime la religieuse congo-brazzavilloise. Elle propose aussi comme solution la création de tribunes pour les «enfants ex-soldats» «parce que ces enfants ont peur, ils ne veulent pas dévoiler leurs visages, ils ne veulent pas être connus. Pourtant ils doivent être connus et libres, parce que, en réalité, ce sont eux les victimes», a-t-elle poursuivi. La religieuse a cité les mots du message du Pape François adressé à tous les enfants, à l’occasion de la première Journée mondiale des enfants: «N’oubliez pas ceux d'entre vous, encore si jeunes, qui sont victimes de la guerre et de la violence, ceux qui sont contraints d'être soldats ou de fuir comme réfugiés séparés de leurs parents, ceux qui ne peuvent pas aller à l'école, ceux qui sont victimes des bandes criminelles, tous ces enfants dont l'enfance est aujourd'hui cruellement volée. Ecoutez-les. Ecoutez-les vraiment».
Au terme «enfant», on ne doit pas associer le terme «soldat»
Selon le Principe de Paris de 2007, l’expression appropriée pour désigner les enfants qui se trouvent dans ce cas est: «enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés», souligne sœur Rhyta Kimani. Elle attire l'attention de toute la communauté internationale sur ce phénomène. Si ce sont des enfants de la rdc qui en souffrent le plus aujourd’hui, beaucoup d’autres souffrent aussi dans le monde. «Et derrière la souffrance de ces enfants soldats se cache aussi celle des parents». La religieuse appelle à une conscience générale et lance un cri du cœur: «Laissez-nous les enfants!», a-t-elle lancé. «Et pour ceux qui sont dans les armées, désarmez-les! démobilisez-les! et réinsérer-les!». «La place des enfants n'est pas dans les troupes armées, mais dans les familles», a dénoncé la juriste. «Ne manipulons pas les enfants, ne les utilisons pas pour nos crimes et actes de barbarie car ils ne sont pas des machines à tuer. Laissons les enfants vivre leurs belles étapes de l'enfance et si nous voulons un avenir meilleur, luttons pour que, au terme enfant, ne soit pas associé le terme soldat», a-t-elle conclu.
Stanislas Kambashi, sj
et Colette Labaki