· Cité du Vatican ·

Message pour la Journée de prière pour la sauvegarde de la création, qui sera célébrée le 1 er septembre

Espérons et agissons avec la création

 Espérons et agissons avec la création  FRA-026
27 juin 2024

Nous publions ci-dessous le message du Saint-Père pour la Journée de prière pour la sauvegarde de la création, qui sera célébrée le 1er septembre prochain sur le thème: «Espérons et agissons avec la création»:

Chers frères et sœurs!

«Espérons et agissons avec la création»: c’est le thème de la Journée de prière pour la sauvegarde de la création, le 1er septembre. Il fait référence à la lettre de saint Paul aux Romains 8, 19-25: l’apôtre explique ce que signifie vivre selon l’Esprit et se concentre sur l’espérance certaine du salut par la foi, qui est la vie nouvelle dans le Christ.

1. Partons d’une question simple, mais qui pourrait ne pas avoir de réponse évidente: quand sommes-nous vraiment croyants, en quoi consiste avoir la foi? Pas tellement dans le fait que «nous croyons» en une réalité transcendante que notre raison ne peut pas comprendre, le mystère inaccessible d’un Dieu lointain et distant, invisible et innommable; mais plutôt, dirait saint Paul, dans le fait que l’Esprit Saint habite en nous. Oui, nous sommes croyants parce que l’Amour même de Dieu a été «répandu dans nos cœurs» (Rm 5, 5). Par conséquent, l’Esprit est maintenant, véritablement, «une première avance sur notre héritage» (Ep 1, 14), comme une pro-vocation à vivre toujours tendus vers les biens éternels, selon la plénitude de l’humanité, belle et bonne, de Jésus. L’Esprit rend les croyants créatifs, proactifs dans la charité. Il les introduit dans un grand cheminement de liberté spirituelle, non exempt cependant de lutte entre la logique du monde et la logique de l’Esprit, qui portent des fruits opposés (cf. Ga 5, 16-17). Nous le savons, le premier fruit de l’Esprit, condensé de tous les autres, est l’amour. Ainsi, conduits par l’Esprit Saint, les croyants sont fils de Dieu et peuvent, comme Jésus, s’adresser à Lui en l’appelant «Abba, Père» (Rm 8, 15) dans la liberté de celui qui ne retombe plus dans la peur de la mort, parce que Jésus est ressuscité des morts. Voilà la grande espérance: l’amour de Dieu a vaincu, il vainc toujours et il vaincra encore. Pour l’homme nouveau qui vit dans l’Esprit, le destin de gloire est déjà certain, malgré la perspective de la mort physique. Cette espérance ne déçoit pas, comme le rappelle également la bulle d’indiction du prochain Jubilé1.

2. L’existence du chrétien est une vie de foi qui opère dans la charité et déborde d’espérance dans l’attente du retour du Seigneur dans la gloire. Le «retard» de la parousie, de sa seconde venue, ne pose pas de problème. La question est autre: «Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?» (Lc 18, 8). Oui, la foi est un don, le fruit de la présence de l’Esprit en nous, mais elle est aussi une mission à accomplir dans la liberté, dans l’obéissance au commandement d’amour de Jésus. Voici la bienheureuse espérance dont nous devons témoigner: où? quand? comment? Dans les drames de la chair humaine souffrante. Si l’on rêve, il faut alors rêver les yeux ouverts, remplis de visions d’amour, de fraternité, d’amitié et de justice pour tous. Le salut chrétien pénètre dans les profondeurs de la douleur du monde qui ne saisit pas seulement les humains, mais l’univers entier, la nature même, l’oikos de l’homme, son milieu de vie; il saisit la création en tant que «paradis terrestre», la terre mère qui devrait être un lieu de joie et une promesse de bonheur pour tous. L’optimisme chrétien se fonde sur une vivante espérance: il sait que tout tend vers la gloire de Dieu, la con-sommation finale dans sa paix, la résurrection corporelle dans la justice, «de gloire en gloire». Mais dans le temps qui passe, nous partageons la douleur et la souffrance: la création tout entière gémit (cf. Rm 8, 19-22), les chrétiens gémissent (cf. v. 23-25) et l’Esprit lui-même gémit (cf. v. 26-27). Le gémissement manifeste l’inquiétude et la souffrance, et aussi l’aspiration et le désir. Le gémissement exprime la confiance en Dieu et l’abandon en sa compagnie aimante et exigeante, en vue de la réalisation de son dessein qui est joie, amour et paix dans l’Esprit Saint.

3. Toute la création est impliquée dans ce processus d’une nouvelle naissance et, en gémissant, elle attend la libération. Il s’agit d’une croissance cachée qui mûrit, presque comme «une graine de moutarde qui devient un grand arbre» ou «du levain dans la pâte» (cf. Mt 13, 31-33). Les débuts sont minuscules, mais les résultats attendus peuvent être d’une beauté infinie. En tant qu’attente d’une naissance — la révélation des fils de Dieu — l’espérance rend possible le fait de rester ferme dans l’adversité, de ne pas se décourager dans les tribulations ou face à la barbarie humaine. L’espérance chrétienne ne déçoit pas, mais elle ne trompe pas non plus: le gémissement de la création, des chrétiens et de l’Esprit est anticipation et attente du salut déjà à l’œuvre, alors que nous sommes à présent plongés dans nombre de souffrances que saint Paul décrit comme «détresse, angoisse, persécution, faim, dénuement, danger, glaive» (cf. Rm 8, 35). L’espérance est donc une lecture alternative non pas illusoire mais réaliste de l’histoire et des événements humains, du réalisme de la foi qui voit l’invisible. Cette espérance est une attente patiente, comme chez Abraham qui ne voyait pas. J’aime rappeler ce grand croyant visionnaire que fut Joachim de Flore, l’abbé calabrais «doté d’un esprit prophétique», selon Dante Alighieri2. A une époque de luttes sanglantes, de conflit entre la Papauté et l’Empire, de Croisades, d’hérésies et de mondanisation de l’Eglise, il a su indiquer l’idéal d’un nouvel esprit de co-existence entre les hommes, marquée par la fraternité universelle et la paix chrétienne, fruits de l’Evangile vécu. J’ai proposé cet esprit d’amitié sociale et de fraternité universelle dans Fratelli tutti. Et cette harmonie entre les hommes doit aussi s’étendre à la création dans un «anthropocentrisme situé» (cf. Laudate Deum, n. 67), avec la responsabilité pour une écologie humaine et intégrale, chemin de salut de notre maison commune et de nous-mêmes qui l’habitons.

4. Pourquoi tant de mal dans le monde? Pourquoi tant d’injustices, tant de guerres fratricides qui font mourir des enfants, détruisent les villes, polluent le milieu de vie de l’homme, la terre mère violentée et dévastée? Se référant implicitement au péché d’Adam, saint Paul dit: «Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore» (Rm 8, 22). La lutte morale des chrétiens est liée au «gémissement» de la création, parce que celle-ci «a été soumise au pouvoir du néant» (v. 20). Le cosmos tout entier et toutes les créatures gémissent et aspirent «impatiemment», afin que la condition présente soit surmontée et que la condition originelle soit rétablie. La libération de l’homme implique aussi, en effet, celle de toutes les autres créatures qui, solidaires de la condition humaine, ont été placées sous le joug de l’esclavage. Comme l’humanité, la création — sans qu’il y ait de sa faute — est esclave et se trouve incapable de faire ce pour quoi elle est conçue, c’est-à-dire avoir un sens et un but durables. Elle est sujette à la dissolution et à la mort, aggravées par les abus de l’homme sur la nature. Mais, en sens contraire, le salut de l’homme dans le Christ est une espérance sûre pour la création «d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu» (Rm 8, 21). Ainsi, dans la rédemp-tion du Christ, il est possible de contempler, dans l’espérance, le lien de solidarité entre l’être humain et toutes les autres créatures.

5. Dans l’attente pleine d’espérance et persévérante du retour glorieux de Jésus, l’Esprit Saint garde la communauté croyante vigilante et l’instruit continuellement, Il l’appelle à la conversion des styles de vie, à résister à la dégradation de l’environnement par l’homme, et à manifester cette critique sociale qui est avant tout un témoignage de la possibilité de changer. Cette conversion consiste à passer de l’arrogance de ceux qui veulent dominer sur les autres et sur la nature — réduite à un objet à manipuler — à l’humilité de ceux qui prennent soin des autres et de la création. «Un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même» (Laudate Deum, n. 73), car le péché d’Adam a détruit les relations fondamentales par lesquelles l’homme vit: celles avec Dieu, avec lui-même et avec les autres êtres humains, et aussi celles avec le cosmos. Toutes ces relations doivent être, de manière synergique, restaurées, sauvées, «rendues justes». Aucune ne peut manquer. Si l’une d’entre elles manque, tout s’effondre.

6. Espérer et agir avec la création signifie avant tout unir les forces et, en cheminant avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté, contribuer à «repenser la question du pouvoir humain, de sa signification et de ses limites. En effet, notre pouvoir s’est accru de manière effrénée en peu de décennies. Nous avons fait des progrès technologiques impressionnants et stupéfiants, et nous ne nous rendons pas compte que, dans le même temps, nous sommes devenus extrêmement dangereux, capables de mettre en danger la vie de beau-coup d’êtres ainsi que notre propre survie» (Laudate Deum, n. 28). Un pouvoir incontrôlé engendre des mons-tres et se retourne contre nous-mêmes. C’est pourquoi il est urgent aujourd’hui de poser des limites éthiques au développement de l’intelligence artificielle qui, avec sa capacité de calcul et de simulation, pourrait être utilisée à des fins de domination sur l’homme et sur la nature plutôt qu’au service de la paix et du développement intégral (cf. Message pour la Journée mondiale de la paix 2024).

7. «L’Esprit Saint nous accompagne dans la vie». C’est ce qu’ont bien compris les enfants réunis place Saint-Pierre pour leur première Journée mondiale qui coïncidait avec le dimanche de la Sainte Trinité. Dieu n’est pas une idée abstraite de l’infini, mais il est Père aimant, Fils ami et rédempteur de tout homme, et Esprit Saint qui guide nos pas sur le chemin de la charité. L’obéissance à l’Esprit d’amour change radicalement l’attitude de l’homme: de «prédateur» il devient «cultivateur» du jardin. La terre est confiée à l’homme, mais reste à Dieu (cf. Lv 25, 23). C’est l’anthropocentrisme théologique de la tradition judéo-chrétienne. Par conséquent, prétendre posséder et dominer la nature, la manipuler à volonté, est une forme d’idolâtrie. C’est l’homme prométhéen, ivre de son pouvoir technocratique qui, avec arrogance, met la terre en état de «disgrâce», c’est-à-dire privée de la grâce de Dieu. Or, si la grâce de Dieu c’est Jésus, mort et ressuscité, alors ce que Benoît xvi a dit est vrai: «Ce n’est pas la science qui rachète l’homme. L’homme est racheté par l’amour» (Lett. enc. Spe salvi, n. 26), l’amour de Dieu dans le Christ dont rien ni personne ne pourra jamais nous séparer (cf. Rm 8, 38-39). Continuellement attirée par son avenir, la création n’est pas statique ni fermée sur elle-même. Aujourd’hui, grâce aussi aux découvertes de la physique contemporaine, le lien entre la matière et l’esprit fascine de plus en plus notre connaissance.

8. La sauvegarde de la création n’est donc pas seulement une question éthique mais aussi éminemment théologique. Elle concerne en effet l’imbrication du mystère de l’homme et du mystère de Dieu. Cette imbrication peut être dite «générative» car elle remonte à l’acte d’amour par lequel Dieu crée l’être humain dans le Christ. Cet acte créateur de Dieu confère et fonde l’action libre de l’homme et toute son éthique: libre précisément dans son être créé à l’image de Dieu qui est Jésus-Christ et, pour cette raison, «représentant» de la création dans le Christ lui-même. Il existe une motivation transcendante (théologico-éthique) qui engage le chrétien à promouvoir la justice et la paix dans le monde, y compris à travers la destination universelle des biens. Il s’agit de la révélation des fils de Dieu que la création attend, en gémissant comme dans les douleurs d’un enfantement. L’enjeu n’est pas seulement la vie terrestre de l’homme dans l’histoire mais surtout son destin dans l’éternité, l’eschaton de notre bonheur, le Paradis de notre paix, dans le Christ Seigneur du cosmos, le Crucifié-Ressuscité par amour.

9. Espérer et agir avec la création signifie alors vivre une foi incarnée qui sait entrer dans la chair souffrante et pleine d’espérance des personnes, en partageant l’attente de la résurrection des corps à laquelle les croyants sont prédestinés dans le Christ Seigneur. En Jésus, le Fils éternel dans la chair humaine, nous sommes réellement fils du Père. Par la foi et le baptême, commence pour le -croyant la vie selon l’Esprit (cf. Rm 8, 2), une vie sainte, une existence de fils du Père, comme Jésus (cf. Rm 8, 14-17), puisque, par la puissance de l’Esprit Saint, le Christ vit en nous (cf. Ga 2, 20). Une vie qui devient chant d’amour pour Dieu, pour l’humanité, avec et pour la création, et qui trouve sa plénitude dans la sainteté3.

Rome, Saint-Jean-de-Latran,
le 27 juin 2024

FRANÇOIS

1 Spes non confundit, bulle d’indiction du Jubilé ordinaire de l’année 2025 (9 mai 2024).

2 Divine Comédie, Paradis, xii, 141.

3 Le prêtre rosminien Clemente Rebora l’a exprimé poétiquement: «Tandis que la création monte dans le Christ vers le Père, / dans l’arcane du destin / tout est douleur de l’enfantement: / que de morts pour que naisse la vie! / Pourtant, d’une seule Mère, qui est divine, / on arrive heureusement à la lumière: / la vie que l’amour produit dans les larmes, / et, si elle aspire, ici-bas c’est la poésie; / mais la sainteté seule accomplit le chant» (Curriculum vitae, «Poesia e santità»: Poesie, prose e traduzioni, Milano 2015, p. 297).