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Les humoristes, les puissants et le sourire de Dieu

 Les humoristes, les puissants et le sourire de Dieu  FRA-025
20 juin 2024

Si l'on devait attribuer un «thème» à la journée passée par le Pape François vendredi 14 juin, on pourrait dire que c'était la journée du pouvoir. Et l'on pense immédiatement au g7, à la rencontre que le Pape a eue en fin de matinée avec les «puissants» de la Terre à Borgo Egnazia, après avoir rencontré tôt le matin au Vatican quelque deux cents humoristes. Mais peut-être vaut-il la peine de s'attarder sur cette rencontre, celle qu'il a eue tôt le matin avec les humoristes, parce qu'eux aussi sont des «puissants», tout comme les politiciens, et même plus encore à certains égards.

Un génie du cinéma comme Federico Fellini, un réalisateur, comme on le sait, très aimé du Pape François, a déclaré dans l'une de ses dernières interviews qu'il ressentait une grande attirance pour les humoristes, qu'il considérait comme des bienfaiteurs de l'humanité: «Faire rire les gens m'a toujours semblé être la plus privilégiée des vocations, un peu comme celle des saints». Et dès le début de son discours, le Pape a reconnu le grand «pouvoir» de cette catégorie souvent sous-estimée de la société: «Au milieu de nombreuses nouvelles sombres, plongés comme nous le sommes dans de nombreuses urgences sociales et même personnelles, vous avez le pouvoir de répandre la sérénité et le sourire». Un pouvoir non des moindres, car grâce à leur talent, un «don précieux» selon Jorge Bergoglio, les humoristes parviennent à unir les gens, «parce que le rire est contagieux. Il est plus facile de rire ensemble que seul: la joie ouvre au partage et constitue le meilleur antidote à l'égoïsme et à l'individualisme.

Rire aide aussi à faire tomber les barrières sociales, à créer des liens entre les personnes. Il nous permet d'exprimer des émotions et des pensées, contribuant ainsi à construire une culture commune et à créer des espaces de liberté». On peut se demander si ce n'est pas (aussi) le devoir des hommes politiques: briser les barrières sociales et créer des espaces de liberté. Ce n'est pas un hasard si la figure largement cité lors de la rencontre avec les humoristes, Thomas More et sa Prière de la bonne humeur (que le Pape a voulu faire lire par Luciana Litizzetto à la fin de l'audience), est aussi le champion de la liberté de conscience et le saint patron des hommes politiques, créant ainsi un pont parfait entre les deux événements, semblant presque être un avertissement aux puissants réunis au g7, comme pour leur dire: n'oubliez pas de rire de temps en temps, et surtout de rire de vous-mêmes!

Le pouvoir de faire rire est un grand pouvoir, qui met à mal tous les autres pouvoirs, car comme nous l'a rappelé le Pape, les humoristes réussissent un miracle: «Faire sourire même en parlant des problèmes, des petits et des grands faits historiques. Vous dénoncez les excès de pouvoir, rappelez des situations oubliées, mettez en évidence les abus, signalez les comportements inappropriés... Mais sans semer l'inquiétude ou la terreur, l'anxiété ou la peur, comme le font la plupart des communications; vous éveillez le sens critique en faisant rire et sourire les gens. Vous le faites en racontant des histoires de vie, en racontant la réalité, selon votre propre point de vue original; et c'est ainsi que vous parlez aux gens de problèmes petits et grands». Et là encore, la pensée s'envole vers la politique, qui semble aujourd'hui très éloignée des gens et de leurs problèmes.

Lorsque Thomas More dénonça les excès du pouvoir en 1500, jusqu'à en payer personnellement le prix par son martyre, il écrivit dans cette prière l'exact «antidote à l'individualisme»: «... ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle “moi”». Le saint chancelier (aujourd'hui nous dirions Premier ministre) prophétisait contre le mal de toujours qui, aujourd'hui plus que jamais, domine la société occidentale contemporaine; il fut un grand humaniste et un humoriste raffiné, les deux choses se rejoignant d'ailleurs: humaniste et humoriste trouvent leur racine dans humus, la terre fertile, d'où dérive le mot «humilité», c'est-à-dire reconnaître sa propre fragilité, ses contradictions, ses faiblesses, parce que l'homme regarde et aspire aux étoiles, mais qu'il est fait de boue. C'est pourquoi l'humour sain, qui vient de cette humilité, est lié à la miséricorde: le véritable humoriste rit et fait rire, mais ne ridiculise jamais. Le Pape l'a dit avec des mots forts et clairs: «L'humour n'offense pas, il n'humilie pas, il ne cantonne pas les gens à leurs défauts. Alors qu'aujourd'hui la communication génère souvent des oppositions, vous savez rapprocher des réalités différentes et parfois même opposées. Combien avons-nous besoin d'apprendre de vous! Le rire de l'humour n'est jamais “contre” qui que ce soit, mais il est toujours inclusif, proactif, il suscite l'ouverture, la sympathie, l'empathie». Ici aussi, la politique, souvent réduite à «être contre», aurait beaucoup à apprendre. Le puissant, s'il accueille la leçon de l'humour, cesse d'être «puissant» et dépose ses armes, souvent attelées à une défense qui devient immédiatement une offense, une agression.

Et comme les puissants en politique, les chrétiens aussi pourraient apprendre beaucoup des humoristes. Le théologien Elmar Salmann, moine bénédictin allemand, rappelle dans son essai Présence de l’esprit que l'humour sauve les croyants du risque de voir l'idée de foi se dégrader en idéologie en leur permettant «d'être véridiques sans fanatisme, dévoués au bien sans moralisme, enclins à la beauté sans être des esthètes». L'humour, selon Salmann, se manifeste comme «un petit sacrement de la grâce, une lueur de l'avenir de Dieu parmi les hommes».

Dans le passage le plus intense de son discours, le Pape dit que vous, les humoristes, «quand vous réussissez à faire jaillir des sourires intelligents des lèvres d'un seul spectateur, vous faites aussi sourire Dieu». Et Dieu aussi sourit toujours et ne se moque jamais, et il rit en embrassant, en invitant les hommes à entrer dans sa joie, comme il le dit plusieurs fois dans les Evangiles, parce qu'il est un Deus Ludens, un joueur, ce qui permet à l'homo sapiens d'être aussi homo ludens dans ce prélude qu'est la vie terrestre. Les puissants devraient donc peut-être calculer, penser moins et sourire plus, car comme le dit un vieux dicton juif: «L'homme pense, Dieu rit».

L'humour comme «lueur pour l'avenir de Dieu». Enfin, l'humour n'est pas seulement lié à la miséricorde, mais aussi à l'espérance. En clôturant la rencontre avec les humoristes, le Pape, à l'improviste, a invoqué Dieu pour qu'il «vous accompagne dans cette très belle vocation de faire rire les gens, des humoristes. Il est plus facile d'être tragédien qu'humoriste. Merci de faire rire les gens et merci aussi de faire rire avec le cœur».

Ces mots expriment une vérité profonde qui, une fois de plus, s'applique également à la politique: la voie du mal, faire pleurer, est plus facile que de faire rire, tout comme le désespoir est plus facile que l'espoir. Mais c'est précisément pour cela qu'il vaut la peine d'emprunter la voie de l'espoir, de «s'armer» du pouvoir de la bonne humeur, le pouvoir le plus fort précisément parce qu'il est désarmé. (andrea monda)

Andrea Monda