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Quand Anchise prend Enée sur ses épaules

 Quand Anchise prend Enée sur ses épaules   FRA-024
13 juin 2024

«Aucune histoire n’est petite, aucune. Chaque histoire est importante et digne et même si elle est triste, la dignité est cachée et peut toujours ressortir». Le Pape François a prononcé ces paroles le 5 février 2019 au début de la conférence de presse au cours du vol retour depuis Abou Dhabi, après la signature historique du Document sur la fraternité humaine. Ces dernières années, le Pape a encouragé de nombreuses fois, notamment nous, agents de la communication, a faire de la place aux «petites» histoires. Et il nous le demande en particulier lorsque nous sommes confrontés au phénomène historique de la migration. C'est ainsi que les chiffres deviennent des visages, que les statistiques deviennent des expériences et que les raisonnements politiques sur les urgences (réelles ou supposées) laissent place aux efforts pour sauver l'autre, qui ne peut nous être étranger, car c'est une femme ou un homme comme nous.

Tout récemment, une histoire en lien avec ce qu'a dit le Pape François a été rapportée. Une histoire qui ne fait pas la une des journaux télévisés mais qui, justement, «n'est pas petite» car elle témoigne d'une grande dignité. C'est l'histoire de Maryam, une femme de 78 ans qui a fui l'Afghanistan des talibans (qui se souvient encore de ce pays depuis le retrait des troupes occidentales?) et après un voyage hasardeux, est arrivée sur les côtes de Calabre, en Italie, à Roccella Jonica, avec 83 autres migrants partis sur un bateau à voile depuis les côtes turques. Qu'est-ce qui a poussé — on se le demande — une femme aussi âgée à parcourir des milliers de kilomètres avec des moyens de fortune, courant de nombreux dangers et payant au prix fort les passages qui l'ont conduite du cœur de l'Asie aux frontières de l'Europe? La raison: sa famille. En effet, en 2021, la fille de Maryam et son mari ont fui le pays et ont rejoint l'Allemagne, laissant leur fils à sa grand-mère, qui a décidé de le ramener à ses parents.

«A son arrivée à Roccella Jonica — écrit le quotidien italien Gazzetta del Sud — Maryam a été très reconnaissante envers les secours, mais sa détermination à rejoindre l'Allemagne était inébranlable. Malgré les tentatives entreprises pour la convaincre de demander l'asile politique en Italie, elle a refusé et, dès qu'elle a obtenu le décret de refoulement, elle est partie avec son petit-fils pour sa destination finale». Rien n'a donc arrêté la détermination de Maryam à aller vers le Nord, parcourant le dernier trajet de ce chemin pour réunir une famille séparée. On dirait presque une scène de l'Enéide de Virgile, où Enée, fuyant la ville de Troie en flammes, prend sur ses épaules son père âgé Anchise. Toutefois, ici, c'est Anchise, donc Maryam qui est âgée, qui prend sur ses épaules Enée, son jeune petit-fils. Et même dans cette histoire, comme nous l'a rappelé à plusieurs reprises le Pape François, ce sont les rêves des personnes âgées qui guident les jeunes et les poussent à aller de l'avant pour atteindre leur objectif.

Alessandro Gisotti