«La restructuration et la réduction de la dette des pays du Sud et des Etats insulaires gravement touchés par les catastrophes climatiques, ainsi que l'élaboration d'une nouvelle Charte financière mondiale d'ici 2025, reconnaissant une sorte de “dette écologique”»: c'est ce que le Pape a demandé — en nous exhortant à «travailler sur ce mot: dette écologique» — à l'occasion du sommet des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales sur le thème «De la crise climatique à la résilience climatique». Le Souverain Pontife a reçu les participants à la réunion le jeudi 16 mai dans la salle du Consistoire, en prononçant le discours suivant.
Eminences, Excellences,
Mesdames et Messieurs!
Je suis heureux de vous accueillir, membres des Académies pontificales des sciences et des sciences sociales. Je salue la présidente, je salue tous les invités, les maires et les gouverneurs venus de diverses parties du monde, à cette réunion intitulée «De la crise climatique à la résilience climatique».
Les données sur le changement climatique empirent d'année en année, il est donc urgent de protéger les personnes et la nature. Je félicite les deux académies d'avoir dirigé cet engagement et d'avoir produit un document universel sur la résilience. Les populations les plus pauvres, qui ont peu à voir avec les émissions polluantes, devront recevoir un soutien et une protection accrus. Elles sont des victimes.
«La dévastation de la création est une offense à Dieu, un péché non seulement personnel mais aussi structurel qui se répercute sur l’être humain, en particulier sur les plus faibles, un grave danger qui pèse sur chacun et risque de déclencher un conflit entre les générations». (Discours à la cop28, Dubaï, 2 décembre 2023). La question est donc la suivante: travaillons-nous pour une culture de la vie ou une culture de la mort? Vous avez répondu que nous devons être attentifs au cri de la terre, écouter l'appel des pauvres, être sensibles aux espoirs des jeunes et aux rêves des enfants! Que nous avons la sérieuse responsabilité de garantir que leur avenir ne sera pas détruit. Vous avez déclaré choisir un développement humain durable. Je salue donc votre travail, car le changement climatique est «un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine» (Exort. ap. Laudate Deum, 3).
Nous sommes confrontés à des défis systémiques distincts mais interconnectés: le changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation de l'environnement, les inégalités mondiales, l'insécurité alimentaire et la menace de la dignité des populations concernées. A moins qu'ils ne soient abordés collectivement et avec urgence, ces problèmes représentent des menaces existentielles pour l'humanité, les autres êtres vivants et tous les écosystèmes. Mais soyons clairs: ce sont les pauvres qui souffrent le plus, même s'ils sont moins respon-sables de ces problèmes. Les pays les plus riches, environ un milliard de personnes, produisent plus de la moitié des polluants qui emprisonnent la chaleur. En revanche, les trois milliards de personnes les plus pauvres sont responsables à moins de 10%, mais supportent 75% des pertes qui en découlent. Les 46 pays les moins développés — principalement africains — ne représentent que 1% des émissions mondiales de co2. En revanche, les pays du G20 sont responsables de 80% de ces émissions.
Votre recherche montre la réalité tragique selon laquelle les femmes et les enfants supportent un fardeau disproportionné. Souvent, les femmes n'ont pas le même accès aux ressources que les hommes; en outre, s'occuper de la maison et des enfants peut entraver la possibilité de migrer en cas de catastrophe. Cependant, les femmes ne sont pas seulement victimes du changement climatique: elles sont aussi de puissants agents de résilience et d'adaptation. En ce qui concerne les enfants, près d'un milliard d'entre eux vivent dans des pays confrontés à un risque extrêmement élevé de dévastation liée au climat. Leur jeune âge les rend plus vulnérables aux effets, à la fois physiques et psychologiques, du changement climatique.
Le refus d'agir rapidement pour protéger les plus vulnérables qui sont exposés au changement climatique dû à l'homme est une faute grave. Ensuite, un progrès ordonné est entravé par la recherche vorace de gains à court terme des industries polluantes et par la désinformation, qui génère de la confusion et entrave les efforts collectifs pour changer de cap.
Frères et sœurs, le chemin est difficile et semé d'embûches. Les données issues de ce sommet révèlent que le spectre du changement climatique plane sur tous les aspects de notre existence, menaçant l'eau, l'air, la nourriture et les systèmes énergétiques. Tout aussi alarmantes sont les menaces pour la santé publique et le bien-être. Nous assistons à la dissolution des communautés et au déplacement forcé des familles. La pollution atmosphérique fauche prématurément des millions de vies chaque année. Plus de trois milliards et demi de personnes vivent dans des régions très sen-sibles aux ravages du changement climatique, ce qui entraîne des migrations forcées. Au cours de ces dernières années, nous avons vu combien de frères et de sœurs perdent la vie dans des voyages désespérés, et les prévisions sont inquiétantes. Défendre la dignité et les droits des migrants climatiques signifie affirmer la sacralité de chaque vie humaine et exige d'honorer le mandat divin de protéger et de préserver la maison commune.
Face à cette crise planétaire, je m'unis à votre appel pressant.
Premièrement, il est nécessaire d'adopter une approche universelle et une action rapide et résolue, capable de produire des changements et des décisions politiques. Deuxièmement, il faut inverser la courbe du réchauffement climatique, en cherchant à réduire de moitié la hausse du réchauffement dans le court laps d'un quart de siècle. En même temps, il est nécessaire de viser une décarbonation mondiale, en éliminant la dépendance aux combustibles fossiles. Troisièmement, il faut retirer de grandes quantités de dioxyde de carbone de l'atmosphère, par une gestion environnementale qui couvre plusieurs générations. C'est un long travail, mais c'est aussi une vision d'avenir, et nous devons le commencer tous ensemble. Et dans cet effort, la nature est notre fidèle alliée, mettant à notre disposition ses pouvoirs et les pouvoirs de régénération de la nature.
Sauvegardons les richesses naturelles: le bassin de l'Amazonie et celui du Congo, les tourbières et les mangroves, les océans, les récifs coralliens, les terres agricoles et les calottes glaciaires, pour leur contribution à la réduction des émissions mondiales de carbone. Avec cette approche holistique, nous luttons contre le changement climatique et nous abordons également la double crise de la perte de biodiversité et des inégalités, en cultivant les écosystèmes qui soutiennent la vie.
La crise climatique nécessite une symphonie de coopération et de solidarité mondiales. Le travail doit être symphonique, harmonieux, collectif. En réduisant les émissions, en éduquant sur les modes de vie, en finançant de manière innovante et en utilisant des solutions éprouvées basées sur la nature, nous renforçons donc la résilience, en particulier la résilience à la sécheresse.
Enfin, il est nécessaire de développer une nouvelle architecture financière qui réponde aux besoins des pays du Sud et des Etats insulaires gravement touchés par les catastrophes climatiques. La restructuration et la réduction de la dette, ainsi que le développement d'une nouvelle Charte financière mondiale d'ici 2025, reconnaissant une sorte de «dette écologique» — vous devez travailler sur ce terme: dette écologique —, peuvent être d'une aide précieuse pour réduire les changements climatiques.
Chers amis, je vous remercie pour votre engagement et je vous encourage à continuer à coopérer à la tran-sition de la crise climatique actuelle vers la résilience climatique avec équité et justice sociale. Il faut agir avec urgence — avec urgence! —, compassion et détermination, car les enjeux n'ont jamais été aussi élevés. Allez de l'avant et que Dieu vous bénisse. Je prie pour vous et, s'il vous plaît, faites de même pour moi. Merci!