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FEMMES EGLISE MONDE

Une expérience en Autriche
Avec salaire, vacances et retraite

La théologienne qui dirige une paroisse

 La teologa che dirige  una parrocchia  DCM-006
01 juin 2024

« Mon travail a un sens ». Sabine Meraner, 31 ans, dirige une paroisse en Autriche. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. Dans les pays germanophones, les théologiennes catholiques peuvent choisir parmi de nombreuses professions et ministères ecclésiastiques. Et plus de la moitié des étudiants en théologie en Allemagne, en Autriche et en Suisse alémanique sont des femmes. Elles savent que l'Eglise a besoin d'elles et les cherche. Même si de moins en moins de jeunes veulent aujourd'hui étudier la théologie et travailler dans les diocèses.

Jenbach est une commune de 7.500 habitants située dans le Tyrol, à moins de 70 kilomètres du col du Brenner. Dans l'église paroissiale catholique de Saint-Wolfgang et Saint-Leonhard, un édifice du début du XVIe siècle situé sur le tronçon tyrolien du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle, le soleil brille avec douceur à travers les hauts vitraux colorés. A l'intérieur a lieu une messe pour enfants. Une jeune femme portant une aube liturgique commence par expliquer qu'aujourd'hui est un jour de joie, tandis que le vicaire indien de la paroisse célèbre l'Eucharistie. Il y a de la joie dans l'air, les enfants - et quelques parents - chantent à tue-tête. Il y a vraiment un air de fête.

Sabine Meraner, la femme en aube, prononce un sermon dans son dialecte tyrolien, regarde et s'adresse directement aux enfants de huit ans, leur décrivant ce que signifie rencontrer Jésus dans le sacrement. Ensuite, chaque enfant monte à l'autel et reçoit l’aube de sa communion qu'il portera bientôt pour sa première communion. Alors qu'Eliah la reçoit des deux mains, sa sœur aînée - l'enfant de chœur à côté de la femme en aube - sourit. « Les enfants sont si rayonnants », déclare Sabine Meraner un plus tard au cours de notre conversation. Si vous leur demandez, lors de la commémoration du baptême : « Voulez-vous cette amitié avec Jésus ? et qu'ils vous regardent et disent joyeusement : "Oui, je veux", je me rends compte que je suis une pièce dans leur vie et que je peux leur parler de Jésus. C'est magnifique ».

L'enthousiasme de Sabine Meraner pour son travail est immédiatement contagieux. Pourtant, ses tâches au sein de la communauté sont exigeantes. Si quelqu'un a besoin d'elle, elle est présente, même pendant un jour de congé ou la nuit, « parce que je pense que c'est le but. Quand on s'occupe d'une paroisse, ce sont les gens qui comptent, pas le bâtiment ». Lorsque l’on est responsable paroissiale - c'est le nom du modèle de leadership entre laïcs dans son diocèse d'Innsbruck - on est responsable de toutes les questions pastorales et organisationnelles dans celle-ci. « Lorsque quelqu'un meurt, je vais voir la famille et lui parle immédiatement du deuil, puis je célèbre les funérailles, avec le prêtre ou seule. Je bénis les enfants au début de l'année scolaire, je célèbre Noël, Pâques et les grandes fêtes avec eux à l'église. J'ai mes propres responsabilités dans la liturgie, on me confie des tours de prédication, je prépare aussi les grands offices et j'en discute avec le vicaire, qui est généralement à notre disposition en tant que prêtre ».

Les décisions sont prises en collaboration avec le curé, le vicaire, le diacre et le personnel à plein temps. En tant que théologienne, Sabine Meraner y attache une grande importance. « Dieu merci, je ne dois pas tout faire moi-même, je n'en serais jamais capable. Mais c'est à moi qu'incombe la responsabilité finale ».

Sabine Meraner est employée par le diocèse d'Innsbruck. Elle perçoit un salaire, bénéficie de vacances et a droit à une retraite. Comme elle, des centaines d'autres femmes diplômées en théologie travaillent dans des diocèses d'Autriche, d'Allemagne et de Suisse, où elles occupent également des postes de direction. Les professeurs de religion continuent de rendre de précieux services, mais l'époque où les théologiennes ne pouvaient travailler qu'en tant qu'enseignantes et, plus rarement, en tant que professeures d'université, est révolue. Il y a quelques années, la théologienne Daniela Engelhard, alors responsable du bureau de la pastorale du diocèse d'Osnabrück, a dressé une liste de plus de 50 postes ouverts aux laïques et aux laïcs et donc aux femmes dans l'Eglise catholique : de servants d'autel aux postes d’agents de la pastorale des malades, d’animateurs de la liturgie de la parole aux postes de juges diocésains. La plupart des théologiennes catholiques qui servent aujourd'hui dans l'Eglise travaillent dans les paroisses en tant que référentes pastorales.

Aucun diocèse germanophone ne peut aujourd'hui se passer de ces femmes, affirme Stéphanie Feder de l'association Hildegardis, une organisation catholique allemande de près de 120 ans qui promeut les études féminines et vise à augmenter le nombre de femmes occupant des fonctions ecclésiastiques exigeantes grâce à un programme de mentorat très populaire. Selon les rapports unanimes des trois pays, les théologiennes n'ont plus de problèmes à être acceptées dans le domaine pastoral. En Suisse, les théologiens laïcs, y compris les femmes, travaillent depuis longtemps à la direction des paroisses, parfois même en binôme avec des théologiens mariés qui se partagent le poste. Ils sont assistés par un prêtre, comme l'exige le droit canonique.

Et au cours de ces dernières années, le leadership partagé s'est développé encore davantage. Sous la direction du cardinal Reinhard Marx, l'archidiocèse de Munich et Freising, l'un des plus grands d'Allemagne, a une double direction composée du vicaire général et d'une femme chef de bureau (qui est toutefois avocate). Le séminaire du diocèse d'Innsbruck est dirigé conjointement par un recteur, à savoir un prêtre, et une jeune théologienne experte. Aussi bien Caritas Allemagne que Caritas Autriche sont dirigées pour la première fois par des femmes. Dans les deux pays, les évêques se sont engagés à faire accéder davantage de femmes qualifiées aux postes de direction de l'Eglise, les Autrichiens ayant même mis en place un quota rose.

La proximité des femmes à l'autel et à l'ambon varie d'un diocèse à l'autre. Dans certains d’entre eux, la tâche de la prédication est liée à la direction de la paroisse, dans d'autres, l'évêque l'accorde au cas par cas. Dans le diocèse de Linz, connu pour ses innovations, l'abbé du monastère Saint-Florian a appelé une théologienne à prêcher lors de la grande fonction du 4 mai 2022 pour Saint-Florian, patron du diocèse. Plus ou moins à la même période, en Allemagne, le premier évêque - Franz-Josef Overbeck d'Essen - autorisait quelques théologiennes en charge de la pastorale à administrer le baptême aux enfants, afin que les familles n'aient pas à attendre trop longtemps un prêtre ou un diacre.

Si aujourd’hui les théologiennes sont toujours plus visibles dans les ministères ecclésiastiques, c'est que de nombreux facteurs ont joué un rôle important. On pense à la pénurie de prêtres, mais aussi à la richesse relative des églises locales en Allemagne, en Autriche et en Suisse. « Nous sommes l'une des rares régions du monde où l'Eglise a les moyens d'employer beaucoup de personnel laïc, car les salaires doivent être suffisamment élevés pour faire vivre une famille », explique Arnd Bünker, directeur de l'Institut suisse de sociologie pastorale de Saint-Gall. Dans d'autres pays, les diocèses ne peuvent pas se permettre d’employer des théologiens laïcs, même s'ils sont ouverts aux nouvelles formes de travail pastoral que cela implique. C'est pourquoi les jeunes décident rarement d'étudier la théologie : ils ne pourraient pas gagner leur vie. Par conséquent, la théologie risque de rester une sorte de science secrète, pertinente et accessible uniquement aux prêtres.

Le fait que de moins en moins de jeunes étudient la théologie est également un problème pour l'Eglise dans les pays germanophones. Il est vrai que plus de la moitié des étudiants en théologie sont des femmes, mais l'intérêt pour cette matière diminue d'année en année chez les hommes et les femmes. Cela n'est pas dû aux perspectives de carrière : « L'Eglise les recrute avant même qu'elles ne soient diplômées, que ce soit pour l'enseignement, la paroisse ou d'autres domaines du soin pastoral », observe Gabriele Eder-Cakl, directrice de l'Institut pastoral autrichien de la Conférence épiscopale de Vienne. Selon elle, les études de théologie restent très attrayantes car elles permettent d'acquérir une solide connaissance de la foi et du discernement. Toutefois, ajoute-t-elle, cela reflète également l’insatisfaction des jeunes filles catholiques qui estiment que leur Eglise les exclut du ministère sacramentel proprement dit, c'est-à-dire du ministère sacerdotal.

Sabine Meraner, de Jenbach, ne se sent pas appelée à « faire » le prêtre. Lorsque quelqu'un l'appelle en plaisantant « madame le curé », elle le fait de manière reconnaissante, mais cela ne lui plaît pas, dit Sabine. « Je clarifie donc les choses : le sacerdoce est une vocation en soi. Moi je suis responsable paroissiale. Ce n'est pas être un 'demi-prêtre', mais c’est un ministère avec sa propre vocation ». Et elle veut que les jeunes qu'elle est si heureuse de servir le ressentent. Elle veut être elle-même un modèle, en rendant tangibles sa joie et son enthousiasme pour ce ministère laïc. « Annoncer Jésus aux autres, réconforter les personnes en deuil, tout ce qui va avec. Ce sont des rencontres où l'on fait le bien. Je peux dire avec fierté : mon travail a un sens ».

Gudrun Sailer
Journaliste à Vatican News