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FEMMES EGLISE MONDE

Au Mozambique, la communauté de femmes séropositives soutenue par le Cuamm

Demande qui sont
les Kuplumussanes

 Chiedi chi sono le Kuplumussane   DCM-006
01 juin 2024

Rires. Chants. Des femmes qui dansent. Musique à plein volume. Un soleil très fort. Une petite porte s'ouvre et nous entrons dans une petite cour colorée à la périphérie de Beira, au Mozambique. « La maison qui reçoit des invités est une maison heureuse » : c'est ainsi que nous accueille Francisca Joao Mavura, la présidente de l'association Kuplumussana, une communauté de femmes séropositives qui ont été abandonnées par leur partenaire, nombreuses d’entre elles victimes de viols. Presque toutes ont donné naissance à des enfants séropositifs. « Nous – dit Don Dante Carraro, directeur de Medici con l’Africa Cuamm (Collegio universitario aspiranti medici missionari) – soutenons ces femmes parce qu'elles sont abandonnées, malades, en thérapie. Mais nous savons depuis de nombreuses années que si on leur donne une chance, elles parviennent à trouver un travail et à retrouver leur dignité ». Elles se donnent mutuellement du courage : ici, la résilience n'est pas un vain mot. Le cœur de la communauté est cette petite maison spartiate, colorée et digne, que le Cuamm a contribué à remettre en état et qui sert de base à ces femmes souvent démunies. Certaines ont trouvé du travail dans les dispensaires soutenus par le Cuamm ou à l'hôpital.

L'association existe depuis 20 ans : les femmes élisent une présidente, s'entraident et se motivent mutuellement : Kuplumussana, en langue sena, signifie « Des femmes qui aident d’autres femmes ». Ou, mieux encore, des femmes qui sauvent d'autres femmes.

Il s'agit d'une belle réalité, née de la base, qui tente de donner de la dignité à ces jeunes filles et qui sert en même temps à renforcer les activités de contrôle du VIH/Sida dans la région. Le besoin est grand : selon les dernières données publiées par le ministère de la santé, le taux de prévalence du VIH/Sida chez les personnes de plus de 15 ans est d'environ 13,2 % dans la seule province de Sofala, où se trouve la ville de Beira.

« Ici, depuis plusieurs années, poursuit le père Dante, le Cuamm et nous travaillons dans le réseau des centres de consultation pour adolescents, où l'on essaie de sensibiliser les jeunes aux questions de santé sexuelle et reproductive et où les personnes sous traitement antirétroviral sont accompagnées et suivies par du personnel de santé, y compris un psychologue ». Il existe neuf centres de consultation dans le district de Beira où le Cuamm est présent et où il travaille avec des groupes de militants composés de jeunes mais aussi de femmes séropositives, dont beaucoup sont issues de l'association Kuplumussana.

« En 2022, plus de 66.958 tests de dépistage du VIH/Sida ont été effectués et 597 patients ont pu être détectés séropositifs », déclare don Dante avec un sourire d'espoir.

Des tables sont dressées dans la cour, mais il faut d'abord danser, tous ensemble, sur un rythme endiablé, pour rendre grâce à la vie. Les femmes de la communauté parcourent tout le district de Beira organisant des sessions théâtrales, des réunions et des activités sur les questions de santé sexuelle et reproductive. Isabel Domingos Aleixo, l'une des vétéranes de l'association, raconte : « Au début, il y avait quelques mères qui se réunissaient sous un auvent, tous les vendredis, pour parler, se défouler, vaincre la peur. Et elles se surveillaient les unes les autres, contrôlant celles qui abandonnaient le traitement. La tâche la plus importante était de les convaincre de reprendre leur traitement, afin qu'elles soient intégrées au groupe communautaire. C'est encore le cas aujourd'hui ».

Ce sont toutes des femmes. Et une autre femme, Maria Laura Mastrogiacomo, médecin envoyée par le Cuamm au Mozambique, les a aidées à essayer d'élargir le rayon d'action pour atteindre le plus grand nombre possible de séropositives.

Quelques chiffres pour comprendre que le Mozambique est encore un pays fragile mais jeune : l'âge moyen de la population est de 17 ans, mais l'espérance de vie est de 56 ans et le nombre moyen d'enfants par femme est de 4,7. Il est regrettable que dans ce pays le taux de mortalité maternelle soit de 289 enfants pour cent mille naissances et que, aussi en raison de la malnutrition, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans soit de 70 pour mille. C'est beaucoup trop.

Francisca Joao Mavura a 41 ans et quatre enfants : « J'avais 22 ans quand j'ai appris que j'étais séropositive. J'attendais un bébé et mon monde s'est écroulé, j'avais peur de mourir : quand je l'ai dit à mon mari, les premiers mois, il était à mes côtés, puis il m'a abandonnée et n'a jamais accepté de faire le test. J'ai découvert l'existence de cette association à l'hôpital de Beira, et j'ai commencé à la fréquenter : aujourd'hui, j'ai ma propre maison et mes enfants ont pu étudier. Certaines femmes qui sont sorties d'ici sont entrées dans la police ou sont devenues infirmières. Elles se sont construit un avenir ». Elle dit cela avec une fierté contagieuse.

Pendant que je parle à Francisca, les autres femmes organisent des tableaux vivants pour raconter leur histoire : il y a vingt ans, si une femme avait le VIH/Sida, elle était jetée hors de la maison par son mari, elle devenait hors caste, sans aucune protection.

Aujourd'hui, la prise de conscience a tellement évolué que l'association s'est également ouverte aux hommes : certains pères acceptent de parler d'homme à homme à d'autres hommes pour les convaincre de se faire dépister et soigner.

De même, la vie d'Isabel Mendes, 41 ans et une fille de 24 ans, a été et est un exercice continu de résilience : elle a découvert sa séropositivité dès le début de sa grossesse et son compagnon a disparu un soir, la laissant avec le bébé qu'elle venait de mettre au monde. Elle ne l'a jamais revu. Isabel souffrait également de turberculose, ce qui a tout compliqué. Mais ses yeux s'illuminent lorsqu'elle raconte : « Ma fille, grâce aussi à l'aide de l'association et du Cuamm, vient d'obtenir son diplôme d'infirmière et nous vivons maintenant dans une maison où il y a trois générations de femmes fortes : ma mère, ma fille et moi. C'est pourquoi je dois rendre l'aide que j'ai reçue à d'autres femmes : mon rêve est de continuer à être une marraine pour d'autres filles qui ont besoin de soutien et de protection ».

Etre une marraine mae est essentiel, comme l'explique Nicha Alberto, 30 ans, mère de trois enfants adolescents, qui a été adoptée par une femme Kuplumussana lorsqu'elle a commencé à présenter des symptômes du VIH/Sida : « Elle me surveillait, elle était à mes côtés lorsque j'étais malade et m'a convaincue de faire le test, alors que je refusais de voir ce qui se passait... Elle m'a accompagnée et lorsque le test s'est révélé positif, elle a commencé à m'encourager, notamment parce que j'avais récemment perdu mon mari à cause de la même maladie, et qu'il n'avait jamais accepté son résultat positif. Il disait que c'était "um fetisso" (un mauvais œil/une malédiction, ndlr) ; il cherchait des réponses dans la médecine alternative, il a quitté la maison à la recherche de curandeiro et d'autres sorciers.  Lorsqu'il a accepté le traitement, il était déjà très malade et les médicaments ne l'ont pas sauvé. Lorsqu'il est mort, je n'ai pas fait le test, car j'étais convaincue que le résultat n'était pas correct. Mais après un an, j'ai commencé à me sentir mal, je me sentais fatiguée, j'avais des douleurs partout ; et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré la mae kuplumussana. Elle le savait en me regardant, mais elle ne pouvait pas me le dire directement parce qu'elle avait peur de ma réaction ; elle m'a convaincue petit à petit ».

Si vous demandez à Amelia Afonso, 49 ans, l'une des fondatrices de l'association, ce que signifie être séropositive aujourd'hui, elle baisse les yeux et parle à voix basse : « Lorsque je suis allée pour la première fois à l'hôpital pour une visite prénatale et que j'ai été testée positive, les gens m'ont évitée parce que tout le monde savait qu'on traitait le VIH/sida dans cet hôpital. Aujourd'hui, mes trois enfants sont séronégatifs, l'aîné a 20 ans : jusqu’à il y a quelques années, des enfants naissaient et mouraient sans que l’on connaisse la véritable raison. Aujourd'hui, les informations sont claires, il y a des conférences à la télévision, à la radio, dans les centres de santé... avant, il y avait beaucoup de discrimination ». Son mari aussi l'a abandonnée.

« Lorsque j'ai appris que j'étais séropositive, nous sommes allés à la plage et il a pleuré terrorisé d’être lui aussi positif. Je l'ai convaincu de faire le test : il était négatif. Mais à partir de ce moment-là, il a perdu confiance en moi, m'a quittée et a trouvé une autre femme. J'ai connu une période difficile, je n'avais pas de maison, je devais payer un loyer, j'ai commencé à faire de petits travaux dans la rue, je devais nourrir mes enfants, mais les autres marraines kuplumussanes m'ont dit "il y a des femmes qui n'ont pas de mari mais qui survivent en se soutenant les unes les autres" et donc aujourd'hui je suis sans mari, seule avec mes enfants, mais j'ai ma propre maison. Il est revenu vers moi après un certain temps, il m'a trouvée forte, et quand il m'a vue, il m'a dit : "Tu n'es pas morte ?". Il m'a demandé de nous remettre ensemble, mais je lui ai dit qu'il m'avait déjà quittée une fois et qu'il pouvait recommencer ».

Albertina Francisco avait 29 ans lorsqu'elle est tombée sur Kuplumussane et avait probablement contracté le VIH/sida lorsqu'elle était enfant, orpheline de père et de mère, abandonnée. « A 20 ans, j'étais déjà très malade, j'étais petite, chétive, mal nourrie, je n'avais même pas mes règles ; ma sœur du même âge était déjà mariée et avait des enfants, alors que je ressemblais à une enfant. Dès les premiers rapports, je suis tombée enceinte et, lors de la consultation prénatale, j'ai rencontré les kuplumussanes. Une fille est née et a été testée négative, elle a aujourd'hui 20 ans. Après ce premier enfant, je me sentais bien et j'ai décidé d'arrêter de prendre les médicaments. Puis je suis tombée à nouveau enceinte et, cette fois, le bébé a été testé positif. Les kuplumussanes sont revenus vers moi pour me rappeler à quel point il était important de suivre la thérapie et les contrôles médicaux. Elles m'ont convaincue que je n'étais pas seule, que nous étions responsables de nos enfants. A partir de là, j'ai commencé à travailler avec l'association, à donner des cours moi-même ».

J'ai travaillé sur un projet à Buzi (au sud de Beira) où, dans la casa de espera (maison d'attente) pour les femmes enceintes, nous organisions des réunions mae para mae pour femmes séropositives, poursuit Albertina. Je me suis attachée à une mère qui est morte à la naissance de sa petite fille. J’avais pris sa famille en affection - quatre enfants avec la dernière nouveau-née -, je les ai aidés et ils ont fini par m'appeler maman. Jusque-là, de nombreux hommes m'abandonnaient lorsque je disais que j'étais séropositive, et j'ai donc décidé d'arrêter le traitement pour qu'ils ne le découvrent pas. J'ai eu mes trois premiers enfants avec trois hommes différents. Mais avec cette famille, c'était différent, le père a proposé que nous vivions ensemble. Je lui ai dit que j'étais séropositive. Il m'a répondu que si je continuais les traitements, il était prêt à vivre avec moi. Finalement, il a été testé positif, mais il suit bien le traitement et nous avons maintenant trois enfants ensemble. Tout le monde m'appelle maman, peu importe que je sois la mère biologique. Nous avons créé un lar feliz (un foyer heureux). Les Kuplumussanes m'ont aidé à réaliser ce rêve. Avec ce que je gagne, je nourris tout le monde. Mon mari ne travaille pas, c’est un paysan. Aujourd'hui, l'une de mes filles, l'aînée, étudie et c'est une bénédiction pour moi. Moi je suis analphabète. Mais le projet des Kuplumussanes ne peut s'arrêter là ».

Texte et photo de Diamante D’Alessio
 Avec la collaboration d’Irene Avagnina (pédiatre au Cuamm )