Au-delà du mur
J’étais joyeux que l’on me dise
Allons à la maison de Yahvé !
Enfin nos pieds s’arrêtent
dans tes portes, Jérusalem !
[…]
Appelez la paix sur Jérusalem
que reposent tes tentes !
Advienne la paix dans tes murs
repos en tes palais !
Pour l’amour de mes frères, de mes amis,
laisse-moi dire : paix sur toi !
(Psaume 121)
Arriver à Jérusalem pendant la plus longue période de guerre des soixante dernières années n’a certainement pas été un choix facile, ni un choix que beaucoup d’amis et d’amies pouvaient comprendre. Pourtant, bien qu’arrivée en novembre 2023, je suis toujours là, quelques mois plus tard, à regarder autour de moi et à essayer de comprendre où j’ai vraiment atterri.
En réalité, dès le début, la vie quotidienne de Jérusalem semblait presque épargnée par la réalité des violences qui se déroulent à moins de 100 km de là. J’ai moi-même commencé un cours d’arabe (qui, je l’espère, sera suivi d’un cours d’hébreu moderne), je me déplace dans les ruelles vides de la vieille ville, je peux m’arrêter au Saint-Sépulcre, où règne un profond silence, pour méditer car les longues files de pèlerins bruyants sont absentes.
Jérusalem est toujours une ville particulièrement fascinante, mais surtout extrêmement complexe, où des réalités différentes se rencontrent (et souvent s’affrontent). Une réalité, celle de la vieille ville, où le temps semble s’être arrêté, où les pierres parlent du temps du Christ, où il y a encore des gens qui portent des vêtements d’Europe de l’Est du XIXe siècle, une réalité où la coexistence est fragile et toujours menacée, même entre chrétiens, au point que tout évolue simplement selon le « statu quo » (comme on appelle la relation entre les différentes églises dans l’utilisation des espaces chrétiens qui devraient être simplement communs), c’est-à-dire, uniquement selon la tradition.
La complexité des relations est également perceptible dans le reste de Jérusalem, divisée entre les zones arabes et juives, où même les fêtes ne sont pas communes parce que chaque groupe suit son propre calendrier et ses propres traditions. En cette période sans pèlerins ni touristes, Jérusalem pourrait montrer encore plus clairement sa nature de ville de la rencontre possible, malgré une réalité si profondément divisée, issue d’une histoire de douleur, d’oppression et d’injustice.
Il est certain que le 7 octobre, avec la violence ineffable qui a été perpétrée, a créé un point de non-retour dans la situation déjà précaire et difficile de coexistence entre deux peuples. Le sentiment d’insécurité, la peur de ce qui pourrait arriver marquent la vie de tous ceux qui vivent ici : et au cœur de tout cela, il y a l’expérience de l’histoire de ceux qui nous ont précédés et que nous ne pouvons absolument pas considérer comme passée parce que c’est notre histoire, l’histoire qui a fait de nous ce que nous sommes. Il y a donc d’une part l’histoire de l’holocauste, mais aussi celle des persécutions et des ghettos et, d’autre part, l’expérience d’avoir été expulsés de sa propre terre et de sa propre maison, d’être des réfugiés de deuxième et troisième génération sans possibilité de retour. C’est une histoire de grande souffrance, mais aussi de grandes peurs des deux côtés, celle de l’anéantissement réel, social et culturel, ainsi que de la création d’une barrière de peur, de méfiance et de défiance. C’est certainement une histoire qui est constamment consolidée par les violences perpétrées de façon indiscriminée des deux côtés, qui compte principalement de jeunes victimes, tuées après une rave ou simplement parce qu’elles vivent dans une partie du monde appelée Gaza, qu’elles ne sont tout simplement pas autorisées à quitter.
C’est une histoire également clairement manipulée par la politique pour susciter la peur de l’autre : le mur existant comme symbole d’une division créée par l’être humain. Je vis à côté du mur, je le vois chaque matin en me levant et chaque soir avant de m’endormir, et c’est le signe le plus évident de ce qu’il ne devrait pas être : diviser les gens, créer des ennemis. Car si l’on ne se rencontre pas, si l’on ne se connait pas, il n’est pas non plus possible de se reconnaître dans l’humanité qui nous unit.
Pourtant, même dans cette réalité si divisée et contestée, il y a des signes d’espoir, ou peut-être serait-il préférable de dire, des personnes qui apportent l’espoir, qui cherchent la rencontre, qui désirent la paix et qui, malgré l’attaque du 7 octobre et la réponse militaire d’Israël à Gaza, avec leurs victimes, se posent les questions fondamentales sur la manière dont il sera possible de construire un avenir commun. Ce sont des journalistes, des médecins, des rabbins, qui n’ont pas perdu la foi dans la possibilité de partager des espaces, de créer une communication et peut-être, dans un avenir que l’on espère proche, une communion. Nous ne pouvons pas, en effet, ne pas penser qu’il y a aussi une opportunité, une possibilité de changement. Certes, cela prendra beaucoup de temps parce qu’il y a de très nombreuses blessures à guérir, et pas seulement celles physiques, mais aussi celles de l’histoire, de la peur, de l’injustice, et il y a tant de douleur à métaboliser qui « tend souvent à être égoïste », affirme le cardinal Pizzaballa dans une récente interview. C’est la tâche que nous sommes appelés à vivre en tant qu’Eglise : devenir toujours plus un lieu de rencontre : une rencontre avec les chrétiens de Terre Sainte qui vivent leur condition de minorité de manière particulière à tous points de vue, une rencontre avec toutes les personnes de bonne volonté qui souhaitent construire une société fondée sur la justice, sur l’équité, sur la paix, à partir de la rencontre avec la douleur de l’autre.
Cela donne un sens à notre présence comme missionnaires : être des lieux et des possibilités de rencontre, de connaissance, et aider à créer des espaces pour imaginer un avenir différent, un avenir qui ne permette pas de penser uniquement à travers des formes égoïstes, de prévarication, mais un avenir qui soit une possibilité de vie pour quiconque habite cette terre, pour tous ceux qui appellent cette Terre Sainte leur terre, la terre de leur vie. Il n’y a pas de vainqueurs dans cette tragédie, seulement des victimes de politiques déformées, de projets de pouvoir, de cette arrogance si terriblement inhumaine qui voit dans la prévarication une politique possible et surtout avantageuse. La destruction dont nous sommes témoins chaque jour est une destruction de notre humanité, de la possibilité de croître dans l’humanum qui nous unit. Tant que nous ne commencerons pas à écouter les histoires des autres, tant qu’il n’y aura pas d’espaces de rencontre, il n’y aura pas de possibilité de changement, de paix et d’avenir pour cette terre et pour toutes les terres.
Mariolina Cattaneo
Missionnaire combonienne
#sistersproject