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Entretien avec Arturo Mariani footballeur porteur de handicap et témoin du sport inclusif

Le plus beau but? Aider les autres et soi-même

 Le plus beau but?  Aider les autres et soi-même  FRA-022
29 mai 2024

Les rêves peuvent se réaliser un pas après l'autre, même avec une seule jambe. C'est ce qu'à fait Arturo Mariani, joueur de l'équipe de football pour amputés italienne, qui depuis 15 ans inspire de nombreuses personnes avec son histoire qu'il partage lors de conférences, de rencontres et dans ses six livres, dont le dernier développe le concept de proabilità (remplacement du préfixe -dis par -pro dans le mot disabilità, qui signifie handicap en français) comme moyen de franchir les barrières avec la conviction que chacun d'entre nous, peu importe sa condition physique, possède en lui des ressources extraordinaires.

Né il y a 30 ans avec une seule jambe, Arturo a dû affronter un défi après l'autre, surtout pendant son enfance: des difficultés à marcher jusqu’aux douleurs causées par les prothèses, en passant par l'acceptation de devoir toujours utiliser ses béquilles. Aujourd'hui, Arthur — qui a également fondé l'équipe Asd Roma Calcio Amputati — parcourt l'Italie pour raconter son histoire et aider les jeunes en difficultés à ne pas baisser les bras mais à trouver en eux, à travers le sport, cette volonté de vivre qui parfois semble manquer.

Arturo Mariani est intervenu lors du colloque international «Sport et Spiritualité» qui s'est déroulé du 16 au 18 mai à l'Institut Saint-Louis-des-Français, à Rome, organisé par le dicastère pour la culture et l'éducation et l'ambassade de France près le Saint-Siège. Dans cet entretien à L’Osservatore romano, l'athlète raconte son parcours de vie et de sportif et accueille l'appel du Pape à promouvoir un sport qui soit toujours plus un espace inclusif de fraternité humaine.

On peut dire que votre histoire a commencé avant votre naissance — c'est certainement vrai pour tout le monde, mais ça l'est encore plus pour vous — quand vos parents ont décidé de vous accueillir bien qu'ils savaient que vous seriez né avec une seule jambe et peut-être avec d'autres malformations. Qu'a représenté cet acte d'amour, de courage, d'accueil pour vous, en tant que personne puis, par la suite, en tant qu'athlète?

Sans aucun doute, cette décision, cet acte de courage et surtout — comme le disent tout le temps mes parents — de foi, de confiance, a posé un peu les bases pour ma vie d'athlète mais aussi de père, de fils, de frère, d'ami, car je pense que cet acte fait la différence. Lorsqu'on s'oriente avec confiance, certitude, abandon dans la vie, les fruits et les réponses arrivent après. C'est comme si c'était un dessin qui s'esquisse petit à petit. Tout a commencé avec ce «oui» de mes parents, que je ne cesserai jamais de remercier et de mentionner, parce qu'ils ont vraiment permis de faire circuler cette vie qui a généré en moi de grands rêves, de grands résultats, surtout au niveau humain.

S'il y a actuellement une attention et une sen-sibilité croissantes envers les personnes porteuses de handicap, elle était beaucoup moins enracinée — cette sensibilité — il y 20 ou 25 ans, lorsque vous étiez enfant. En grandissant, quelle a été votre expérience avec les autres, étant donné que cette sensibilité était différente de celle d'aujourd'hui?

Avant, il y a 20-30 ans, l'approche était différente et même, si l'on veut, les regards étaient différents; tout comme l'approche linguistique. Sans aucun doute, aujourd'hui, nous devons encore faire des pas énormes vers la véritable inclusion: lorsque l'on ne devra plus parler d'inclusion, cela signifiera qu'on aura atteint l'objectif. Quand j'étais petit, j'ai souvent vécu des situations de discrimination, des situations où je voulais pratiquer un sport et l'on me fermait la porte au nez, j'étais mis de côté. Les mots que l'ont m'adressait étaient: «Tu es Arturo, tu n'as qu'une jambe, tu ne peux pas faire certaines choses, tu ne peux pas accéder à certains lieux», et c'était normal. C'était normal pour les autres, mais pour moi, pour ma famille, ça ne l'a jamais été. Nous ne l'avons jamais accepté, nous avons toujours lutté ou combattu pour que mes droits soient respectés.

Aujourd'hui, on peut dire que, en dépit de ces difficultés — surtout grâce à votre force de volonté — vous êtes un homme affirmé. Si on veut, on peut même dire que vous être un modèle gagnant dans le sport. Vous avez joué à un très haut niveau, allant jusqu'à disputer un mondial de football de votre catégorie avec l'équipe nationale italienne. Que représente le sport pour vous et que vous a-t-il apporté, au-delà des succès que tout le monde a pu voir?

Le sport a été un moyen très important de me découvrir, de comprendre qui j'étais réellement, outre l'étiquette que la société m'attribuait. Cela a aussi été un moyen pour découvrir une connexion avec le divin, avec Dieu, car à chaque fois que je faisais mes preuves sur un terrain de football ou que je pratiquais une activité sportive, je ressentais ce flux dépourvu de tout schéma humain, si vous voulez. C'est à ce moment que j'ai vraiment ressenti une harmonie, une connexion plus grande. Pour moi le sport a représenté — et représente encore aujourd'hui, car je m'entraîne très régulièrement — un instrument de connexion avec moi-même. Puis, lorsqu'on entre véritablement en connexion avec soi-même et qu'on est en harmonie avec tout son être, avec l'essence de sa personne, il est plus simple de reconnaître l'Autre, avec un a majuscule. Du coup, le sport pour moi a été et est un moyen vraiment incroyable et important pour toutes ces raisons.

Ces dernières années, fort de vos succès sportifs personnels, vous avez voulu partager avec les autres votre expérience, votre compétence et, je dirais aussi, votre vision du sport, et pas seulement du sport, notamment en affirmant une valeur, que vous avez appelée «pro-abilità». De quoi s'agit-t-il?

Je suis parti du principe que les belles choses se partagent parce que si on les garde pour soi, elles ont moins d'impact. Quand j'ai découvert mon vrai potentiel, j'ai commencé à jouer avec les mots. La pro-abilità est un mot que j'ai créé en remplaçant disabile (handicapé), disabilità (handicap), qui indiquent l'exclusion, le manque, la diversité, afin de proposer un mot qui mette l'accent sur les possibilités de chaque personne selon sa situation. Outre le mot, j'ai écrit un livre, un guide qui explique ce type de mentalité et ce mot, mais surtout, j'ai fondé l'Academy ProAbile, où ce concept devient réalité, car c'est un espace, une île heureuse où tous peuvent s'exprimer sans distinc-tion — ou plutôt, grâce à la situation dans laquelle ils sont — et c'est quelque chose d'unique aujourd'hui, mais qui, j'espère, deviendra «normal» dans un futur proche. J'espère que tous les clubs sportifs, toutes les institutions pourront adopter cette approche, aussi bien pour le sport que dans la vie de tous les jours: l'approche de la proabilità.

De nombreux jeunes, encore plus après la pandémie, connaissent des difficultés sociales, des difficultés à affronter les défis de la vie. Ils ne sont pas forcément porteurs de handicap physique, mais ils en présentent d'autres, qui sont invisibles, ce sont des blessures qui n'en sont pas moins douloureuses. Quel message pensez-vous pouvoir transmettre à ces jeunes, fort de votre expérience et de ce que vous avez réussi à faire et continuez de faire?

Aujourd'hui nous sommes habitués, surtout par le puissant pilonnage médiatique et des réseaux sociaux, à voir des modèles, des exemples qui semblent parfaits s'ils ont atteint le fameux succès. Donc tous aspirent à ce résultat. Parfois on me dit: «Tu es un super héros, tu as passé des caps importants, tu as gagné de nombreuses batailles». Mais je répète et je tiens à souligner que je ne suis pas un super-héros: j'ai connu de nombreuses difficultés, de nombreux moments douloureux et de nombreux échecs, aujourd'hui j'ai découvert qu'à travers eux, on peut découvrir nos véritables opportunités, nos possibilités! Et donc, le message est de saisir, accueillir ces difficultés, ces défis qui se présentent. Quand on les accueille, d'une certaine façon on entre dans ce flux, dont j'ai parlé plus tôt, à travers le sport, qui pousse véritablement à se découvrir, à entrer en connexion avec soi, avec les autres et tout ce qui nous entoure.

En recevant l'Athletica Vaticana en janvier dernier, le Pape François a dit que le sport est un instrument d'inclusion qui fait tomber les barrières et célèbre la diversité. Pensez-vous que les athlètes comme vous peuvent aider à affirmer ce principe, dans un monde sportif — et pas seulement sportif — toujours plus centré sur le succès à tout prix?

Oui. Je pense que nous pouvons être des instruments. Nous pouvons être un instrument visible. Dans mon cas, par exemple, je n'ai qu'une jambe, ce détail est immédiatement perceptible, pour ainsi dire. D'une certaine manière, il s'agit donc d'une expérience dont il faut s'inspirer. En même temps, nous devons nous rappeler que chacun d'entre nous a le privilège d'être vivant, a le privilège de pouvoir s'exprimer, et que ce privilège doit en quelque sorte être à la fois partagé et constamment mis à l'épreuve. Le sport, à cet égard, est à mon avis l'activité la plus importante qui soit: grâce au sport, nous pouvons certes jouer, certes nous amuser, mais surtout nous entraîner véritablement à relever les défis que la vie nous lance, en dépassant toujours ses limites.

Cet été sera riche en grands événements sportifs: les championnats d'Europe d'athlétisme à Rome, puis les championnats d'Europe de football en Allemagne, et enfin les Jeux olympiques et paralympiques à Paris. Qu'attendez-vous et qu'espérez-vous de cette extraordinaire saison sportive qui s'ouvre?

Je m'attends certainement à ce qu'il y ait — comme le dit le Pape François — une inclusion réelle et concrète; je m'attends à ce que tous les stéréotypes qui ont existé au fil des ans soient surmontés. Il est nécessaire — à mon avis — de renouveler également l'approche, et c'est pourquoi je me concentre toujours beaucoup sur les mots, sur le langage, parce que cette approche naît de nos pensées. J'espère que tous ces événements sportifs pourront également rassembler de nombreuses personnes qui sont peut-être encore attachées à certains concepts et qui, par conséquent, se renferment sur elles-mêmes. J'espère qu'ils seront un stimulant, une source d'inspiration pour de nombreuses personnes, car c'est aussi le message transversal que le sport doit envoyer: donner une chance à ceux qui ont l'impression de l'avoir perdue.

Alessandro Gisotti