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Entretien avec le recteur de la cathédrale de la capitale française cinq ans après le terrible incendie

Notre-Dame de Paris renaît de ses cendres

(FILES) Workers take a picture as they operate on the reconstruction of the Notre-Dame de Paris ...
25 avril 2024

Plus belle, mais surtout plus accueillante pour les catholiques qui viennent y prier et pour tout visiteur en quête de sens et peut-être de Dieu: voilà comment sera la cathédrale Notre-Dame de Paris à sa réouverture en décembre, alors que le gros des travaux de restauration de l'édifice — en grande partie dévasté par les flammes dans la nuit de ce terrible 15 avril 2019 — s'achèvera dans les prochains mois. C'est ce qu'a expliqué le père Olivier Ribadeau Dumas, recteur-archiprêtre de la cathédrale depuis 2022 à L'Osservatore Romano. La renaissance de l'église-mère de Paris est un signe d'espérance pour les catholiques du diocèse et pour le monde entier, assure celui qui fut d'abord secrétaire général de la conférence des évêques de France, puis recteur du sanctuaire de Lourdes.

Une première question personnelle: où vous trouviez-vous lors de l’incendie de Notre-Dame?

Je pense que le 15 avril 2019 fait partie de ces dates importantes, comme pour les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, où chacun se rappelle où il était et ce qu'il faisait. J’étais à l'époque porte-parole et secrétaire général de la conférence des évêques de France, j'étais au bureau à Paris quand on m’a prévenu que la cathédrale brûlait. J’ai commencé à répondre aux interviews des journalistes qui très rapidement appelaient du monde entier: radios, chaînes de télévision, etc. Je me suis rendu à la cathédrale dans la matinée du 16 avril pour accueillir le ministre de l’intérieur qui venait visiter les lieux, accompagné par le commandant des sapeurs-pompiers, dont les hommes venaient de sauver Notre-Dame de la destruction. L'archevêque de Paris, quant à lui, s'était rendu dans la nuit sur les lieux avec le président de la République avec le recteur d’alors, Mgr Patrick Chauvet.

Où en est aujourd’hui la restauration de la cathédrale?

Rappelons qu’après l’incendie, très rapidement, une loi a été votée en juillet 2019 qui créait l'organisme public chargé de la restauration de la cathédrale, qui est propriété de l’Etat. Cet organisme a d’abord réalisé des travaux de sécurisation, qui ont duré à peu près 18 mois, puis de reconstruction. Aujourd'hui nous arrivons à la dernière phase de ces travaux. Depuis quelques temps la flèche a réapparu dans le ciel, nous sommes en train de couvrir les charpentes de la nef, du transept et du chœur, qui ont toutes été rebâties. En outre, l’intérieur de la cathédrale a retrouvé une apparence extraordinaire après le nettoyage des pierres et des vitraux et la restauration des tableaux. Nous retrouvons des dimensions que nous avions perdu: l'élévation gothique de la cathédrale, mais aussi la largeur de l'édifice. Les chapelles qui autrefois étaient toutes noires sont désormais bien mises en valeur, la pierre blonde de la cathédrale dégage une atmosphère chaleureuse. Dernièrement, des kilomètres de câbles, nécessaires pour assurer l'approvisionnement en électricité, ont été installés.

Pour sa part, le diocèse de Paris s’est occupé de tout le mobilier, dont il est responsable.

C’est un projet qui comporte plusieurs facettes. Nous avons dû d’abord choisir le mobilier liturgique, à savoir le baptistère situé à l'entrée de la cathédrale, l'autel de la croisée du transept, le tabernacle sur l'autel de Viollet-le-Duc au fond de la cathédrale, la cathèdre du côté nord et l'ambon au pied de la statue de la Vierge, côté sud, qui a miraculeusement échappé aux flammes dans la nuit de l’incendie. Ce mobilier, réalisé dans un atelier délocalisé dans le sud de la France, sera bientôt livré. Deuxièmement, les chaises, dont la réalisation a été confiée par un comité artistique ad hoc à la créatrice française Ionna Vautrin, sont en cours de fabrication dans un atelier dans les Landes, au rythme de 150 chaises produites par mois. Elle seront prêtes pour la réouverture de la cathédrale. Le troisième projet interne concerne la restauration des chapelles du déambulatoire et du chœur: l’idée a été d'élaborer un «chemin de pèlerinage» pour permettre aux 15 millions de visiteurs annuels que nous attendons à partir de la réouverture (ils étaient 11 millions en moyenne avant l'incendie) de vivre une vraie rencontre à l’intérieur de cette cathédrale.

Vous n'utilisez pas le mot «touristes» exprès?

Je préfère parler de visiteurs plutôt que de touristes parce que les visiteurs sont ceux qui effectuent justement une visite, une éventuelle rencontre avec le Christ, qui peut être stimulée par le témoignage de foi des croyants qui prieront à l’intérieur de la cathédrale, particulièrement grâce aux Messes qui seront toutes célébrées sur l'autel principal, donc au milieu des visiteurs. Cette rencontre avec Dieu se vit aussi par l’art présent dans tout l'édifice, dans la mesure où la beauté nous parle de Dieu. C’est pour cela que la rénovation des chapelles est fondamentale pour permettre aux visiteurs de saisir la cohérence de notre proposition, qui consiste à proposer un itinéraire dont j'ai parlé plus tôt: il part du côté nord de la cathédrale — qui parle de la naissance et de la vie publique du Christ — et s'étend jusqu’au côté sud, le long de la Seine, qui parle de la résurrection du Christ. Entre ces deux espaces, pour symboliser l’étape intermédiaire que représente la Passion du Christ, nous installerons un reliquaire monumental contenant la couronne d’épines. Avec les bénévoles, les clercs, les chapelains, les trente confesseurs, nous cherchons à faire de cette cathédrale un lieu de foi, d’expression liturgique, de célébration, de prière. Nous voulons favoriser la piété populaire, la dimension personnelle et communautaire de la prière.

La réouverture officielle aura lieu le 8 décembre, pour la solennité de l’Immaculée Conception de Marie. Quelles célébrations sont prévues?

L’ouverture solennelle des portes de Notre-Dame en présence des autorités politiques aura lieu dans la soirée du 7 décembre, suivie de l'éveil de l’orgue (qui a été complètement démonté et remonté), puis d’un Te Deum et d’un Magnificat. La consécration du nouvel autel suivi de la célébration de l’Eucharistie aura lieu dans la matinée du 8 décembre, deuxième dimanche de l’Avent. Dans la journée du 9 décembre, solennité de l’Immaculée conception et dernier jour de ce triduum spécial, la Messe sera célébrée en présence de très nombreux évêques et prêtres de France et du monde entier. Nous souhaitons aussi que les Parisiens puissent être présents dans la cathédrale, qui ne compte que 1.500 places assises, et sur le parvis où sera dressée une tente géante. Des écrans géants seront installés dans d’autres lieux de la capitale, car ce ne sont pas seulement les catholiques mais tous les habitants de Paris qui retrouvent leur cathédrale, celle qui veille sur la ville. Les jours suivants, jusqu’au 15 décembre, seront célébrées chaque matin des Messes solennelles pour les associations caritatives et les plus pauvres, pour les communautés religieuses, pour les jeunes, pour les donateurs, pour les compagnons, etc. Enfin, les mois suivants, la cathédrale accueillera des pèlerinages, d’abord de la région parisienne puis de toute la France.

Que représentent ces travaux de restauration et la réouverture de Notre-Dame pour l’Eglise catholique en France?

Alors que nous vivons dans un monde fracturé, de tensions et même de désespoir, la réouverture de la cathédrale est un formidable signe d'espérance: ce qui semblait mort est debout, grâce à la solidarité de tous ceux qui l'ont rendu possible. C’est le signe même que la fraternité a une sens réel et que lorsque nous unissons nos forces, nous sommes capables de faire quelque chose de grand et de beau, alors qu’il y a cinq ans, nous ne savions même pas si nous serions capables de réaliser un tel exploit. C’est un signe d'espérance non seulement pour les catholiques de Paris mais pour le monde entier, à la hauteur de l'émotion que l'incendie de la cathédrale avait suscitée il y a cinq ans à l'étranger. Deuxièmement, la réouverture de cette cathédrale est l'occasion d’un réveil spirituel: il ne s’agit pas de la reconstruction d’un musée mais d’une église, appelée à être au cœur de la ville le signe de la présence de Dieu et du culte rendu à Dieu. Toutes les personnes qui y ont travaillé avaient bien conscience de ne pas se trouver dans un quelconque édifice mais dans un lieu chargé d’histoire, de force spirituelle et évangélique. C’est pourquoi nous voulons que les célébrations liturgiques soient belles, sobres, compréhensibles et que Notre-Dame soit un témoignage de foi pour tous ceux qui y entreront. C’est aussi l’occasion de renouer un lien avec ce qui est un peu l’âme de la France: depuis sa construction, la cathédrale a toujours été au rendez-vous lors des événements heureux et malheureux de notre pays.

Le tragique incendie et la renaissance de Notre-Dame de Paris ont-ils augmenté sa notoriété?

Avant l'incendie, nous ne mesurions sans doute pas l’attachement que le monde entier avait envers la cathédrale. Peu après, l’académicien français Adrien Goetz a parlé de «Notre-Dame de l'humanité». Cela peut s’expliquer par le fait que cette église n’appartient à personne, ni aux catholiques, ni aux Français, mais représente une partie du bien commun de l'humanité, et que sous le patronage de la cathédrale, de la Vierge immaculée, chacun peut trouver un refuge. J'espère que dans les décennies à venir, de nombreuses personnes rencontreront le Christ à l'intérieur de la cathédrale, sur les traces de Paul Claudel qui, en entrant dans Notre-Dame de Paris au cours de la Messe de Noël le 25 décembre 1886, a cru en un instant.

Charles de Pechpeyrou