· Cité du Vatican ·

Entretien avec le cardinal-préfet du dicastère pour le clergé en la Journée des vocations

Appelés à être heureux

 Appelés à être heureux   FRA-017
25 avril 2024

A l'occasion de la Journée mondiale de -prière pour les vocations qui a eu lieu le dimanche 21 avril, «L’Osservatore Romano» s’est entretenu avec le cardinal-préfet du dicastère pour le clergé, Lazarus You Heung-sik.

Qu'est-ce qu'une vocation?

Avant de penser à tout aspect religieux ou spirituel, je dirais ceci: la vocation est essentiellement l'appel à être heureux, à prendre sa vie en main, à la réaliser pleinement et à ne pas la gâcher. C'est le premier désir que Dieu a pour chaque homme et chaque femme, pour chacun d'entre nous: que notre vie ne s'éteigne pas, qu'elle ne soit pas gâchée, qu'elle brille de tout son éclat. C'est pourquoi Il s'est fait proche de nous en Son Fils Jésus et veut nous attirer dans les bras de son amour; ainsi, grâce au baptême, nous participons à cette histoire d'amour et, lorsque nous nous sentons aimés et accompagnés, notre existence devient un chemin vers le bonheur, vers une vie qui n'a pas de fin. Un chemin qui s'incarne et se réalise ensuite dans un choix de vie, dans une mission spécifique et dans les nombreuses situations de la vie quotidienne.

Mais comment reconnaît-on une vocation? Quel est le lien entre vocation et désir?

La riche tradition de l'Eglise et la sagesse de la spiritualité chrétienne ont beaucoup à nous apprendre à ce sujet. Pour être heureux — et le bonheur est la première vocation partagée par tous les êtres humains — il est nécessaire de ne pas se tromper dans nos choix de vie, au moins dans les choix fondamentaux. Et les premières indications à suivre sont précisément nos désirs, ce que nous percevons comme étant bon pour nous dans notre cœur et, à travers nous, pour le monde qui nous entoure. Cependant, nous expérimentons chaque jour la façon dont nous nous dupons, car nos désirs ne correspondent pas toujours à notre vraie nature; il se peut qu'ils soient le fruit d'une vision partielle, qu'ils naissent de blessures ou de frustrations, qu'ils soient dictés par une recherche égoïste de notre propre bien-être, ou, encore, parfois nous appelons désir ce qui, en réalité, est une illusion. Il faut alors faire preuve de discernement, qui est essentiellement l'art spirituel de comprendre, avec la grâce de Dieu, ce que nous devons choisir dans notre vie. Le discernement n'est possible qu'à condition de s'écouter et d'écouter la présence de Dieu en nous, en vainquant la tentation très actuelle de faire coïncider nos sentiments avec la vérité absolue. C'est pourquoi le Pape François, au début du cycle de catéchèses de l'audience générale consacrées au discernement, nous a invités à affronter la difficulté de réaliser un travail d'introspection, en même temps, à ne pas oublier la présence de Dieu dans nos vies. Voilà, une vocation se reconnaît lorsque nous faisons dialoguer nos désirs profonds avec le travail que la grâce de Dieu accomplit en nous; grâce à cette confrontation, les doutes et les questions disparaissent peu à peu et le Seigneur nous fait comprendre quel chemin est à suivre.

Ce dialogue entre les dimensions humaine et spirituelle est de plus en plus au cœur de la formation des prêtres. Où en sommes-nous?

Ce dialogue est nécessaire et peut-être l'avons-nous parfois négligé. Il ne faut pas risquer de penser que l'aspect spirituel peut se développer indépendamment de l'aspect humain, attribuant ainsi une sorte de «pouvoir magique» à la grâce de Dieu. Dieu s'est fait chair et, par con-séquent, la vocation à laquelle il nous appelle s'incarne toujours dans notre nature humaine. Le monde, la société et l'Eglise ont besoin de prêtres profondément humains, dont le trait spirituel s'exprime dans le même style que Jésus: non pas une spiritualité qui nous sépare des autres ou qui fait de nous les maîtres froids d'une vérité abstraite, mais la capacité d'incarner la proximité de Dieu avec l'humanité, Son amour pour chaque créature, Sa compassion pour tous ceux qui sont marqués par les blessures de la vie. Il faut donc des personnes qui, même si elles sont fragiles comme tout le monde, possèdent dans leur fragilité une maturité psychologique, une sérénité intérieure et un équilibre émotionnel.

Or, nombreux sont les prêtres qui traversent des situations difficiles et douloureuses. Que pensez-vous d'eux?

J'en suis tout d'abord très touché. J'ai consacré presque toute ma vie au soin de la formation sacerdotale, à l'accompagnement et à la proximité aux prêtres. Aujourd'hui, en tant que préfet du dicastère pour le clergé, je me sens encore plus proche d'eux, de leurs espoirs et de leurs difficultés. Les préoccupations ne manquent pas, car dans de nombreuses parties du monde, il y a une véritable détresse dans la vie des prêtres. Les aspects de la crise sont nombreux, mais je pense que nous avons avant tout besoin d'une réflexion ecclésiale sur deux fronts. Premièrement, nous devons repenser notre façon d'être Eglise et de vivre la mission chrétienne en réelle co-opération avec tous les baptisés, car les prêtres sont souvent surchargés de travail, avec les mêmes tâches — non seulement pastorales, mais aussi juridiques et administratives — qu'il y a quelques années, lorsqu'ils étaient numériquement plus nombreux. Deuxièmement, il faut revoir le profil du prêtre diocésain car, même s'il n'est pas appelé à la vie religieuse, il doit redécouvrir la valeur sacramentelle de la fraternité, du fait de se sentir chez lui dans le presbytère, avec l'évêque, ses frères prêtres et les fidèles, parce que, surtout dans les difficultés actuelles, cet attachement peut le soutenir dans le service pastoral et l'accompagner lorsque la solitude devient pesante. Cependant, il faut une nouvelle mentalité et de nouveaux parcours de formation, car souvent un prêtre est formé pour être un dirigeant solitaire, un «homme seul aux commandes», ce qui n'est pas bon. Nous sommes petits et limités, mais nous sommes les disciples du Maître. Guidés par lui, nous pouvons faire beaucoup de choses. Non pas individuellement, mais ensemble, de manière synodale. «Les disciples missionnaires — répète le Saint-Père — ne peuvent être qu'ensemble».

Les prêtres sont-ils «équipés» pour affronter le monde d'aujourd'hui?

C'est l'un des principaux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, tant dans la formation initiale que dans la formation continue. Nous ne pouvons pas rester enfermés dans des formes sacrales et faire du prêtre un simple administrateur de rites religieux; nous vivons aujourd'hui une époque marquée par de nombreuses crises mondiales, avec certains risques liés à la hausse de la violence, à la guerre, à la pollution de l'environnement, à la crise économique, tout cela crée une insécurité, de l'angoisse, une peur de l'avenir chez les gens. Il y a donc un grand besoin de prêtres et de laïcs capables d'apporter à tous la joie de l'Evangile, comme prophétie d'un monde nouveau et comme boussole d'orientation sur le chemin de la vie. Nous sommes toujours un disciple, même quand on est diacre, prêtre ou évêque depuis de nombreuses années. Et le disciple doit toujours apprendre de l'unique Maître qui est Jésus.

Mais, à votre avis, cela vaut-il encore la peine de devenir prêtre aujourd'hui?

Malgré tout, cela vaut la peine de suivre le Seigneur sur ce chemin, de se laisser séduire par lui, de con-sacrer sa vie à Son projet. Nous pouvons nous tourner vers Marie, cette jeune fille de Nazareth qui, bien que bouleversée par l'annonce de l'Ange, a choisi de risquer l'aventure fascinante de l'appel, en devenant Mère de Dieu et Mère de l'humanité. Avec le Seigneur, rien n'est jamais perdu! Et je voudrais dire un mot à tous les prêtres, en particulier à ceux qui sont découragés ou blessés en ce moment: le Seigneur tient toujours ses promesses. S'il vous a appelés, vous ne manquerez pas de la tendresse de Son amour, la lumière de l'Esprit, la joie du cœur. Il se manifestera de nombreuses façons dans votre vie de prêtre. Je voudrais que cette espérance parvienne aux prêtres, aux diacres et aux séminaristes du monde entier, pour les réconforter et les encourager. Nous ne sommes pas seuls, le Seigneur est toujours avec nous! Et il veut que nous soyons heureux!

Andrea Monda