L'art du métier
« Le tissage nous met d'abord à l'écoute, il nous rend réceptives, ouvertes à accueillir ce que sont nos mouvements intérieurs. Dans la métaphore des fils, on peut tisser des liens, des histoires, partager des joies et des difficultés... autant d'éléments que je porte en moi dans la prière » : en suivant le fil d'une parole, l'inspiration d'un rayon de lumière, le silence de la nuit, le souvenir d'une rencontre, Patrizia Bagni tisse ses tapisseries. Elle utilise des pelotes de couleurs et de consistances différentes, rouge, orange, bleu, du raphia, de la laine, de la soie, de la corde, des fils de cuivre et de vieux collants, une graine d'avocat, un sachet de thé. Et puis de simples planches de bois en guise de cadre. C’est une moniale camaldule qui vit dans le monastère de Poppi en Toscane. Il y a plus de vingt ans, elle a découvert l'art ancien du métier à tisser, réinterprété comme une aide à la méditation. « C'est le fil qui me guide : je pars d'une idée, d'un sentiment que je veux exprimer, mais ensuite il se déroule tout seul, c'est un espace de liberté ». Elle n'aime pas les œuvres figuratives, mais avec des transparences et des couleurs, elle raconte ce qu'elle a « ruminé » : « Comme dans la tradition monastique, la "ruminatio" repose sur la Parole de Dieu, mais peut devenir également un mantra de la vie des autres, parce que tout est en présence de Dieu ».
Le tissage n'a pas de temps défini ni n'exige de discipline particulière : « Ce n'est pas un travail continu, il y a parfois des mois où il faut se détacher de l’œuvre », des temps différents où l'on court vite, à cause de l'urgence d’« écrire » ce qui « s'agite » en nous. S'agit-il d'une prière « féminine » ? « Je ne peux pas le dire et je ne sais pas si ce sont des caractéristiques féminines, ce qui est sûr c’est que la plupart du temps à mes cours de tissage il y a des femmes. J'ai aussi eu des tisserands masculins ... qui sont généralement plus schématiques et moins "doux" dans leurs lignes ».
La pratique méditative du tissage a été inventée par une autre femme, Katharina Shuppli, Suisse, protestante et amie de la communauté monastique de Camaldoli. « Elle m'a dit que je devais apprendre à vivre avec mes parties sombres, car la tapisserie met à nu la réalité intérieure, c'est aussi un travail d'introspection. Comme la lectio divina, elle nous interroge sur ce que nous voulons exprimer. C'est un processus de transformation ».
D'abord vécu comme pratique personnelle de méditation, la moniale s’est retrouvée à rendre son art « public » lors d'une foire à Bibbiena. Lors de la Fête de la femme dans le village, est organisée une exposition des anciens métiers féminins et une contribution est demandée au monastère ; elle propose alors ses tapisseries. « A partir de ce jour, j'ai commencé à les vendre et à enseigner, à donner des cours ».
C'est ainsi que sont nées les résurrections exposées sur l'autel de Saint-Joseph à Jesi et dans la paroisse de Casinalbo à Modène. Et aussi la petite tapisserie en fil d'or rouge et blanc offerte en don au Pape François lors de sa visite aux moniales camaldule à Saint-Antoine-Abbé, à Rome, le 21 novembre 2013.
Vittoria Prisciandaro
Journaliste à « Credere » et « Jesus » revues San Paolo