· Cité du Vatican ·

FEMMES EGLISE MONDE

Ce mois-ci
Le processus lancé par le Pape analysé par un vaticaniste

Démasculinisation,
le Magistère au banc d’essai

 Smaschilizzazione, Magistero alla prova  DCM-003
02 mars 2024

Le Pape François a entamé depuis longtemps une tentative de « démasculinisation » de l’Eglise. Comme pour d’autres réformes inaugurées par le Pape Bergoglio, il s’agit d’un processus en cours, dont l’issue est incertaine. Mais il représente certainement un pas en avant, non pas pour parvenir à une démocratisation des structures ecclésiales avec l’introduction de « quotas de femmes », mais pour incarner au mieux l’Evangile. Indépendamment du thème du pouvoir sacerdotal réservé aux hommes, il y a beaucoup de choses à mettre à jour. D’autant plus qu’atteindre l’égalité des sexes dans l’Eglise signifie donner naissance à une communauté « décléricalisée », dans laquelle les prêtres ne sont pas considérés comme détenteurs d’un pouvoir, mais comme ceux qui accomplissent un service.

Si l’on parle souvent de la volonté de François d’« élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Eglise » –  exprimée immédiatement dans Evangelii gaudium – beaucoup oublient que l’autre facette de cette ouverture est le dépassement d’une culture ecclésiale sexiste. « Pourtant, nous nous sommes rendu compte, surtout pendant la préparation et la célébration du Synode, que nous n’avons pas suffisamment écouté la voix des femmes dans l’Eglise », écrit le Pape dans la préface de l’ouvrage rédigé par divers auteurs « Smaschilizzare la Chiesa? Confronto critico sui “principi” di H.U. von Balthasar” (Démasculiniser l’Eglise? Confrontation critique sur les « principes » de H.U. von Balthasar), publié en janvier 2024.  Ajoutant, immédiatement après, qu’il est « nécessaire de s’écouter les uns les autres pour – justement – “démasculiniser” l’Eglise ». Un souhait exprimé en des termes semblables, en novembre 2023, en rencontrant la Commission théologique internationale.

S’ouvrir à la présence féminine dans l’Eglise et la démasculiniser sont des mouvements interdépendants. D’ailleurs, dans la réflexion du Pape, la nécessité d’abandonner l’approche centrée sur le masculin naît du chemin du Synode sur la synodalité qui, dans son Instrumentum laboris, appelle à « une plus grande reconnaissance et promotion de la dignité baptismale de la femme ». A la fin de la première session de l’assemblée, qui s’est tenue au Vatican en octobre dernier – la première de l’histoire où 54 femmes ont eu le droit de vote –, un rapport a été approuvé dans lequel il est indiqué que « de nombreuses femmes ont parlé d’une Eglise qui blesse » à travers « le cléricalisme, le sexisme et un usage inapproprié de l’autorité ». Un peu plus d’un mois plus tard, le 4 décembre, le Pape réunit le Conseil des cardinaux à Sainte-Marthe pour aborder la question du « rôle des femmes dans l’Eglise », en invitant deux théologiennes, Lucia Vantini et Linda Pocher, ainsi que le théologien Luca Castiglioni à offrir une contribution aux cardinaux présents. Des interventions publiées le mois suivant précisément dans l’ouvrage « Démasculiniser l’Eglise ? ».

Mais en plus de dix ans de pontificat, François a remis en cause à plusieurs reprises les stéréotypes sexistes. Dans une catéchèse sur la famille, en janvier 2015, il a lancé l’alarme sur le « sentiment d’être orphelins » que les jeunes éprouvent à cause de pères absents parce qu’ils sont occupés au travail, ou lorsqu’ils sont présents, incapables de s’acquitter de leur devoir éducatif. On ne compte plus les fois où il réprimandé les parents, en particulier les pères, qui ne trouvent pas le temps de « jouer avec leurs enfants » ou il leur a demandé d’être les « gardiens » du chemin de leurs enfants, comme saint Joseph avec Jésus.  C’est au charpentier de Nazareth, le saint préféré de François, qu’est dédiée la Lettre apostolique de 2020 Patris corde, dans laquelle les vertus paternelles sont la tendresse, la chasteté et l’hospitalité : des attitudes loin du cliché du pater familias.

En d’autres occasions, François a montré qu’il ne concevait pas de manière rigide la complémentarité entre les parents, en encourageant une vision non conventionnelle des tâches masculines. « C’est une idée simpliste que tous les rôles et les relations des deux sexes sont enfermés dans un modèle unique et statique », explique-t-il aux participants à une conférence en novembre 2014. Deux ans plus tard, dans Amoris laetitia, il affirme que « s’occuper de certains travaux de maison ou de certains aspects des soins aux enfants ne le rend pas (le mari) moins masculin ».

Le Pape est encore plus explicite en 2018 dans la lettre à l’écrivaine Maria Teresa Compte Grau. « Je suis préoccupé – écrit-il – par la persistance d’une certaine mentalité sexiste jusque dans les sociétés les plus avancées, (…) que dans l’Eglise elle-même, le rôle de service auquel tout chrétien est appelé, glisse parfois, dans le cas des femmes, vers des rôles de servitude ». Plus loin, il répète la nécessité d’une « recherche anthropologique renouvelée, (…) pour aller toujours plus profondément non seulement dans l’identité féminine, mais aussi dans l’identité masculine ».

François est également critique envers ceux qui considèrent les difficultés actuelles de la famille comme un effet de l’émancipation féminine. « C’est une forme de sexisme, qui veut toujours dominer les femmes », précise-t-il dans une catéchèse sur le mariage en avril 2015.  J’ai mentionné ces citations pour montrer que l’enseignement du Pape François promeut depuis toujours l’abandon d’une vision sexiste des relations familiales et ecclésiales, l’élaboration d’un nouveau modèle de masculinité, ainsi qu’une valorisation des femmes. Cependant, avant de renforcer la contribution des femmes, j’ai l’impression que le Magistère doit se rendre compte que l’égalité dans l’Eglise n’existe pas encore. Il doit se faire aider, en particulier par des théologiennes, pour combler le fossé entre les sexes et démasquer les langages idéalisants qui confirment les inégalités, afin d’édifier une Eglise qui soit véritablement le peuple de tous et de toutes. La réunion du C9 à Sainte-Marthe en décembre dernier va, je crois, dans la bonne direction.

Fabio Colagrande
Journaliste de Radio Vatican - Vatican News