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Le cardinal Raniero Cantalamessa prononce la première prédication de Carême

Quand les médias détruisent

 Quand les médias détruisent  FRA-009
29 février 2024

Aujourd’hui, malheureusement, il existe dans la société «des sortes de “dents” qui broient sans pitié, plus cruellement que les dents d'un léopard» dont parlait saint Ignace d’Antioche: ce sont «les “dents” des réseaux dits sociaux». C’est ce qu’a déclaré le cardinal capucin Raniero Cantalamessa ce matin, dans la salle Paul iv , lors de la première prédication de Carême, un temps de préparation à la Pâque.

Actualisant les paroles de l’évêque martyr Ignace d’Antioche — «Je suis le froment de Dieu et je dois être moulu sous la dent des bêtes, pour devenir le pain immaculé du Christ» —, le prédicateur de la Maison pontificale a expliqué que les médias «méritent tout le respect et l’estime» lors-qu’ils «signalent les distorsions de la société ou de l’Eglise», mais ils ne remplissent pas leur mission lorsqu’ils «s'acharnent contre quelqu’un pour des motivations qui leur sont propres, ou simplement parce qu’il n’appartient pas à leur camp». Tout cela «avec malice, avec une intention destructrice, non constructive. Malheureux celui qui finit dans ce hachoir à viande, qu’il soit laïc ou clerc», a-t-il déploré.

Dans ce cas, a ajouté Mgr Cantalamessa, «il est licite et nécessaire de faire valoir ses raisons dans les instances appropriées, et si cela n’est pas possible, ou si l’on voit que cela ne sert à rien», il ne reste plus au croyant qu’à «rejoindre le Christ flagellé, couronné d’épines et sur lequel on a craché». Dans la lettre aux Hébreux, a rappelé le cardinal, on peut lire cette exhortation aux premiers chrétiens qui peut aider en de telles occasions. C'est une chose «difficile et douloureuse dans le meilleur des cas, surtout si la famille naturelle ou religieuse est en jeu», mais la grâce de Dieu «peut faire — et a souvent fait — de tout cela une occasion de purification et de sanctification». Il s’agit d’«avoir confiance, qu’à la fin, comme ce fut le cas pour Jésus, la vérité triomphera du mensonge». Et elle triomphera mieux, «peut-être, par le silence que par l’autodéfense la plus agressive».

Une autre opportunité «à ne pas perdre, si nous voulons nous aussi être “moulus” pour devenir le froment de  Dieu» est celle d’«accepter d’être contredit, de renoncer à se justifier et de vouloir toujours avoir raison, alors que l’importance de la question ne l’exige pas». Ou encore, «supporter quelqu’un dont le caractère, la façon de parler ou de faire nous énerve, et le faire sans nous irriter intérieurement, en pensant plutôt que nous sommes peut-être nous aussi pour quelqu’un une telle personne». Il s’agit là de deux «terrains d’expérimentation» significatifs, en particulier pour ceux qui travaillent à la Curie romaine, «qui n’est pas une communauté religieuse ou matrimoniale, mais une communauté de service et de travail ecclésial», a fait remarquer le cardinal.

En substance, le but ultime de se laisser «moudre» n’est «pas de nature ascétique, mais mystique; ça ne sert pas tant à se mortifier qu’à créer la communion». C’est une vérité qui accompagne la catéchèse eucharistique depuis les premiers temps de l’Eglise. A cet égard, un discours de saint Augustin met en parallèle le processus qui «conduit à la fraction du pain qui est le corps eucharistique du Christ et le processus qui conduit à la formation de son corps mystique qui est l’Eglise». Entre les deux corps, «le corps eucharistique et le corps mystique de l’Eglise, il n’y a pas seulement similitude, mais aussi dépendance». Et c’est grâce au «mystère pascal du Christ à l’œuvre dans l’Eucharistie que nous pouvons trouver la force de nous laisser “moudre”, jour après jour, dans les petites et parfois les grandes circonstances de la vie». Le cardinal a développé le thème des prédications «Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je?» (Mt 16, 15), à partir du dialogue entre le Christ et les apôtres à Césarée de Philippe. La question de Jésus, a-t-il expliqué, ne doit pas être prise «dans le sens où cette question est habituellement comprise», c’est-à-dire comme si le Seigneur «s’intéressait à savoir ce que l’Eglise pense de lui, ou ce que nos études théologiques nous disent de lui». Elle doit être considérée de la même manière que «toute parole qui sort de la bouche de Jésus doit être prise, c’est-à-dire adressée, hic et nunc, à ceux qui l’entendent, individuellement, personnellement».

Pour mener à bien cet examen, assure le cardinal, un autre évangéliste, Jean, nous vient en aide. Dans son Evangile, en effet, «nous trouvons toute une série de déclarations de Jésus, le fameux Ego eimi, “Je suis”, par lequel il révèle ce qu’il pense, lui, de lui-même, qui il dit être: “Je suis le pain de vie”, “Je suis la lumière du monde”, et ainsi de suite». Au cours des futures prédications, le capucin passera en revue cinq de ces autorévélations afin de se demander à chaque fois «s’Il est vraiment pour nous ce qu’Il dit qu’Il est et comment faire pour qu’il le soit davantage».

Ce sera un moment, a-t-il ajouté, «à vivre d’une manière particulière». Non pas «en regardant vers l’extérieur, vers les problèmes du monde et de l’Eglise elle-même, comme on est obligé de le faire dans d’autres contextes, mais avec un regard introspectif», comme une «évangélisation pour évangéliser, en nous remplissant de Jésus» pour parler de Lui «par redondance d’amour».

Partant de la première de ces affirmations du Seigneur, «Je suis le pain de vie», le prédicateur a posé la question suivante: «Comment et où mange-t-on ce pain de vie? La réponse des pères de l’Eglise,  a souligné le cardinal,  est la suivante: en deux “lieux” ou de deux manières, «dans le sacrement et dans la Parole, c’est-à-dire dans l’Eucharistie et dans l’Ecriture». Il y a eu, a-t-il reconnu, «des accentuations différentes»: certains ont insisté  «davantage sur la Parole de Dieu», tandis que d’autres ont mis l’accent sur «l’interprétation eucharistique». Aucun d’entre eux, cependant, «n’a voulu parler d’une voie à l’exclusion de l’autre». On parle de la Parole et de l’Eucharistie comme de «deux tables» dressées par le Christ. Et cela est particulièrement évident dans la liturgie, où «leur synthèse a toujours été vécue pacifiquement».

C’est précisément à partir de là que le cardinal Cantalamessa a invité à «faire un pas en avant», qui consiste à «ne pas limiter la consommation de la chair et du sang du Christ à la seule Parole et au seul sacrement de l’Eucharistie, mais à la voir se réaliser à chaque instant et dans tous les aspects de notre vie de grâce». Jésus, en effet, «est le pain de la vie éternelle non seulement pour ce qu’Il donne, mais aussi — et avant tout — pour ce qu’Il est. La Parole et le Sacrement sont les moyens; vivre par Lui et en Lui est la fin». Tout le discours de Jésus, par conséquent, «tend à clarifier quelle est la vie qu’il donne: non pas la vie de la chair, mais la vie de l’Esprit», c’est-à-dire «la vie éternelle».