La réconciliation est bien plus qu'une paix apparente ou qu'une période de trêve. C'est dans cette optique que le gouvernement et les églises chrétiennes du Manipur, Etat tourmenté situé au nord-est de l'Inde, s'efforcent de rétablir un climat de coexistence sereine dans la société lacérée par une violence inter-ethnique ayant éclaté en mai 2023 et porteuse de profondes blessures.
Nongthombam Biren Singh, le premier ministre du Manipur, a présidé en janvier une rencontre avec les représentants de dix partis politiques pour faire face à la situation: «nous avons entamé des discussions constructives, qui reflètent un engagement commun afin d'œuvrer pour le bien-être de notre Etat», a-t-il affirmé, en rappelant l'objectif de «protéger la vie et les biens des citoyens» et de vouloir subvenir, avec l'aide du gouvernement fédéral, aux 60.000 déplacés, alors que les épisodes de tensions ne se sont pas apaisés dans le territoire et que des «zones tampons» entre les groupes en guerre, surveillées par l'armée, ont été crées pour séparer les combattants.
Si le gouvernement étatique a commencé à réfléchir et à préparer les premiers pourparlers informels de paix, la contribution «par le bas» des communautés chrétiennes ne manque pas. En effet, le même engagement pour la réconciliation anime les Eglises dans un Etat où les fidèles représentent environ 40% de la population. Après s'être consacrés à aider les déplacés et les familles des victimes à Noël (plus de 180 en plus de 3 mois d'affrontements interethniques), les chrétiens ont réussi à donner une sépulture digne à 87 membres des communautés ethniques Kuki et Zo.
Au Manipur, à la frontière birmane, où les vallées sont fertiles et les collines sont verdoyantes, on compte environ trois millions d'habitants; on dirait que la vie économique et sociale ordinaire a été et est bouleversée par une tempête. Et, si au cours des derniers mois les affrontements semblent s'être apaisés, la militarisation du territoire est bien réelle, et surtout, les causes profondes du conflit ne sont toujours pas résolues.
La violence a éclaté le 3 mai 2023 après la «Marche de solidarité tribale» organisée pour manifester contre la demande de la communauté Meitei d'obtenir le statut de «Scheduled Tribe», c'est-à-dire de «tribu répertoriée», qui leur accorde les prérogatives réservées aux groupes indigènes. Les Meitei représentent environ 53% de la population du Manipur et vivent majoritairement dans la vallée d'Imphal, la capitale de Manipur; les autres groupes tribaux, dont les plus nombreux, les Nage et les Kuki, représentent 40% de la population et sont installés dans les zones collinaires, caractérisées par des bois et des terrains agricoles. Le problème de fond touche la relation entre les Meitei — peuple de confession hindouiste — et les Kuki, minorité ethnique de confession chrétienne, comme la plupart des groupes tribaux. Avec la reconnaissance du statut de «communauté tribale» conférée par la Haute Cour de Manipur, les Meitei ont accès à un protection constitutionnelle concernant l'agriculture, la culture, la langue et l'identité de ces communautés historiquement plus désavantagées de l'Inde.
C'est le point de départ de la protestation des Kuki et des autres groupes tribaux (qui craignent que leurs territoires ne soient repris ou occupés), des premiers épisodes de violences, qui a dégénéré en conflit ouvert. Dans les récriminations réciproques, les Kuki accusent les Meitei d'avoir frappé les familles de leur communauté résidant à Imphal et dans les environs. Alors que, selon les Meitei, ce sont les participants à la marche des Kuki qui ont commis des actes de vandalisme et des agressions.
Neuf mois après ces affrontements, les deux groupes sont complétement séparés, l'un ayant l'interdiction de pénétrer dans les zones habitées par l'autre. La distance permet, pour le moment, l'absence de conflits. Mais ce n'est pas suffisant, observe le Forum interreligieux crée par Mgr Thomas Menamparampil, archevêque émérite de Guwahati, dans l'Etat limitrophe d'Assam. Maintenant que la tempête s'est apaisée, «il est urgent d'entamer des pourparlers de paix à l'échelle locale, en collaborant et en ouvrant le dialogue», affirme-t-il, souhaitant que, dans un premier temps, les secours et de l'aide humanitaire arrivent pour les réfugiés dans la région. Afin de favoriser le parcours vers de véritables pourparlers de paix, il est nécessaire d'avoir le soutien des différentes composantes de la société civile: le Forum attend et encourage des efforts similaires de la part de groupes de femmes, d'intellectuels, de chefs religieux et d'autres personnes de bonne volonté de chaque partie.
Paolo Affatato