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Entretien avec l'archevêque de Lviv à deux ans du début du conflit en Ukraine

Nous combattons non pas avec le fusil mais avec le chapelet

  Nous combattons non pas avec le fusil  mais avec le chapelet  FRA-008
22 février 2024

«Ce qui me donne de la force, de l'espoir et de la foi, c'est que je vois que la Divine Providence ne nous abandonne pas et qu'il y a tant de foi dans les gens». Deux ans après le début du conflit, l'archevêque de Lviv Mieczysław Mokrzycki, assure qu'en cette période sombre, toute l'Ukraine est enveloppée dans une chaîne de prière. «Nous sommes les combattants de Dieu, non pas avec le fusil, mais avec le chapelet. Pas sur le champ de bataille, mais à genoux devant le Saint-Sacrement».

Mgr Mieczysław Mokrzycki, à Lviv, les sirènes continuent de retentir et les bombardements de défigurer la ville alors que l’on s’approche du deuxième anniversaire de la guerre en Ukraine. Qu’est-ce que cela vous inspire?

Parmi les nombreuses paroles des pages de l'Evangile, je reste frappé par une déclaration de Jésus: «Il n'y a pas de bon arbre qui produise un fruit gâté, ni inversement d'arbre gâté qui produise un bon fruit. Chaque arbre en effet se reconnaît à son propre fruit». Ces paroles sont la voix de la vérité pour nous permettre de juger la conduite des personnes qui, en suivant le mal, deviennent des fruits amers pour les autres. Et même s'ils disent vouloir défendre et libérer, nous voyons que ce n'est pas le cas. Au lieu de la paix, ils engendrent la guerre. Au lieu de l'amour, ils engendrent la haine. Au lieu de la tranquillité, ils engendrent la peur. C'est leur fruit, amer et acide. Nous souffrons car, quelques décennies après la fin de la Seconde guerre mondiale, nous devons à nouveau défendre notre liberté et réfléchir au fait que les êtres humains ne peuvent pas ou ne savent pas se souvenir des horreurs que la guerre a laissées derrière elle. Nous, en revanche, nous nous souvenons parfaitement bien: pour beaucoup d'entre nous seulement comme une part de notre histoire, mais pour les plus anciens d’entre nous il s’agit d’une expérience personnelle.

Désormais, la guerre est devenue l'expérience personnelle de chacun. À quoi ressemble la vie quotidienne aujourd'hui?

Malheureusement, les activités militaires se poursuivent. Les missiles et les drones pleuvent sur les gens et les villes. Des soldats et des innocents sont tués. De nombreuses personnes sont blessées, privées de leur maison, de leurs moyens de subsistance et de leur travail. Tout cela engendre la peur, l'anxiété, l'incertitude. Beaucoup d'enfants, d'adultes et même de prêtres sombrent dans le désespoir, la dépression et la maladie mentale. Dans cette situation, l'Eglise s'engage à aider tout le monde. Nous aidons les soldats qui combattent par le biais du service d'aumônerie, nous organisons la distribution de nourriture, de médicaments, d'appareils et même l'achat de drones. Nous continuons à accueillir les personnes déplacées, à organiser l'aide humanitaire et à les envoyer dans les zones de guerre. Nous fournissons également de l’aide aux familles pauvres de nos paroisses. Nous organisons de nombreuses activités pastorales pour renforcer la foi et l'espoir en eux.

Comment aidez-vous les gens à avoir de l'espoir et de la force en ce moment?

Tout d'abord, nous invitons les fidèles à prier, encouragés par les mots de la lettre de Saint Jacques: «Quelqu'un parmi vous souffre-t-il? Qu'il prie». Sans aucun doute, nous avons fait l'expérience de la douleur de la guerre. C'est pourquoi la demande de l'apôtre est pour nous un appel et un devoir. C'est ce que nous pouvons donner aujourd'hui à nos proches et à toute l'Ukraine. Notre prière doit être comme l'encens qui n'a toujours qu'une seule direction, de la terre vers le ciel. Elle doit être le cri d'un seul cœur et d'un seul esprit. Le Pape François nous a également demandé: «Que les prières et les supplications qui montent vers le ciel aujourd'hui touchent l'esprit et le cœur des dirigeants du monde, afin qu'ils placent le dialogue et le bien de tous au-dessus des intérêts privés. S'il vous plaît, plus jamais de guerre!». Telle est l'intention de nos prières, qui se joignent à la voix du Saint-Père qui défend la liberté et la paix. C'est pourquoi, dans l'expérience de la souffrance, notre arme dans la lutte pour la paix est la prière. Nous sommes les combattants de Dieu, non pas avec un fusil, mais avec le chapelet. Pas sur le champ de bataille, mais à genoux devant le Saint-Sacrement. Nous embrassons ainsi tout le pays d'une chaîne de prières, en particulier pour ceux qui, sur la ligne de front de cette guerre insensée, luttent en notre nom et pour notre bien, pour la liberté de la patrie. C'est ainsi que nous apportons dans nos vies un sentiment de sécurité et de paix. Outre la prière, une autre dimension de l'espoir et de la force d'âme est la bonne parole. Aujourd'hui, les nouvelles qui nous parviennent de toutes parts n'apportent pas l'optimisme, mais très souvent l'horreur.

C'est pour cela que de nous jaillissent l'espérance et la consolation, une bonne parole et le soutien de l'esprit. Que les paroles du Seigneur Jésus «Portez les fardeaux les uns des autres» deviennent le devoir que nous devons accomplir, avec lequel nous devons aller les uns envers les autres. Telle est la preuve pour une attitude d'amour basée sur les actes. Nous devons nous situer dans cette réalité. François nous a dit: «Le miséricordieux est celui qui sait aussi s'identifier aux problèmes des autres». Et encore: «Que les œuvres de charité ne soient pas une façon de se sentir mieux, mais un moyen d'être solidaire des souffrances des autres, au risque de s'exposer et d'être mal à l'aise». Dans ces moments difficiles, c'est l'attitude que nous encourageons et que nous cherchons à adopter, afin que les gens voient nos bonnes actions et louent notre Père qui est aux cieux.

Mais où trouver l'espoir en ces temps sombres?

Ce qui me donne de la force, de l'espoir et de la foi, c'est de voir que la Divine Providence ne nous abandonne pas et qu'il y a tant de foi dans les gens. Un soldat a raconté ce qui lui est arrivé au front. Il a raconté que pendant les combats, ils n'avaient plus de munitions et qu'ils savaient que c'était fini. Ils ne pouvaient pas sortir des tranchées, car c'était la mort instantanée. Au bout d'un moment, ils ont commencé à se saluer et ont vu des soldats russes s'approcher d'eux. L'un des soldats ukrainiens, qui savait que ces jours-là aurait lieu l'enterrement de son oncle, également mort à la guerre, a prié: «Seigneur Dieu, fais quelque chose, car ma famille ne survivra pas à deux enterrements». Le soldat raconte qu'au bout d'un moment, les Russes se sont arrêtés, ont fait demi-tour et sont repartis. Pour lui et pour nous, c'est un miracle tangible, un signe de l'intervention de Dieu. Autre exemple: le frère d'un de nos prêtres travaille comme médecin au front et confie un jour à son frère: «Tu sais que je ne suis pas croyant, mais je sais que je suis encore en vie uniquement grâce à tes prières et à celles de tes collègues».

La prière devient-elle une force?

Dans ce moment particulièrement difficile que traverse l'Ukraine, nous voulons veiller devant la croix de notre Seigneur Jésus Christ. Aujourd'hui, face à la réalité de la guerre, nous avons encore plus besoin d'embrasser la Croix et de rester attachés à ce signe d'amour et de salut, signe de victoire de la vie sur la mort, de l'amour sur la haine, de la vérité sur le mensonge, de l'humilité sur l'égoïsme. Dans ce moment difficile, l'Ukraine a également besoin que la solidarité et la générosité perdurent.

Est-il important de continuer à être solidaire de l'Ukraine qui souffre?

Permettez-moi ici d'exprimer ma gratitude à tous les prêtres, personnes consacrées et fidèles de l'Eglise en Ukraine et à l'étranger, en particulier en Pologne, pour leur belle attitude d'amour. Cette attitude est l'Evangile vivant des bonnes actions. C'est la Pologne qui a montré au monde le visage divin de l'amour. L'attitude des Polonais a surpris les Ukrainiens, et ils sont conscients du grand cœur qu'ils leur ont montré, témoignant de leur véritable humanité et de leur christianisme. Enfin, je voudrais également demander que nous ne perdions pas ce visage divin de l'amour. Nous en aurons besoin pendant longtemps encore, même lorsque la paix tant attendue arrivera.

Beata Zajączkowska