· Cité du Vatican ·

Le Pape poursuit ses réflexions sur les vices et les vertus et parle de l’acédie en exhortant à avoir «la patience de la foi»

Pour vaincre le démon qui détruit la joie du «ici et maintenant»

 Pour vaincre le démon qui détruit la joie du «ici et maintenant»  FRA-007
15 février 2024

Chers frères et sœurs, bonjour!

Parmi les vices capitaux, il en est un qui est souvent passé sous silence, peut-être à cause de son nom que beau-coup ne comprennent pas: je veux parler de l’acédie. C’est pourquoi, dans le catalogue des vices, le terme acédie est souvent remplacé par un autre beaucoup plus usité: la paresse. En réalité, la paresse est plus un effet qu’une cause. Lorsqu’une personne est oisive, indolente, apathique, nous disons qu’elle est paresseuse. Mais, comme l’enseigne la sagesse des anciens pères du désert, la racine de cette paresse est souvent l’acédie, qui signifie littéralement, en grec, «manque de soin».

Il s’agit d’une tentation très dangereuse, qu’il ne faut pas prendre à la légère. La personne qui en est victime est comme écrasée par une pulsion de mort: elle éprouve du dégoût pour tout, sa relation avec Dieu lui paraît ennuyeuse, et même les actes les plus saints, ceux qui par le passé lui avaient réchauffé le cœur, lui semblent désormais tout à fait inutiles. La personne commence à regretter le temps qui passe et la jeunesse qui est irrémédiablement derrière elle.

L’acédie est définie comme le «démon de midi»: elle nous surprend au milieu de la journée, lorsque la fatigue est à son comble et que les heures à venir semblent monotones, impossibles à vivre. Dans une description célèbre, le moine Evagre représente ainsi cette tentation: «L’œil du paresseux cherche continuellement les fenêtres, et ses visiteurs habitent son esprit fantastique. […] Quand il lit, le paresseux bâille souvent et se laisse facilement gagner par le sommeil, il plisse les yeux, se frotte les mains et, détournant les yeux du livre, fixe le mur; puis, les tournant à nouveau vers le livre, il lit encore un peu [...]; enfin, baissant la tête, il dépose le livre en dessous, s’endort d’un sommeil léger, jusqu’à ce que la faim le réveille et le pousse à s’occuper de ses besoins»; en conclusion, «le paresseux n’accomplit pas avec sollicitude l’œuvre de Dieu»1.

Les lecteurs contemporains voient dans ces descriptions quelque chose qui rappelle beaucoup le mal de la dépression, tant d’un point de vue psychologique que philosophique. En effet, pour ceux qui sont saisis par l’acédie, la vie perd son sens, prier devient ennuyeux, chaque bataille semble dénuée de sens. Même si nous avons nourri des passions dans la jeunesse, elles nous paraissent aujourd’hui illogiques, des rêves qui ne nous ont pas rendus heureux. On se laisse alors aller et la distraction, l’absence de pensée, apparaissent comme les seules issues: on aimerait être hébétés, avoir l’esprit complètement vide... C’est un peu comme mourir de façon anticipée, et c’est triste.

Face à ce vice que l’on a découvert être si dangereux, les maîtres de la spiritualité envisagent divers remèdes. Je voudrais signaler celui qui me semble le plus important et que j’appellerais la patience de la foi. Bien que, sous le fouet de l’acédie, le désir de l’homme est d’être «ailleurs», de fuir la réalité, il faut au contraire avoir le courage de rester et d’accueillir dans mon «ici et maintenant», dans ma situation telle qu’elle est, la présence de Dieu. Les moines disent que la cellule est pour eux le meilleur maître de vie, parce qu’elle est le lieu qui te parle concrètement et quotidiennement de ton histoire d’amour avec le Seigneur. Le démon de l’acédie veut détruire précisément cette joie simple de l’ici et maintenant, cet émerveillement reconnaissant de la réalité; il veut te faire croire que tout est vain, que rien n’a de sens, qu’il ne vaut pas la peine de se préoccuper de rien ni de personne. Dans la vie, nous rencontrons des gens en proie à «l’acédie», des gens dont nous disons: «Mais comme il est ennuyeux!» et nous n’aimons pas être avec eux; des gens qui ont également une attitude d’ennui contagieux. Voilà ce qu’est l’acédie.

Combien de personnes, sous l’emprise de l’acédie, mues par une inquiétude sans visage, ont stupidement abandonné le chemin du bien qu’elles avaient emprunté! a lutte contre l’acédie est une bataille décisive, qu’il faut gagner à tout prix. Et c’est une bataille qui n’a épargné pas même les saints, parce que dans un grand nombre de leurs diaires, il y a des pages qui révèlent des moments terribles, de véritables nuits de la foi, où tout semblait obscur. Ces saints et ces saintes nous enseignent à traverser la nuit dans la patience en acceptant la pauvreté de la foi. Ils nous ont recommandé, sous l’oppression de l’acédie, de tenir une plus petite mesure d’engagement, de nous fixer des objectifs plus accessibles, mais en même temps de résister, de persévérer en nous appuyant sur Jésus, qui ne nous abandonne jamais dans la tentation.

La foi, tourmentée par l’épreuve de l’acédie, ne perd pas sa valeur. Bien au contraire, c’est la vraie foi, la foi très humaine qui, malgré tout, malgré l’obscurité qui l’aveugle, croit encore humblement. C’est cette foi qui reste dans le cœur, comme la braise reste sous la cendre. Elle reste toujours. Et si certains d’entre nous tombent dans ce vice ou dans une tentation d’acédie, qu’ils tentent de regarder à l’intérieur d’eux-mêmes et de conserver la braise de la foi: c’est ainsi que l’on va de l’avant.

1Evagre le Pontique, Des huit esprits de malice, 14.

Le Pape a ensuite ajouté les paroles suivantes:

Nous avons tous lu, nous avons entendu les histoires des premiers martyrs de l’Eglise, qui étaient nombreux. Ici, où se trouve à présent le Vatican, il y a un cimetière, et un grand nombre de ceux qui avaient été tués sont enterrés ici; en fouillant, on trouve leurs tombes. Mais aujourd’hui aussi, il y a beaucoup de martyrs dans le monde: beaucoup, peut-être plus qu’au début. Beaucoup sont persécutés à cause de leur foi. Et aujourd’hui, je me permets de saluer de façon spéciale un «martyr vivant», le cardinal Simoni. Lorsqu’il était prêtre, évêque, il a passé 28 ans en prison, dans les prisons de l’Albanie communiste, la persécution sans doute la plus cruelle. Et il continue à apporter son témoignage. Et comme lui, beaucoup, beaucoup, beaucoup. A présent, il a 95 ans et continue de travailler pour l’Eglise sans se décourager. Cher frère, je te remercie pour ton témoignage. Merci.

Aujourd’hui commence le Carême, préparons-nous à parcourir ce temps comme une occasion de conversion et de renouveau intérieur dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans le soin de nos frères qui en ont le plus besoin. Et n’oublions pas l’Ukraine martyrisée, la Palestine et Israël qui souffrent tant. Prions pour nos frères et sœurs qui souffrent à cause de la guerre. Allons de l’avant dans le processus de conversion, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans le soin de nous frères qui en ont besoin et continuons d’intensifier nos prières, surtout pour demander la paix dans le monde.

Parmi les pèlerins qui assistaient à l’audience générale, se trouvaient les groupes francophones suivants:

De France: Paroisse Notre-Dame de l’Assomption, d’Ormesson-sur-Marne; aumônerie de l’enseignement public de la Paroisse Saint-Gilles, de Bourg-la-Reine; ensemble scolaire Isaac de l’Etoile, de Poitiers; lycée Montalembert, de Courbevoie; pastorale des jeunes du diocèse de Créteil, avec S.Exc. Mgr Dominique Blanchet; foyer de Charité, de Chateauneuf-de-Galaure.

Je salue cordialement les pèlerins de langue française venus de Belgique et de France, en particulier le groupe de jeunes du diocèse de Créteil, accompagné par leur évêque.

Je vous invite, au début de ce Carême, à combattre le vice de l’acédie par l’enthousiasme de la foi, confiants dans la présence puissante de Jésus en nous.

Que Dieu vous bénisse!