«Peur, préjugé et fausse religiosité», voilà les «trois “lèpres de l'âme” qui font souffrir le faible et qui le rejettent comme un déchet». C'est ce qu'a dit le Pape lors de la Messe de canonisation de la bienheureuse María Antonia de San José de Paz y Figueroa, première sainte argentine, surnommée Mama Antula. Au cours de la célébration, qui a eu lieu le 11 février, vi e dimanche du temps ordinaire, dans la basilique Saint-Pierre, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante:
La première lecture (cf. Lv 13, 1-2.45-46) et l’Evangile (cf. Mc 1, 40-45) parlent de la lèpre: une maladie qui entraîne une destruction physique progressive de la personne et à laquelle, malheureusement, des attitudes de marginalisation sont encore souvent associées en certains lieux. Lèpre et marginalisation: ce sont deux maux dont Jésus veut libérer l’homme qu’il rencontre dans l’Evangile. Regardons sa situation.
Ce lépreux est contraint de vivre en dehors de la ville. Fragilisé par sa maladie, au lieu d’être aidé par ses compatriotes, il est livré à lui-même et souffre plus encore de l’éloignement et du rejet. Pourquoi? Par peur, avant tout la peur d’être contaminé et de finir comme lui: «Que cela ne nous arrive pas à nous aussi! Ne prenons pas ce risque, restons à distance». La peur. Par préjugé ensuite: «S’il est atteint d’une maladie aussi horrible, disait-on, c’est sûre-ment parce que Dieu le punit d’une faute qu’il a commise: s’il la mérite, c’est donc bien fait pour lui».
C’est le préjugé. Enfin, la fausse religiosité: à l’époque, en effet, on estimait que le fait de toucher un mort rendait impur, et les lépreux étaient des personnes dont la chair était «morte sur eux». Les toucher signifiait donc, pensait-on, devenir impur comme eux: il s’agit là d’une religiosité déformée, qui élève des barrières et qui étouffe la piété.
La peur, les préjugés et la fausse religiosité sont les trois causes d’une grande injustice, trois «lèpres de l’âme» qui font souffrir le faible et qui le rejettent comme un déchet. Frères et sœurs, ne pensons pas qu’il s’agisse seulement d’un passé révolu. Combien de personnes souffrantes rencontrons-nous sur les trottoirs de nos villes! Et combien de peurs, de préjugés et d’incohérences, même chez ceux qui croient et se disent chrétiens, continuent à les blesser davantage! Même à notre époque, il y a beau-coup de marginalisation, de barrières à faire tomber, de «lèpres» à guérir. Mais comment? Comment pouvons-nous le faire? Que fait Jésus? Jésus accomplit deux gestes: il touche et il guérit.
Premier geste: toucher. Jésus, à l’appel au secours de cet homme (cf. v. 40), éprouve de la compassion, s’arrête, tend la main et le touche (cf. v. 41), tout en sachant que, ce faisant, il deviendra à son tour un «rejeté». En plus, parado-xalement, les rôles seront inversés: le malade, une fois guéri, pourra aller voir les prêtres et être réadmis dans la communauté; Jésus, en revanche, ne pourra plus entrer dans aucun lieu habité (cf. v. 45). Le Seigneur aurait donc pu éviter de toucher cette personne, il aurait suffi de la «guérir à distance». Mais le Christ n’est pas ainsi, son chemin est celui de l’amour qui se fait proche de ceux qui souffrent, qui entre en contact, qui touche leurs blessures. La proximité de Dieu. Jésus est proche, Dieu est proche. Notre Dieu, chers frères et sœurs, n’est pas resté distant au ciel, mais en Jésus il s’est fait homme pour toucher notre pauvreté. Et face à la «lèpre» la plus grave, celle du péché, il n’a pas hésité à mourir sur la croix, hors des murs de la ville, rejeté comme pécheur, comme lépreux, pour toucher au plus profond notre réalité humaine. Un saint a écrit: «Il s’est fait lépreux pour nous».
Et nous, qui aimons et suivons Jésus, savons-nous nous approprier son «toucher»? Ce n’est pas facile, et nous devons être vigilants lorsque surgissent dans nos cœurs des instincts contraires à son «se faire proche» et à son «se faire don»: par exemple, lorsque nous nous éloignons des autres pour penser à nous-mêmes, lorsque nous réduisons le monde aux murs de notre «bien-être», lorsque nous croyons que le problème est toujours et seulement les autres... Dans ces cas-là, nous devons être vigilants, car le diagnostic est clair, il s’agit de la «lèpre de l’âme»: une maladie qui nous rend insensibles à l’amour, à la compassion, qui nous détruit par la «gangrène» de l’égoïsme, des idées préconçues, de l’indifférence et de l’intolérance. -Soyons également vigilants, frères et sœurs, car, comme les premières taches de la lèpre, qui appa-raissent sur la peau dans la phase initiale de la maladie, si l’on n’intervient pas immédiatement, l’infection se développe et devient dévastatrice. Face à ce risque, à la possibilité de cette maladie de notre âme, quel est le remède?
Nous sommes aidés par le deuxième geste de Jésus, qui guérit (cf. v. 42). En effet, son «toucher» n’indique pas seulement la proximité, mais il est le début de la guérison. Et la proximité est le style de Dieu: Dieu est toujours proche, compatissant et tendre. Proximité, compassion et tendresse. C’est le style de Dieu. Sommes-nous ouverts à cela? Parce que c’est en nous laissant toucher par Jésus que nous guérissons à l’intérieur, dans notre cœur. Si nous nous laissons toucher par lui dans la prière, dans l’adoration, si nous le laissons agir en nous par sa Parole et les Sacrements, son contact nous change vraiment, nous guérit du péché, nous libère des fermetures, nous transforme au-delà de ce que nous pouvons faire par nous-mêmes, avec nos efforts. Nos blessures
— celles de notre cœur et de notre âme — les maladies de l’âme, doivent être portées à Jésus: c’est ce que fait la prière; mais pas une prière abstraite, faite uniquement de formules à répéter, mais une prière sincère et vivante qui dépose aux pieds du Christ les misères, les fragilités, les faussetés, les peurs. Réfléchissons et posons-nous la question: est-ce que je laisse Jésus toucher ma «lèpre» pour qu’il me guérisse?
Au «toucher» de Jésus, en effet, le meilleur de nous-mêmes renaît: les tissus du cœur se régénèrent; le sang de nos élans créatifs recommence à couler plein d’amour; les blessures des erreurs du passé se cicatrisent et la peau des relations retrouve sa consistance saine et naturelle. Ainsi, la beauté que nous avons, la beauté que nous sommes, la beauté d’être aimés par le Christ revient, nous redécouvrons la joie de nous donner aux autres, sans peurs et sans préjugés, libres des formes de religiosité anesthésiante qui sont privées de la chair de nos frères et sœurs; la capacité d’aimer, au-delà de tout calcul et de toute convenance, reprend force en nous.
Alors, comme le dit une belle page de l’Ecriture (cf. Ez 37, 1-14), de ce qui semblait être une vallée d’ossements desséchés, des corps vivants se lèvent et un peuple de sauvés, une communauté de frères, renaît. Mais il serait trompeur de penser que ce miracle nécessite des formes grandioses et spectaculaires pour s’accomplir. Il se produit surtout dans la charité cachée de tous les jours: celle qui se vit en famille, au travail, dans la paroisse et à l’école; dans la rue, dans les bureaux et les magasins; celle qui ne cherche pas la publicité et qui n’a pas besoin d’applaudissements, parce que à l’amour suffit l’amour (cf. S. Augustin, Enarr. in Ps. 118, 8, 3). Jésus le souligne aujourd’hui lorsqu’il ordonne à l’homme guéri de «ne rien dire à personne» (v. 44): proximité et discrétion. Frères et sœurs, c’est ainsi que Dieu nous aime, et si nous nous laissons toucher par Lui, nous pouvons nous aussi, par la force de son Esprit, devenir des témoins de l’amour qui sauve!
Et aujourd’hui, nous pensons à María Antonia de San José, «Mama Antula». C’était une pèlerine de l’Esprit. Elle a parcouru des milliers de kilomètres à pied, à travers les déserts et les routes dangereuses, pour porter Dieu. Aujourd’hui, elle est pour nous un modèle de ferveur et d’audace apostolique. Lors de l’expulsion des Jésuites, l’Esprit a allumé en elle une flamme missionnaire basée sur la confiance en la Providence et la persévérance. Elle invoque l’intercession de saint Joseph et, pour ne pas trop le fatiguer, celle de saint Gaétan de -Thiène. Pour cette raison, elle a donc introduit la dévotion à ce dernier et sa première image arriva à Buenos Aires au xviiie siècle. Grâce à Mama Antula, ce saint, intercesseur de la Divine Providence, est entré dans les maisons, les quartiers, les transports, les magasins, les usines et les cœurs, pour offrir une vie digne par le travail, la justice et le pain quotidien sur la table des pauvres. Prions aujourd’hui María Antonia, Sainte María Antonia de Paz de San
José, pour qu’elle nous aide beaucoup. Que le Seigneur nous bénisse tous.