Les premières semaines de l’année sont toujours le moment de dresser un bilan de celle qui vient de s’écouler, mais aussi des prévisions pour celle à venir.
L’année a été marquée, en particulier, par le conflit sanglant entre Israël et le Hamas, qui a provoqué une tragédie humanitaire dans la bande de Gaza. Une guerre — qui avec l’invasion militaire russe irrésistible en Ukraine et les violences au Soudan — s’inscrit dans un cadre géopolitique mondial de conflits enflammés, qui pose de nombreux défis au monde, notamment sur le plan de la sécurité, tandis qu’entre temps, d’autres crises dramatiques sont apparues — définies par le Pape François comme «la troisième guerre mondiale par morceaux», mais qui sont souvent passées inaperçues dans les médias — qui risquent de s’aggraver au cours de l’année 2024. Avec le danger de laisser des millions de personnes sans nourriture, abris, soins médicaux ni aides humanitaires. Une guerre qui ne signifie pas seulement des armes, la mort et la destruction, mais aussi des migrations, la famine et des droits humanitaires violés.
Le Soudan et la Birmanie sont encore le théâtre de deux terribles conflits civils, provoquant de vastes atrocités et crimes de guerre. Les deux pays sont précipités dans un abîme de violence dont il semble très difficile de sortir aujourd’hui. Au Soudan, devenu la plus grande crise de personnes déplacées dans le monde, les combats ininterrompus entre l’armée nationale et les forces paramilitaires de soutien rapide ont placé plus de la moitié du pays dans une situation de besoin d’aide humanitaire et ont forcé environ 6 millions de personnes à fuir.
Outre la dramatique situation au Soudan, c’est en Afrique que l’on trouve la majorité des «points chauds» potentiels, à commencer par les trois pays de ce que l’on appelle la «ceinture de coups d’Etat», c’est-à-dire ceux guidés par des juntes militaires: le Burkina Faso, le Mali et le Niger, mais aussi le Gabon. L’armée burkinabée est en difficulté face à une vague d’attaques islamistes, avec diverses factions qui contrôlent plus de la moitié du pays. Au Mali et au Niger, où l’on enregistre des dynamiques semblables, l’insécurité croissante et l’épuisement des aides étrangères plongent des millions de personnes dans la malnutrition. Parmi les autres pays à surveiller de près figure la Somalie, où les insurgés djihadistes d’al-Shabaab continuent d’opérer, dans le but de créer un Etat islamique-fondamentaliste dans la Corne d’Afrique, et l’Ethiopie, déjà théâtre d’un long conflit avec l’Erythrée voisine, confrontée depuis 2020 à une guerre interne avec la région du Tigré et à un conflit inter-ethnique dans l’Oromia.
L’an dernier, à cause de conflits de différentes natures, on a dénombré 40 millions de déplacés et réfugiés en Afrique; un chiffre qui ne semble pas destiné à baisser en 2024. Selon une recherche du Centre africain pour les études stratégiques, plus de 149 millions d’Africains sont frappés par la crise alimentaire, et 82% d’entre eux vivent dans des pays en guerre. Un chiffre qui a augmenté de 150% par rapport à 2019.
Les autres régions particulièrement sensibles du Continent, sont la République centrafricaine, l’est de la République démocratique du Congo et la Libye. Il en va de même pour le Mozambique, déstabilisé par les attaques constantes de groupes armés et les contre-offensives de l’armée; le Nigéria, toujours dans la ligne de mire des extrémistes de Boko Haram, et le Cameroun, traversé par de fortes tensions entre anglophones et francophones.
La situation demeure également très grave en Syrie, qui s’apprête à vivre sa treizième année de guerre, dont les civils sans défense en subissent les conséquences les plus lourdes. Toujours en Asie, l’incendie le plus violent fait rage en Birmanie, où la junte militaire au pouvoir affronte une vaste offensive lancée par une coalition de milices rebelles. L’attention demeure également vive au Yémen, avec des conséquences toujours plus dramatiques, surtout pour les enfants; dans l’Etat indien du Manipur et en Afghanistan, à nouveau sous la coupe des talibans depuis août 2021, qui imposent des mesures toujours plus drastiques contre les femmes, tandis que le pays s’enfonce dans la pauvreté et la faim.
Un monde qui demeure également sous la pression constante des conséquences des changements climatiques. L’année 2023 a été en effet une année de chaleur record et de phénomènes météorologiques extrêmes à répétition, qui ont révélé la gravité et l’accélération de l’urgence climatique dans tous les continents. Parmi les épisodes catastrophiques rappelons, en septembre dernier, les pluies torrentielles en Libye, qui ont provoqué l’effondrement des barrages et des inondations soudaines qui ont balayé la ville de Derna, au nord-est du pays, faisant plus de 11.000 victimes.
Selon les prévisions des experts, en 2024 aussi, certains de ces scénarios se poursuivront, et un grand nombre des crises déjà en cours sont destinées à empirer, entraînant une augmentation toujours plus grande des régions du monde frappées par la sécheresse. Et le manque ou l’insuffisance de ressources hydriques représentent un facteur aggravant dans les zones de guerre, augmentant la dangerosité d’un conflit.
Les dix pays de la watchlist établie par le Comité international de la Croix Rouge représentent 86% de toutes les personnes ayant besoin d’aides humanitaires dans le monde. Derrière l’instabilité politique dans de nombreux pays se cache le spectre d’une planète qui se réchauffe, car la sécheresse et les autres chocs climatiques frappent certaines des communautés les plus vulnérables du monde. Il y a trois décennies, 44% des conflits avaient lieu dans des Etats vulnérables du point de vue climatique, tandis qu’à présent ce pourcentage est passé à 67%. En effet, selon des sources convergentes, 300 micro-conflits sont déjà en cours dans le monde pour la possession ou le contrôle de l’eau, l’«or bleu». Un exemple le plus significatif est le barrage de la Renaissance en Ethiopie, qui contrôle le flux des eaux du Nil (blanc) qui traverse le Soudan, mais surtout, qui conditionne les ressources hydriques en Egypte.
De nombreux foyers de tension sont également présents dans les Amériques, dont le point culminant dans la région est Haïti, contrôlée par des gangs criminels, et dont l’Etat est au bord de l’effondrement après l’assassinat du président Jovenal Moïse en 2021. Une autre situation explosive est le grave différend territorial sur l’Essequibo, une région qui constitue les deux-tiers de l’Etat de Guyana, riche en pétrole et en ressources minérales. Un récent referendum qui s’est tenu au Vénézuéla, et qui a vu le oui l’emporter, revendique la souveraineté sur ce territoire, au centre d’un différend qui dure depuis près de 200 ans. Le Brésil, qui a une frontière avec les deux pays, a déjà renforcé le nombre de militaires le long des frontières, craignant une possible escalade et le début d’un conflit armé. Des interrogations subsistent sur la Colombie, toujours sous l’emprise des cartels de la drogue et zone de transit pour d’immenses flux migratoires vers les Etats-Unis. (francesco citterich)
Francesco Citterich