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FEMMES EGLISE MONDE

Témoignages
Une dominicaine raconte son choix de la vie de clôture

En clôture? Pour être libre

 In clausura?   Per esser libera  DCM-002
03 février 2024

Récemment, après m'avoir posé de nombreuses questions sur notre vie au monastère, une jeune fille s'est exclamée: «Je n'appellerais pas cela une clôture, mais une communauté! Avec son intuition lumineuse, Anna, 22 ans, a pu résumer ce qu'elle avait presque touché du doigt ce jour-là, alors qu'elle était avec nous. «Vous avez vu juste! –  me suis-je exclamée – , notre vie, c'est justement cela: une communauté!»

Pour ma part, lorsqu'il y a vingt-cinq ans j'étais arrivée au seuil de la vie contemplative, timidement et par hasard – ayant reçu l'adresse du site du monastère dans ma boîte aux lettres électronique sans l'avoir cherchée –,  je lui avais moi aussi donné un nouveau nom. En fait, j'avais perçu le cloître comme une véritable «ouverture»: les regards, les gestes, la mentalité des moniales, je les voyais partout. Elles dépassaient les limites du monastère et s'ouvraient au monde d'une manière inattendue et créative. Si réelle et si vivante! J'ai été profondément impressionnée. Fascinée. Ce n'était pas du tout des personnes inadaptées ou démodées! Devant moi se tenaient de vraies femmes. Pour mon regard curieux, attentif et interrogateur, ce n'était pas rien. J'aurais pu trouver des femmes ascétiques, des personnes spirituelles, certes, mais trop «éthérées», trop éloignées de mon monde, trop différentes. Au contraire, j'ai découvert, à ma joyeuse surprise, que ces femmes avaient vécu des situations semblables aux miennes dans le passé. Elles avaient «goûté» à la vie ordinaire des personnes communes et l'avaient trouvée excitante, merveilleuse, attirante. Mais elles avaient choisi, à un moment donné, simplement et sans faire de bruit, de quitter des routes désirables pour un chemin qu'elles percevaient comme encore plus séduisant. Elles s'étaient laissé trouver par l'infini et l'avaient embrassé. Elles ne s'étaient pas contentées de ce qu'elles avaient déjà trouvé: leur plénitude était ailleurs. C'est là qu'il fallait aller. Ce choix, je le voyais bien, leur avait permis de s'épanouir.

Ces femmes, si étrangement réelles, si vivantes, sont allées à contre-courant. C'étaient des personnes normales! Je n'aurais pas eu de mal à les voir comme des épouses et des mères. Elles étaient capables de s'émouvoir, de jouer, de rire et de pleurer. Elles connaissaient le monde mieux que moi. Mais elles avaient un atout supplémentaire. Que j'ai bien perçu en respirant, pendant ces cinq jours de décembre 1998 où je suis venue au monastère pour une retraite de jeunes et où j'ai partagé leur vie, un espace intérieur immense et ouvert. Voilà: la clôture, ce terme si désuet, devenait à présent pour moi liberté. Un lieu vital d'intimité avec Dieu et d'accueil mutuel entre les personnes. Un espace où écouter la Parole pour se laisser guider par sa lumière dans les actes quotidiens de l'existence. Une piste sur laquelle donner libre cours à mes rêves pour les faire s'envoler derrière l'immense créativité de Dieu.

C'est ainsi qu'à l'âge de vingt-sept ans, je me suis lancée dans l'aventure avec un «certain» Seigneur qui, depuis la Croix, m'avait communiqué son amour silencieux mais tangible et sans limite pour toute créature. Sa tendresse infinie. Son regard m'avait saisie: je ne pouvais plus l'oublier. J'avais été séduite par sa douceur. Et je voulais vivre comme ces femmes jugées folles par le monde, mais si en avant, si modernes, si vivantes à mes yeux.

C'est en 2001 que j'ai franchi la porte du monastère dominicain de S. Maria della Neve, à Pratovecchio (Arezzo). J'ai emporté tout le monde en moi, avec le désir d'entrer ensemble dans le cœur de Dieu. En effet, la vie contemplative semble tout d'abord séparer des liens d'affection, mais en réalité elle unit plus profondément. Et de manière indissoluble. A Dieu et à tous ses enfants bien-aimés. A toutes les femmes et à tous les hommes de la terre. En commençant par les personnes aimées. Puis à chaque arbre, à chaque fleur, au ciel bleu, aux  rivières; au vent, aux branches, aux feuilles, aux papillons, aux étoiles. A toute la création.

A l'époque, il y avait encore la fameuse grille de fer qui séparait les hôtes des sœurs dans le parloir monastique. Le monastère, d'autre part, est une image vivante de cette «cellule du cœur» dont Sainte Catherine de Sienne parle si souvent dans ses écrits: un lieu de recueillement avec le Seigneur que toute personne devrait protéger. La moniale a besoin d'un espace intérieur de liberté et d'intimité avec Dieu. Comme toute épouse authentique. Mais la véritable clôture, dit Catherine, c'est «le côté du Christ» (cf. Lettre 75). Tel est le vaste espace dans lequel la contemplative se réfugie. Elle y puise cet amour sans limites qui ne la ferme pas aux autres, mais qui fait d'elle un authentique canal de vie et de grâce pour tous. Un instrument de la tendresse de Dieu. Par la prière, tout d'abord.

En ce sens, les moniales de Pratovecchio faisaient déjà l'expérience d'une «proximité» avec les vies de chacun. Dieu est un amoureux de la vie. Comment ne pas l'être si l'on choisit de répondre à son appel à devenir un intercesseur vivant pour le monde? La contemplative dominicaine, au cœur de l'Ordre et de l'Eglise, intercède pour tous. Elle soutient l'évangélisation par sa prière.

Cependant nous ne sommes pas entrées au monastère simplement pour dire des prières, mais pour la raison suivante: «C'est pour cela que vous êtes réunis en communauté, habitez unanimes dans la maison et ayez une seule âme et un seul cœur, tendus vers Dieu» (Règle de saint Augustin I, 3). La communion de vie est pour nous une véritable forme d'objection de conscience contre les guerres et les divisions qui blessent l'histoire: nous essayons de vivre entre nous ce que nous rêvons pour le monde. Et nos petits gestes d'accueil mutuel et d'amour deviennent prière vivante, intercession continue, participation active à la laborieuse conquête de la paix entre les peuples. Nous prenons toutes les décisions importantes ensemble au chapitre, qui est l'assemblée des moniales professes solennelles de la communauté. C'est le lieu vital où nous faisons l'expérience authentique de l'Esprit Saint. C'est là que chaque sœur s'exprime en toute liberté, parce que Dieu met en chacune un rayon de sa lumière. Ce n'est qu'ensemble, et avec la contribution de chacune, que nous pouvons connaître son projet pour nous. Dans cet effort d'écoute mutuelle, l'Esprit nous visite et nous surprend, nous ouvrant à de nouvelles perspectives et à des choix souvent impensables. C'est le chemin de Dieu, qui dépasse chaque sœur, mais dans lequel chacune se retrouve finalement. Car «c'est dans sa volonté que se trouve notre paix». (Paradis III , 85).

Cette spiritualité synodale que saint Dominique de Guzmán, fondateur de l'Ordre des Prêcheurs, nous a transmise dès le XIIIe siècle, est d'une étonnante actualité. C'est un défi qui n'est pas toujours facile et qui a souvent besoin de beaucoup de temps. Mais c'est une expérience de Dieu. De sa Présence parmi nous.

Femmes d'âges, de milieux, de tempéraments et de cultures différentes, nous avons un jour commencé à rêver ensemble d'un espace plus adapté à la vie monastique de notre temps. Nous avons quitté un ancien monastère datant de 1568, au centre de la ville, pour construire un bâtiment ouvert à la nouveauté, à la vie, aux personnes, alliant simplicité, praticité et beauté. Une structure sans barrières architecturales où chaque sœur, de tout âge et de toute condition physique, pourrait suivre la communauté à tous les moments et dans tous lieux de la vie quotidienne. Un lieu plongé dans la nature, dont le cloître n'est pas fermé mais embrasse l'horizon, parce que la vie monastique nous rend les sœurs de tous. Un monastère sans grilles, pour mettre au centre la communion, l'accueil et le fait d'être Eglise. C'est ainsi que le Seigneur a fait de nous une «maison» où les peuples se rencontrent. Et dans le défi quotidien de la diversité, ils apprennent à se respecter et à vivre ensemble. S'accueillir et s'aimer les uns les autres.

Mirella Soro
Moniale dominicaine

#sistersproject