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Semaine de prière pour l’unité des chrétiens

Prémisses et promesses d’un dialogue

 Prémisses et promesses d’un dialogue  FRA-004
25 janvier 2024

La Commission mixte internationale de dialogue théologique entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales célèbre cette année son 20e anniversaire. A cette occasion, le Pape François recevra les membres de la Commission en audience privée le 26 janvier, ainsi qu’une délégation de jeunes prêtres et moines des Eglises orthodoxes orientales. L’anniversaire sera également marqué par un acte académique à l’Institut d’études œcuméniques de l’Angelicum le 23 janvier, au cours duquel sera présenté un livre commémoratif publié par le Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens.

Déclarations christologiques

Le début du dialogue entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales — Eglises qui ne reconnaissent que les trois premiers conciles œcuméniques et qui, pour cette raison, sont également appelées «pré-chalcédoniennes» — a été le résultat de nombreuses rencontres, officielles et officieuses, dans le sillage du Concile Vatican ii. Les consultations non officielles entre théologiens catholiques et orthodoxes orientaux, organisées à l’initiative de la Fondation Pro Oriente à Vienne, en Autriche, entre 1971 et 1978, ont joué un rôle essentiel. La fameuse «formule de Vienne», accord christologique conclu par des théologiens lors de la première consultation en 1971, a permis de surmonter la controverse millénaire qui avait surgi autour du concile de Chalcédoine (451).

Cette «formule» a inspiré les déclarations christologiques signées lors des rencontres historiques entre les papes successifs et les chefs des différentes Eglises orthodoxes orientales: avec le patriarche syro-orthodoxe Ignace Yacoub iii en 1971, avec le pape copte orthodoxe Chenouda iii en 1973, avec le patriarche syro-orthodoxe Ignace Zakka i Iwas en 1984, avec le catholicos orthodoxe syro-malankare Mathews i en 1990, avec le catholicos arménien Karékine i -d’Etchmiadzine en 1996 et avec le catholicos arménien Aram i de Cilicie en 1997. Ces rencontres ont parfois débouché sur la création de commissions mixtes bilatérales de dialogue théologique. Ainsi, en 1973, une commission de dialogue a été créée entre l’Eglise catholique et l’Eglise copte orthodoxe, qui fut active de 1974 à 1979 et de 1988 à 1992. De même, des commissions entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes malankares furent créées à la fin des années 1980 et sont toujours actives aujourd’hui.

Un dialogue avec une «famille» d’Eglises

Sur la base de ces dialogues et accords bilatéraux, il fut possible d’établir une commission avec l’ensemble de la famille des Eglises orthodoxes orientales. Un comité préparatoire s’est réuni à Rome du 27 au 29 janvier 2003 sous la coprésidence du cardinal Walter Kasper et du métropolite copte orthodoxe Anba Bishoy, établissant les règles d’adhésion, le plan de travail, l’ordre du jour, les procédures, la méthodologie et le calendrier du dialogue. L’année suivante, du 27 au 30 janvier 2004, la première réunion de la Commission se tint au Caire, en Egypte, consacrée à l’examen des nombreuses réunions et études qui avaient eu lieu entre les représentants de l’Eglise catholique et des Eglises orthodoxes orientales au cours des trente années précédentes.

Depuis cette première réunion, dix-neuf sessions plénières annuelles ont eu lieu entre 2005 et 2024, accueillies alternativement (à la seule exception de celle de 2021, tenue en ligne en raison de la pandémie) par l’Eglise catholique à Rome (2005, 2007, 2009, 2011, 2013, 2015, 2017, 2019, 2022 et 2024) et l’une des Eglises orthodoxes orientales (Eglise orthodoxe copte: 2004, 2016 et 2023; Eglise apostolique arménienne — -Etchmiadzin: 2006 et 2018; Eglise syro-orthodoxe: 2008 et 2020; Eglise apostolique arménienne — Antelias: 2010; Eglise orthodoxe éthiopienne Tewahedo: 2012; Eglise orthodoxe syro-malankare: 2014; l’Eglise orthodoxe érythréenne, dont la participation a été irrégulière, n’ayant pas encore accueilli de réunion). Chacune des sept Eglises orthodoxes orientales participant au dialogue est représentée par deux membres, dont au moins un évêque. L’Eglise catholique est représentée par un nombre égal de quatorze membres, dont des représentants des Eglises orientales catholiques correspondantes et des théologiens spécialisés dans les traditions orthodoxes orientales.

Trois documents ecclésiologiques

Le dialogue a jusqu’à présent adopté trois importants documents de nature ecclésiologique, reflétant la richesse des traditions chrétiennes représentées au sein de la Commission: copte, syriaque, arménienne, malankare, éthiopienne, érythréenne et latine. La première phase du dialogue a abouti en 2009 à l’approbation d’un document intitulé Nature, Constitution et Mission de l’Eglise, portant sur quelques questions ecclésiologiques fondamentales: le mystère de l’Eglise, les évêques dans la succession apostolique, la relation entre synodalité et primauté, et la mission de l’Eglise. Dans leur conclusion, les membres de la Commission notaient avec satisfaction «une large base d’accord sur les questions fondamentales d’ecclésiologie entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales» (§67).

La deuxième phase s’est achevée en 2015 avec l’adoption d’une étude intitulée L’exercice de la communion dans la vie de l’Eglise primitive et ses répercussions sur notre quête de la communion aujourd’hui. Ce document examine les diverses expressions de la communion entre les Eglises au cours des cinq premiers siècles: échange de lettres et de visites, synodes et conciles, prière commune et échange de pratiques liturgiques, reconnaissance mutuelle du martyre, monachisme, vénération des saints et pèlerinages. Les membres de la commission concluaient que «la pleine communion qui existait entre les Eglises s’exprimait de multiples façons dans un vaste réseau de relations fondées sur la conviction commune que toutes les Eglises partageaient la même foi» (§69), notant aussi que «dans une large mesure, la communication qui existait entre leurs Eglises dans les premiers siècles a été ravivée ces dernières années» (§73).

Une troisième phase de dialogue a conduit à l’adoption en 2022 d’un document intitulé Les sacrements dans la vie de l’Eglise. Il s’agit du premier document de consensus œcuménique sur le septénaire sacramentel. Après un chapitre consacré à la définition des sacrements en général, le document décrit chacun des sept sacrements, en analysant les développements historiques, la pratique actuelle dans les différentes Eglises et les questions qui doivent encore être étudiées. Le document conclut en affirmant qu’«il existe un large consensus entre nos Eglises, tant dans la théologie que dans la pratique des sacrements» (§ 49).

La phase actuelle du dialogue se concentre sur la mariologie, sujet particulièrement prometteur non seulement parce qu’il est considéré, au moins depuis le concile d’Ephèse (431), comme la pierre de touche de l’orthodoxie chrétienne, mais aussi parce qu’il se situe à l’intersection de la christologie — qui est son terrain naturel —, de l’ecclésiologie, de la sotériologie et de l’anthropologie.

Une méthodologie pionnière

La méthodologie du dialogue entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes orientales est pionnière à trois égards. Sa première caractéristique est l’application, dès le début, d’une approche «herméneutique» que l’on peut qualifier de «consensus différencié» avant la lettre. Cette approche a permis de résoudre la longue controverse christologique en reconnaissant qu’une même foi peut être exprimée de diverses manières. Comme le souligne clairement la déclaration commune de 1990 avec l’Eglise orthodoxe syro-malankare: le contenu de notre foi «est le même», même si «dans la formulation de ce contenu, au cours de l’histoire, sont apparues des différences de terminologie et d’accentuation»; néanmoins «ces différences sont telles qu’elles peuvent coexister dans la même communion et donc ne doivent pas ou ne devraient pas nous diviser» (§8). Cette capacité à concevoir l’unité dans la différence s’explique par la diversité de la famille orthodoxe orientale elle-même. Comme le note la Commission dans son premier document: «Enracinée dans la diversité des contextes culturels, sociaux et humains, l’Eglise assume différentes expressions théologiques de la même foi et différentes formes de disciplines ecclésiastiques, de rites liturgiques et d’héritages spirituels dans toutes les parties du monde. Cette richesse montre avec d’autant plus de splendeur la catholicité de l’Eglise une» (§ 20).

Une deuxième caractéristique du dialogue avec les Eglises orthodoxes orientales est sa dimension pastorale. Cette approche a conduit à la signature d’accords pastoraux qui n’ont pas d’équivalent dans les autres relations œcuméniques de l’Eglise catholique, tant en Orient qu’en Occident. On peut, par exemple, mentionner l’accord signé en 1984 entre Jean-Paul ii et le patriarche syro-orthodoxe Zakka i Iwas autorisant les fidèles à recevoir les sacrements de la pénitence, de l’eucharistie et de l’onction des malades dans les deux Eglises dans certaines circonstances, ainsi que l’accord sur les mariages mixtes signé en 1994 avec l’Eglise syro-orthodoxe malankare. Cette dimension pastorale est évidente dans le dernier document de la Commission, dont la troisième partie est consacrée à des conclusions recommandant une coopération pastorale plus étroite entre les Eglises, y compris dans le domaine sacramentel. Cette préoccupation est également illustrée par l’initiative de la Commission d’organiser des visites d’étude réciproques pour jeunes prêtres, afin d’impliquer les pasteurs actifs dans les communautés locales dans la démarche œcuménique.

Un modèle «communionel»

Enfin, une troisième caractéristique de ce dialogue est son ouverture à un modèle ecclésiologique de restauration de l’unité que l’on peut qualifier de «communionel». Héritiers d’Eglises nées avant l’émergence d’une hiérarchie claire entre les différents sièges, les orthodoxes orientaux se considèrent comme une «famille» d’Eglises, une famille en communion de foi et de sacrements, mais sans centre administratif ni même primauté symbolique. Cette perception est héritée de l’expérience de l’Eglise primitive: comme le souligne le deuxième document de la Commission, au cours des cinq premiers siècles, les expressions de la communion entre les Eglises «n’avaient rien de formel, en ce sens qu’elles ne s’inscrivaient pas dans le cadre de structures claires» et «tendaient à se produire principalement au niveau régional; il n’existait aucun point de référence central clair» (§ 71). Cette observation est importante pour la recherche actuelle d’un modèle pour rétablir la pleine communion avec ces Eglises, modèle qui ne peut être exprimé seulement en termes juridiques, mais sur la base d’une ecclésiologie de koinonia.

Approche herméneutique, di-mension pastorale, modèle de communionel: trois caractéristiques méthodologiques du dialogue avec les Eglises orthodoxes orientales qui se rapportent aux trois dimensions dans lesquelles l’unité chrétienne doit être réalisée: dans la foi, les sacrements et le ministère. Trois dimen-sions qui correspondent également aux tria munera du Christ: après s’être divisés sur la christologie, les chrétiens se rapprochent désormais du Christ, prophète, prêtre et roi, et ce faisant, se rapprochent les uns des autres.

*Dicastère pour la promotion
de l’unité des chrétiens

Hyacinthe Destivelle*