· Cité du Vatican ·

Les femmes du christianisme des origines changèrent le visage de l’Empire romain

Les autorités missionnaires et la direction prophétique des femmes

 Les autorités missionnaires et la direction prophétique des femmes  FRA-004
25 janvier 2024

La vie religieuse telle que nous la connaissons aujourd'hui — aussi bien contemplative qu'active — a évolué au cours de deux mille ans. Dans cet essai, le premier de quatre, Christine Schenk, csj, puise aux documents historiques pour nous parler des femmes du christianisme des origines.

Quand j'étais une jeune religieuse de Saint-Joseph, j'avais un grand désir d’en savoir plus sur nos ancêtres dans la foi. Bien qu’étant passionnée par les textes bibliques, j'ai parfois du mal à m'y reconnaître, car les textes de notre lectionnaire parlent presque toujours de nos ancêtres hommes. Si l’on excepte Marie de Nazareth, les femmes disciples dévouées de Jésus sont pratiquement invisibles. Par la suite, lorsque j'ai commencé mes études de maîtrise en théologie au séminaire local, j'ai dévoré toutes les informations sur les femmes des débuts du christianisme. Dans cette série de quatre essais, je souhaite mettre en lumière les racines historiques des communautés religieuses féminines et peut-être aider les lectrices et les lecteurs à se reconnaître dans l'histoire des premiers chrétiens.

Le «mouvement de Jésus» s’est répandu rapidement dans tout l’Empire romain grâce également à l’initiative de femmes qui étaient apôtres, prophètes, évangélistes, missionnaires, chefs d’églises domestiques et veuves. Sa croissance est également débitrice du soutien financier de femmes entrepreneures chrétiennes telles que Marie de Magdala et Jeanne (cf. Lc 8, 1-3), Lydie (cf. Ac 16, 11-40), Phébé (cf. Rm 16, 1-2), Olympiade, diaconesse du iv e siècle, et d'autres. C'est précisément ce que le Pape Benoît xvi a reconnu le 14 février 2007, lorsqu’il a déclaré que «l'histoire du christianisme aurait eu un développement bien différent s'il n'y avait pas eu le généreux apport de nombreuses femmes». «Dans le domaine de l'Eglise primitive, la présence féminine — ajoute-t-il — n'est absolument pas secondaire».

Les premières Eglises domestiques étaient dirigées par des femmes telles que Grapte, qui, au ii e siècle, était à la tête de la communauté des veuves qui prenaient soin des orphelins à Rome, et Tabitha, une veuve du i er siècle «riche des bonnes œuvres et des aumônes qu'elle faisait» (cf. Ac 9, 36-43), qui fonda une communauté d’Eglise domestique à Jaffa. C’est grâce aux églises domestiques que les premiers chrétiens eurent accès aux réseaux sociaux qui les mirent en contact avec des personnes issues de différentes classes sociales.

Lorsqu'une femme chef de famille, comme une veuve aisée comme Tabitha ou une femme affranchie comme Prisca (cf. Rm 16, 3-5), se convertissait au christianisme, les évangélistes chrétiens tels que Junie (cf. Rm 16, 7) ou Paul avaient accès non seulement à leur foyer mais aussi à leur clientèle. Cela signifiait que les esclaves, les affranchis, les enfants, et toutes les personnes qui pour des raisons professionnelles étaient en contact avec ces femmes, se seraient converties. C’est ainsi que lorsque Paul convertit Lydie (cf. Ac 16, 11-15), il eut automatiquement accès à un large éventail de relations sociales et donc à un public potentiellement très large. Dans leur ouvrage intitulé A Woman's Place, Carolyn Osiek et Margaret Y. MacDonald démontrent que des femmes chrétiennes issues de classes sociales inférieures purent créer de petites entreprises au sein de leurs réseaux sociaux chrétiens et purent ainsi acquérir une certaine sécurité économique. Cela comportait à son tour l’accès à une classe supérieure et donc une plus grande liberté de mouvement, notamment au sein de la famille élargie de l’antiquité.

Celse, un critique bien connu de l’Eglise des origines, avait une mauvaise opinion de l’évangélisation féminine. Cependant, il fournit involontairement une preuve indépendante de l'action des femmes aux débuts du christianisme lorsqu'il déclara que les chrétiens persuadaient les personnes à quitter «leurs précepteurs et leur père, et aller avec les autres enfants, leurs compagnons de jeux et dans les maisons des femmes ou dans l’atelier du cordonnier ou dans celui des foulons» (Origène, Contre Celse). La critique de Celse coïncide avec les affirmations d'autres textes du christianisme des origines, selon lesquelles l'évangélisation se faisait de personne à personne, de maison en maison, de femmes en contact avec d'autres femmes, d’enfants, d’affranchis et d’esclaves. Sa critique nous dit que les femmes chrétiennes (et quelques hommes de bonne volonté) prenaient des initiatives en dehors des règles du patriarcat à cause de leur foi en Jésus.

Trois innovations significatives qui se sont produites dans la société romaine entre le premier et le quatrième siècle peuvent être attribuées aux ministères d'évangélisation et de guide des femmes chrétiennes. La première, vers le iv e siècle, est la liberté de choisir une vie célibataire, qui démolit concrètement l’un des piliers du patriarcat, à savoir l'obligation de contracter mariage. La seconde est que les veuves et les vierges chrétiennes sauvent, socialisent, baptisent et éduquent des milliers d’orphelins qui autrement seraient morts abandonnés ou auraient été destinés à la prostitution. La troisième est que les réseaux domestiques et les activités d'évangélisation des femmes jouent un rôle décisif dans la transformation de la société romaine d'une culture principalement païenne à une culture majoritairement chrétienne.

Des éléments de la vie religieuse peuvent être reconnus non seulement dans les premières communautés de veuves, comme celle de Grapte ou Tabitha, mais aussi chez les femmes qui ont choisi le célibat, comme les quatre filles prophétesses de Philippe (cf. Ac 21, 9) et les communautés féminines d'Asie mineure, mentionnées dans les Actes de Thècle. Les femmes de ces communautés ne se limitaient pas à sauver les orphelins et les veuves pauvres, mais également prophétisaient lors des premiers rassemblements de l’Eglise des origines (cf. 1 Co 11; Ac 21, 8-19). L’autorité qu’elles exerçaient dans le contexte de la vie domestique quotidienne, s’opposant à la culture de l’époque, est l’une des clés, souvent négligées, de la diffusion rapide du christianisme. L’autorité missionnaire et le leadership prophétique des femmes dans leur vaste réseau social ont changé le visage de l’Empire romain.

#sistersproject

Christine Schenk